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VRAI OU FAKE. La France est-elle le pays d’Europe qui subventionne le plus le ferroviaire, comme l’affirme le ministre des Transports ?

Les prix du train vont-ils dérailler à cause de la crise énergétique ? Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a annoncé le 14 septembre qu’en raison de la hausse du coût de l’énergie, la facture d’électricité de la compagnie ferroviaire allait connaître une hausse de « 1,6 à 1,7 milliard » d’euros en 2023. Face à ce surcoût, le gouvernement peut-il agir ? « On va en discuter », a déclaré au micro de franceinfo le 24 octobre Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports.« Il peut y avoir un peu d’aide de l’Etat », a-t-il suggéré. 

« L’Etat, je le rappelle, met quand même plus de 7 milliards d’euros chaque année dans le système ferroviaire français », a souligné Clément Beaune. La France est « le pays d’Europe qui subventionne le plus son système ferroviaire », a-t-il assuré. « Le prix du train est subventionné à 80% au total, pas le TGV, mais les trains du quotidien comme les TER. »

La SNCF est-elle autant soutenue par l’Etat que l’affirme Clément Beaune ? Tout dépend de l’activité ferroviaire à laquelle on fait référence. La SNCF est, « avec sa filiale SNCF voyageurs », responsable de l’exploitation des trains, c’est-à-dire du transport de passagers ou de fret, rappelle Patricia Pérennes, consultante chez le cabinet de conseil pour les services publics Trans-Missions. Mais la compagnie est également, « avec l’entité SNCF réseau », chargée « de la gestion et de la maintenance des voies ferroviaires ».

En ce qui concerne l’exploitation, la France est effectivement, en valeur absolue, le pays d’Europe qui subventionne le plus la circulation de ses trains, bien au-delà de la moyenne européenne. « En 2018, un TER recevait une subvention de 27,3 euros par kilomètre, alors que l’Allemagne ne dépensait que 8,86 euros par kilomètre » parcouru par ses trains, confirme Yves Crozet, économiste des transports et professeur à Sciences Po, se référant à une étude (en anglais) de la Commission européenne sur le marché du rail (figure 79) publiée en 2021.

Comparaison européenne des subventions au secteur ferroviaire, en valeur absolue, par pays en 2018. (COMMISSION EUROPEENNE)

Comparaison européenne des subventions au secteur ferroviaire, en valeur absolue, par pays en 2018. (COMMISSION EUROPEENNE)

Comme le déclare Clément Beaune, en France, en 2018, le prix du billet de train était bien subventionné à hauteur de 80%, révèle une étude (PDF en anglais) de l’Independent Regulators’ Group-Rail (IRG), un réseau rassemblant les autorités de régulation de 31 pays européens. La France se classe ainsi parmi les pays de l’UE qui, en proportion, subventionnent le plus le rail, avec le Luxembourg, la Bulgarie, la Hongrie et la Lituanie. Les TGV, ainsi que l’a évoqué le ministre, ne bénéficient pas de cette subvention, contrairement aux trains régionaux, confirme Yves Crozet à franceinfo. Dans le reste de l’Europe, le titre de transport est en moyenne subventionné à près de 68%, relève l’IRG. 

Le pourcentage de la prise en charge du prix du billet train par l'Etat dans les différents pays européens. (IRG-RAIL)

Le pourcentage de la prise en charge du prix du billet train par l'Etat dans les différents pays européens. (IRG-RAIL)

Sans les subventions publiques, « la SNCF ne pourrait équilibrer ses comptes », estime Yves Crozet. « Le transport ferroviaire coûte très cher », car « un train part souvent en grande partie vide », explique l’économiste. Selon un bilan (PDF) publié par l’Autorité de régulation des transports (ART), le taux d’occupation de l’ensemble des lignes s’élevait en 2019 à 46,7%.

Le taux d'occupation par ligne ferroviaire dans l'Hexagone en 2019. (ART)

Le taux d'occupation par ligne ferroviaire dans l'Hexagone en 2019. (ART)

Mais cette statistique masque d’importantes disparités. Si les TGV Ouigo sont remplis à environ 78% de leur capacité et les inOui à hauteur de 71%, « une grande part du réseau de lignes TER montre des taux d’occupation inférieurs à 20% », pointait l’ART. Afin d’offrir un « maillage territorial des zones blanches », c’est-à-dire sur les territoires à faible densité d’habitants, certaines lignes sont maintenues, même si elles présentent un taux d’occupation de moins de 5%. 

« SNCF voyageurs va perdre de l’argent sur chaque train » exploité sur ces lignes, analyse Patricia Pérennes. Pour compenser le manque à gagner, « les collectivités locales versent une certaine somme à la SNCF, ce qui explique pourquoi on arrive au chiffre de 80% que donne Clément Beaune. » L’Etat partage en effet avec les collectivités le financement des subventions de fonctionnement. 

L’importance du montant des subventions accordé au rail se justifie également par le coût élevé de l’exploitation des trains.« Quand un TER en France circule, on considère qu’en gros le billet ne couvre qu’un cinquième du coût total, précise Patricia Pérennes. Elle détaille : « Il faut payer les conducteurs, l’électricité, le matériel roulant, mais aussi des frais de péage, comme pour les voitures sur les autoroutes. » 

Pour avoir le droit de faire rouler ses trains, SNCF voyageurs doit en effet s’acquitter d’un péage ferroviaire auprès de SNCF réseau. Ils ont pour objectif de financer les coûts de maintenance et de rénovation des voies. Selon l’IRG, le prix des péages est en France plus de deux fois plus élevé qu’en Allemagne ou dans le reste de l’Europe en moyenne (8,19 euros par kilomètre contre respectivement 3,66 et 3,76). La France figure en deuxième position des pays européens dans ce domaine. La situation s’explique par le montant élevé des frais de maintenance, en raison de la vétusté d’un réseau dans lequel l’Etat a peu investi, selon Patricia Pérennes. 

Le coût des péages ferroviaires dans les pays européens en 2020. (IRG-RAIL)

Le coût des péages ferroviaires dans les pays européens en 2020. (IRG-RAIL)

Car contrairement à l’exploitation des trains, le réseau ferroviaire souffre d’un manque chronique d’investissements publics, un problème diagnostiqué depuis « au moins 15 ans », déplore Yves Crozet. « Les gouvernements successifs se sont plutôt polarisés sur les TGV », délaissant les lignes peu fréquentées, « un tiers du réseau, soit environ 10 000 km de voies qui concentrent 2% des circulations de train ».

Interrogé en juillet par franceinfo, Bruno Gazeau, président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) estimait qu’il manquait près d’« un ou deux milliards d’euros » pour assurer la pérennité de l’ensemble de l’infrastructure ferroviaire. Le plan convenu entre l’Etat et la SNCF prévoit d’investir 2,9 milliards d’euros par an sur une décennie, d’après une déclaration de Clément Beaune au Sénat début octobre. « On peut toujours dire qu’il faut aller plus loin, mais il s’agit d’un effort sans précédent qui permettra au moins, si on le fournit pendant dix ans, de stabiliser l’âge du réseau », a justifié le ministre.

Comparée aux autres pays européens, la France ne trône pas en haut du classement en ce qui concerne les subventions publiques pour les infrastructures ferroviaires, mais se situe toutefois au-dessus de la moyenne. Alors qu’en 2018, les pays dépensaient pour leur réseau ferroviaire 153 euros par kilomètre de voie, la France en versait 238 euros. C’était plus que l’Allemagne (195) et l’Italie (226), mais moins que la Belgique (268) et le Royaume-Uni (543). Ce niveau de dépense est qualifié « d’intermédiaire » dans un récent bilan de l’ART

Dépenses des pays européens en maintenance, renouvellement et amélioration des infrastructures ferroviaires. (COMMISSION EUROPEENNE)

Dépenses des pays européens en maintenance, renouvellement et amélioration des infrastructures ferroviaires. (COMMISSION EUROPEENNE)

L’Allemagne investit cependant une proportion plus grande de son budget (87%) pour les infrastructures et pour le renouvellement ou la création de nouvelles lignes que la France (63%), obligée elle de dépenser près de 37% de son budget en maintenance contre 13% outre-Rhin. « C’est un cercle vicieux. Comme on ne finance pas assez l’investissement, le réseau vieillit et on doit dépenser un ‘pognon de dingue’ pour l’exploitation », conclut Yves Crozet.

Au total, à combien se monte la facture pour l’Etat ? Outre Clément Beaune et les « 7 milliards d’euros chaque année », le rapport annuel de la SNCF (PDF, page 32) confirme qu’un montant de « subventions et concours publics reçus de l’Etat et des collectivités publiques » de 7,5 milliards a été accordé en 2021, des apports qui financent notamment le matériel roulant.

Le coût total pour le contribuable est cependant plus élevé, selon le site d’information spécialisé dans les finances publiques Fipeco. En cumulant la couverture des coûts de fonctionnement des TER et Transilien, les dépenses d’investissements et le financement de l’équilibre du régime spécial des retraites des cheminots, la SNCF aurait reçu de l’Etat pour ses prestations près de 16,7 milliards d’euros pour l’année 2020. De son côté, le rapport financier annuel de la SNCF rapporte « seulement » 5,6 milliards d’euros de subventions.


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