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Législatives en Israël : comment Benyamin Nétanyahou a réussi à revenir au pouvoir

Après un an de disgrâce, le « roi Bibi » retrouve sa couronne. Pour la cinquième fois en moins de quatre ans, les Israéliens étaient appelés aux urnes mardi 1er novembre afin de renouveler les élus du Parlement. Au total, quarante listes se disputaient les sièges de la Knesset, mais le choix se réduisait en réalité à deux hommes : le centriste Yaïr Lapid, Premier ministre sortant et fondateur du parti Yesh Atid, et le nationaliste Benyamin Nétanyahou, ancien chef du gouvernement, à la tête d’un « bloc de droite ».

Après deux jours de dépouillement, la coalition menée par Benyamin Nétanyahou est ressortie grande gagnante de l’élection, avec 64 sièges sur les 120 du Parlement israélien. Il obtient ainsi la majorité et signe son grand retour au pouvoir. Yaïr Lapid, dont la formation a conquis 51 sièges, a félicité son principal rival et a souhaité une « transition ordonnée ». Mais comment expliquer ce retour en grâce malgré l’inculpation pour corruption de l’ex-Premier ministre israélien ? 

Retour en 2021. Benyamin Nétanyahou voit le pouvoir lui échapper après quinze années passées à la tête du gouvernement, dont douze consécutives (de 2009 à 2021), qui lui valent le record de longévité au poste de Premier ministre. Accusé de fraude et de corruption, le chef du Likoud, classé à droite, fait l’objet de poursuites judiciaires. Son procès, ouvert en mai 2020, court toujours. A l’époque, ces accusations ne passent pas auprès des Israéliens. Les manifestations pour le départ de « Bibi » se multiplient pendant près d’un an.

Lors des élections législatives de mars 2021, la chute de popularité se traduit dans les urnes : le Likoud perd des sièges à la Knesset. Benyamin Nétanyahou, affaibli par ses déboires judiciaires, n’obtient pas assez de députés pour former une coalition. En face, une faible majorité (tout juste 61 sièges) voit le jour et met fin au règne de Benyamin Nétanyahou. Naftali Bennett, un de ses anciens protégés, puis Yaïr Lapid, fondateur du mouvement centriste Yesh Atid, se retrouvent à la tête d’une coalition très hétéroclite (droite, gauche, centre et un parti arabe).

Yaïr Lapid et Naftali Bennett, deux successeurs de Benyamin Nétanyahou, lors d'une réunion à Jérusalem, le 18 septembre 2022. (RONALDO SCHEMIDT / AFP)

Yaïr Lapid et Naftali Bennett, deux successeurs de Benyamin Nétanyahou, lors d'une réunion à Jérusalem, le 18 septembre 2022. (RONALDO SCHEMIDT / AFP)

Marquée par des divergences, l’alliance perd un député moins d’un an après sa formation, puis un autre en juin, faisant perdre sa majorité au gouvernement. « Idéologiquement, c’était trop disparate, les partis n’avaient pas les mêmes valeurs. Ne pas partager une vision similaire du pays, c’était très problématique pour maintenir une coalition à long terme », analyse Elizabeth Sheppard, directrice du programme relations internationales et politiques à l’université de Tours.

Retour à la case départ. Faute de majorité, de nouvelles élections législatives sont convoquées pour le 1er novembre 2022. Benyamin Nétanyahou revient dans la course et il est bien décidé à gagner. « Il ne se laisse jamais abattre. Il en veut. Il a 73 ans, 10 000 autres que lui auraient abandonné à sa place. C’est quelqu’un qui est prêt à tout pour garder le pouvoir », décrit Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Open University d’Israël. Le nationaliste de droite est connu pour sa capacité à négocier avec des partis en vue de former une coalition gouvernementale, quitte à ne pas partager leur idéologie, tant qu’ils l’emmènent au pouvoir. Un caractère qui fait de lui un homme politique autant adoré que détesté. 

« Il y a un acharnement chez lui qui force ou l’admiration ou la répulsion. »

Denis Charbit, professeur de sciences politiques

à franceinfo

Outre son tempérament de battant et de leader qui séduit une partie de l’électorat, le climat politique instable depuis plusieurs années joue largement en sa faveur. Au bout de la cinquième élection en moins de quatre ans, « on sent un certain ras-le-bol de la population face à ces élections très régulières », pointe Elizabeth Sheppard. En théorie, les députés sont élus au scrutin proportionnel tous les quatre ans. Mais ces dernières années, aucune coalition n’était parvenue à obtenir une majorité durable, nécessaire pour gouverner. Le passé de « Bibi » en tant que chef du gouvernement laisse penser qu’il est l’homme qui peut éviter un sixième appel aux urnes. « Nétanyahou est perçu comme un homme d’Etat qui représente une certaine stabilité par son expérience. Il a pu mettre en avant sa bonne gestion de la crise sanitaire par exemple », explique la chercheuse.

Cette expérience se voit aussi dans sa capacité à mener une campagne électorale. C’est aux Etats-Unis, où il a passé une grande partie de son enfance, qu’il a tout appris, selon Freddy Eytan, directeur du Centre des affaires publiques et de l’Etat de Jérusalem : « Ses prouesses en campagne sont calquées sur les méthodes américaines. C’est lui qui a importé en Israël le principe de l’Etat spectacle [la surexposition médiatique des personnalités politiques]. Dans ce domaine-là, il est imbattable. » Avant les élections, Benyamin Nétanyahou avait par exemple sillonné le pays à bord d’un « Bibibus », un véhicule blindé avec une vitre pare-balles, pour promouvoir sa lutte pour la sécurité intérieure.

Preuve de sa popularité dans l’Etat hébreu, les accusations de corruption qui le visent ont été secondaires pour une partie des électeurs, selon les observateurs. « Ce n’est pas le premier homme politique accusé de corruption ou d’activités criminelles, ça passe au second plan pour beaucoup de gens », avance Elizabeth Sheppard. D’autres n’y croient tout simplement pas et ont fini par adhérer à la thèse de « l’acharnement judiciaire » portée par Benyamin Nétanyahou.

« Une majorité d’électeurs ne considèrent pas ces allégations assez solides. Pour eux, il est la victime et non l’accusé. »

Freddy Aytan, directeur du Centre des affaires publiques et de l’Etat de Jérusalem

à franceinfo

Benyamin Nétanyahou doit aussi beaucoup aux partis de sa coalition. S’il termine en tête, le Likoud n’a conquis que 32 sièges à la Knesset, soit la moitié des 64 sièges obtenus par son « bloc de droite ». Les partis orthodoxes lui offrent 18 autres sièges, tandis que le parti d’extrême droite Sionisme religieux en récupère 14, un résultat historiquement haut, qui a doublé par rapport aux précédentes élections. La formation décroche d’ailleurs la troisième place dans les résultats, derrière Yesh Atid (24 élus).

Israël devrait donc être gouvernée par une coalition comprenant le plus de partis à droite de son histoire. Mais si Benyamin Nétanyahou a travaillé main dans la main avec la droite dure pour reprendre le pouvoir, il est désormais confronté au défi d’arrondir les angles. « Cette coalition n’est pas juste de droite, elle est composée d’élus qui tiennent des propos racistes et sexistes. Ça peut causer des problèmes avec les alliés d’Israël [les Etats-Unis et l’Union européenne]« , rappelle Elizabeth Sheppard. Washington a d’ailleurs déjà partagé son espoir de voir le prochain gouvernement israélien continuer de respecter les droits des minorités.

Deux soutiens de Nétanyahou en particulier incarnent cette extrême droite raciste, homophobe et anti-Arabes : Bezalel Smotrich et le virulent Itamar Ben Gvir, condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine.

>> Législatives en Israël : qui sont les alliés d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou ?

Le premier a déjà déclaré vouloir le ministère de la Défense, le second celui de la Sécurité publique. Une issue peu probable, selon Freddy Eytan : « Benyamin Nétanyahou doit mettre à distance l’extrême droite, il y a donc peu de chances qu’il donne le portefeuille de la Justice ou de la Défense à ses représentants. » Lors d’un meeting de campagne, déjà, l’ancien Premier ministre avait refusé de s’afficher sur l’estrade avec Ben Gvir. Mais il devra toutefois s’assurer de leur soutien pour que sa coalition n’explose pas en plein vol. 

« Ces partis n’ont pas d’alternative. Ils se retrouvent avec le Likoud dans une situation d’interdépendance. »

Denis Charbit, professeur de sciences politiques

à franceinfo

Et maintenant ? Au cours des prochains jours, le président israélien Isaac Herzog, dont la fonction est symbolique, devra mandater officiellement Benyamin Nétanyahou pour former un gouvernement sous 42 jours. L’ex-chef du gouvernement devra faire ses preuves : les Israéliens l’attendent au tournant sur le coût de la vie et le pouvoir d’achat. Selon Freddy Eytan, « c’est sa dernière chance pour prouver qu’il est l’homme providentiel ».


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