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Présidentielle au Brésil : déforestation, pauvreté, insécurité, Covid-19… Le sombre bilan de Jair Bolsonaro

Une « catastrophe ». C’est en un mot la façon dont on pourrait résumer les quatre années de Jair Bolsonaro au pouvoir, selon des spécialistes du Brésil interrogés par franceinfo. Malgré les critiques, le président d’extrême droite, élu en 2018, continue de talonner Lula dans les sondages du second tour de l’élection présidentielle brésilienne, qui se déroule dimanche 30 octobre.

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Au pouvoir, Jair Bolsonaro s’est largement illustré par ses frasques et ses invectives contre ses adversaires, ses attaques contre l’environnement, son populisme et son isolement sur la scène internationale. Avec quelles conséquences ? Franceinfo revient sur ce mandat qui a bouleversé le Brésil.

Une économie en berne

Elu sur un programme économique ultralibéral, Jair Bolsonaro s’est attelé à réduire le rôle de l’Etat dans l’économie. « Son action s’est caractérisée par un mélange de néolibéralisme, de privatisations et de réduction des dépenses de l’Etat, notamment concernant la santé, explique à franceinfo Christophe Ventura, spécialiste de l’Amérique latine et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

En 2019, le président a ainsi mené à une réforme du système des retraites qui table sur une économie de quelque 800 milliards de réais (environ 176 milliards d’euros) sur dix ans. En plus de la réduction drastique de nombreux organismes publics, le président d’extrême droite a opéré de nombreuses privatisations, comme celle du géant de l’électricité Eletrobras.

« Tout cela a eu un impact important sur l’économie, quand le pays a été touché par la crise sanitaire », souligne Christophe Ventura. L’arrivée du Covid-19, et le refus initial de Jair Bolsonaro de mettre en place des programmes d’aide ambitieux, a plongé de nombreux habitants du pays dans la pauvreté. Le gouvernement fédéral a fini par débloquer un soutien d’urgence de 600 reais (120 euros) par mois au printemps 2020, avant de le réduire de moitié puis de le supprimer.

« Si l’économie brésilienne n’allait pas bien avant son élection, Jair Bolsonaro a accéléré ce phénomène. Aujourd’hui 1% de la population du pays détient plus de la moitié de la richesse. »

Christophe Ventura, spécialiste de l’Amérique latine

à franceinfo

A l’approche de la fin de son mandat, le président Bolsonaro a mis en place de nouvelles mesures afin de faire face à l’envolée des prix des carburants et à une inflation à deux chiffres. « Il a approuvé des aides corporatistes pour les chauffeurs de camions et de taxis, réduit les taxes sur les énergies fossiles », détaille à franceinfo Graziella Guiotti, professeure de sciences politiques à l’Ecole de politique publique de la Fondation Getulio Vargas, basée à Brasilia. Une décision que la spécialiste qualifie de « désastreuse », cet impôt sur les carburants finançant notamment les budgets des Etats pour l’éducation.

En multipliant ces gestes, Jair Bolsonoro a fait le pari que l’élection se jouerait sur l’économie. Mais si « des résultats positifs se font sentir sur le court terme, les mesures ne sont pas financées, et sur le moyen terme l’impact sera très dur », complète la spécialiste.

Du reste, Jair Bolsonaro, soutenu par les milieux économiques en 2018, a fini par être lâché par une partie des grands patrons brésiliens. Ils lui reprochent en particulier sa politique étrangère, qui a « isolé le Brésil du reste du monde et mis le pays en confrontation avec ses partenaires principaux, comme la Chine, les Etats-Unis, l’Argentine et la France », note Graziella Guiotti. Concentrée sur la défense « des valeurs chrétiennes » et « antiglobaliste », « cette non-politique étrangère a mené le Brésil dans le mur », ajoute Christophe Ventura.

Plus de 687 000 morts du Covid-19

Au-delà de la question économique, le mandat de Jair Bolsonaro est inexorablement lié à sa gestion de la pandémie de Covid-19. « C’est simple, il n’a rien fait et a laissé les gens sur le carreau », résume Christophe Ventura. Connu pour ses propos complotistes et ses contre-vérités au sujet de la maladie, le président s’est refusé à mettre en place des confinements et à rendre les masques obligatoires, allant jusqu’à poursuivre certains Etats appliquant de telles mesures.

Plus de 687 000 personnes sont décédées des suites du Covid-19 au Brésil selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)* le 26 octobre. Elle comptabilise près de 35 millions de cas dans le pays. La pandémie a propulsé des milliers de personnes dans la pauvreté. Quelque 33,1 millions de personnes souffrent de la faim au Brésil, d’après une étude publiée en juin par le Réseau brésilien de recherche sur la sécurité alimentaire. Il s’agit d’une augmentation de 73% depuis 2020, rappelait l’AFP en septembre.

Un rapport de 1 200 pages du Sénat brésilien a d’ailleurs accusé en 2021 le président de « crime contre l’humanité » pour sa gestion de la crise. En outre, Jair Bolsonaro « a investi des montants énormes dans des traitements qui n’avaient pas d’effet et n’a décidé d’acheter des vaccins qu’après avoir été mis sous pression par les gouverneurs », souligne Graziella Guiotti.

Particulièrement sceptique face aux vaccins, qu’il a même accusés de transmettre le sida, il n’a mis en place « aucune campagne fédérale encourageant la vaccination », ajoute la chercheuse. Toutefois, près de 87% de la population a reçu au moins une dose, selon l’OMS.

L’environnement saccagé

Les scientifiques craignaient le pire pour l’environnement lors de l’élection de Jair Bolsonaro. Le mandat du président d’extrême droite a été « catastrophique » en la matière, tranche Christophe Ventura, un constat partagé par l’organisation Greenpeace*. 

Dès son arrivée au pouvoir, le chef d’Etat a considérablement baissé le budget des différentes institutions chargées de défendre l’environnement. Une enquête de Reuters* relevait en août 2019 une baisse de 25% pour le principal organisme public dédié à ces questions (Ibama). Ardent défenseur de l’agro-industrie, Jair Bolsonaro a mis en place un « gouvernement écocidaire » jugeait ainsi Marcel Bursztyn, professeur au centre de développement durable de l’Université de Brasilia, interrogé en septembre par Le Monde (article pour les abonnés).

La déforestation des forêts primaires du pays, en particulier l’Amazonie et la forêt atlantique, s’est accélérée dès le début du mandat, pour atteindre son plus haut niveau depuis 2008, rapportait en septembre Nature*. La situation est telle que le « poumon vert de la planète » rejette désormais plus de CO2 qu’il n’en capte et que les incendies, souvent d’origine humaine, se multiplient.

Les actions contre les populations autochtones se sont multipliées, alors qu' »il n’a pas puni les opérations minières illégales sur les terres indigènes », complète Graziella Guiotti. Une décision qui n’a rien de surprenant, selon la chercheuse : « Un contributeur de la campagne de Bolsonaro sur cinq doit payer des amendes pour atteinte à l’environnement. » 

« C’est la violence au pouvoir »

« Quatre ans de Bolsonaro, c’est la violence au pouvoir. C’est la violence des mots, des gestes. Une violence qui a gangréné toute la société », résumait en septembre à franceinfo la journaliste Stéphanie Lebrun, qui a produit un documentaire sur le président brésilien. Les violences politiques ont considérablement augmenté en quatre ans, rapporte ainsi l’Université d’Etat de Rio dans un bulletin trimestriel (contenu en portugais)

Le Brésil reste dans le même temps l’un des endroits les plus dangereux au monde pour les activistes. Selon un rapport* de l’ONG Global Witness, au moins 20 militants pour la défense de l’environnement ont été tués en 2020 dans le pays. La situation correspond à la vision du monde de Jair Bolsonaro, selon Christophe Ventura.

« Il est l’incarnation d’un nihilisme, d’une politique qui ne porte pas d’espoir, où chacun doit se battre avec son couteau et son fusil pour sa propriété privée. »

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Iris

à franceinfo

Aux discours populistes se sont ajoutées de nombreuses attaques contre la démocratie brésilienne. « Il a réduit la transparence des organisations publiques et du gouvernement, souligne Graziella Guiotti. En plus des conflits réguliers avec le système judiciaire et les gouverneurs, il a aussi remis en question le système électoral quand les sondages étaient mauvais et a menacé de ne pas respecter les résultats des élections. » Malgré quatre années de « dysfonctionnement des institutions, elles ont tenu », tempère Christophe Ventura, tout en soulignant l’affrontement entre « le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, devenu le premier contre-pouvoir. »

Cet empilement de crises, « déjà présentes mais accentuées par Bolsonaro », précise le chercheur, explique « l’effritement de l’Etat brésilien » et de la société. Après quatre années de « bolsonarisme », le pays est « extrêmement polarisé, particulièrement au niveau religieux », souligne Graziella Guiotti. « Il y a deux pays qui ne se parlent plus au Brésil, les familles se divisent et se disputent sur la politique », ajoute Christophe Ventura. Les effets de la politique du président d’extrême droite, même en cas de victoire de Lula, continueront de se faire sentir, selon le spécialiste. Pour lui, « comme dans le cas de Donald Trump, les causes qui produisent ce phénomène sont toujours là ».

*Les liens suivis d’un astérisque renvoient vers des articles en anglais.


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