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Route du Rhum 2022 : pont en fibres de lin, énergie solaire, pièces de récupération…Des skippers prendront le départ avec un bateau plus durable

« Je suis vraiment bien sur mon champ lin ». Son « champ de lin », Roland Jourdain le bichonne depuis plusieurs mois. Le 8 ou le 9 novembre, le skipper double vainqueur de la Route du Rhum en 2006 et 2010, prendra le départ de la 12e édition de la course transatlantique en solitaire à la voile, à bord de son bateau We explore, dont le pont a été fabriqué à partir d’un hectare de fibres de lin.

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« Le pont représente à ce jour la plus grande pièce réalisée en fibre végétale. On a aussi du lin dans les structures secondaires du bateau, dans la grand-voile, les planchers… », précise celui qui est engagé dans la classe Rhum multi, une catégorie regroupant tous les bateaux à deux ou trois coques d’une longueur inférieure ou égale à 64 pieds (19,50 m) et ne pouvant entrer dans une autre classe de la course. « Cela fait une dizaine d’années environ que je travaille sur ce projet. We explore est né de cette envie de faire bouger les lignes, de trouver des matériaux alternatifs et notamment de remplacer la fibre de verre, qui est utilisée dans 90% de nos productions plastiques, sur terre comme sur mer », poursuit le skipper, également double vainqueur de la Transat Jacques-Vabre, en 1995 et 2001.

En plus de son pont en fibre végétale, Roland Jourdain a réutilisé des pièces de récupération comme les dérives du bateau, une partie de l’accastillage et même du carbone venu de l’aéronautique mais périmé dans ce secteur. Encore une fois, la logique du marin quimpérois de 58 ans est de « limiter dans la mesure du possible l’impact environnemental du bateau ».

Roland Jourdain, double vainqueur de la Route du Rhum en 2006 et 2010, est très engagé pour la protection de l'environnement, et veut sensibiliser le grand public à ce sujet à travers son bateau "en lin". (Martin Viezzer / We explore)

Roland Jourdain, double vainqueur de la Route du Rhum en 2006 et 2010, est très engagé pour la protection de l'environnement, et veut sensibiliser le grand public à ce sujet à travers son bateau "en lin". (Martin Viezzer / We explore)

Utiliser des pièces de récupération a également été l’option choisie par un autre skipper quimpérois, Marc Guillemot, lui aussi engagé dans la classe Rhum multi. « 97% des pièces de Metarom MG5 proviennent d’autres bateaux de course qui ont fait le Vendée Globe, ou le Trophée Jules Verne par exemple », confie le vainqueur de la Transat Jacques Vabre en 2009, troisième lors de la Route du Rhum en 2010 et 2014, ainsi que sur le Vendée Globe en 2008. 

Même si ces démarches environnementales sont encore à leurs prémices, les premiers signaux sont encourageants. « Un mètre carré de fibre de lin est 5 à 10 fois moins énergivore qu’un mètre carré de fibre de verre », relève Roland Jourdain. « On est à 50 % au moins d’économies d’énergie et de déchets lors de la conception », estime de son côté Marc Guillemot.

Plus que l’utilisation de pièces de récupération, Marc Guillemot, a travaillé sur un projet de grand-voile photovoltaïque. Là encore, l’innovation est de taille. Des capteurs photovoltaïques organiques sont intégrés dans la membrane de la voile, eux-mêmes reliés à des câbles électriques descendant le long de la grand-voile, et connectés à des régulateurs qui alimentent la batterie. « En été, on était en énergie positive alors que le pilote, l’ordinateur, le frigo étaient en marche, explique Marc Guillemot. L’avantage de la voile, par rapport au pont, est que les capteurs ont constamment de la lumière des deux côtés, rien que la réverbération de la lumière sur la mer alimente les cellules. »

Chantier du bateau de Roland Jourdain, We Explore, lors de la conception du pont en fibre de lin. (Robin Christol)

Chantier du bateau de Roland Jourdain, We Explore, lors de la conception du pont en fibre de lin. (Robin Christol)

Malgré de bons retours sur le rendement énergétique, Marc Guillemot ne prendra pas le départ avec sa voile solaire. « On a encore des problèmes de fiabilité, de connexions électriques, et d’utilisation, notamment lors du pliage de la voile pour ne pas casser les cellules qui acceptent un rayon de courbures faibles », témoigne le skipper qui a travaillé deux ans sur le projet. « Cette voile est importante pour moi, je ne voulais prendre aucun risque lors de la course afin de pouvoir continuer les essais », ajoute le skipper, qui a dû revoir en dernière minute toute son installation électrique pour la course.

« Mon bateau était un peu un laboratoire pour cette voile. Il faut aussi accepter que tout ne soit pas parfait du premier coup. C’est un peu normal quand on innove », préfère retenir le skipper.

Roland Jourdain et Marc Guillemot n’ont aujourd’hui plus les mêmes objectifs qu’à leurs débuts. Sans vouloir passer pour des « donneurs de leçons », ils se servent aujourd’hui de leur parcours pour faire entendre leur message. « Roland et moi sommes sur une démarche un peu différente. Nous ne sommes plus dans une classe phare des Imoca, class 40 ou ultim, mais en Rhum multi, où on peut faire un peu ce qu’on veut. On n’est pas contraints par des jauges [règles établies par les catégories de bateau] », explique Marc Guillemot, avant de reconnaître : « Si j’étais resté dans une classe phare, je ne me serais peut-être pas engagé dans ce projet. »

A cause de divers problèmes liés à sa fiabilité, Marc Guillemot prendra finalement le départ de la Route du Rhum sans sa voile solaire, pour ne prendre aucun risque et pouvoir ainsi continuer les essais. (Martin Keruzoré)

A cause de divers problèmes liés à sa fiabilité, Marc Guillemot prendra finalement le départ de la Route du Rhum sans sa voile solaire, pour ne prendre aucun risque et pouvoir ainsi continuer les essais. (Martin Keruzoré)

Keni Piperol, engagé en class 40, a franchi le cap. Il incarne la nouvelle génération de skippers qui visent la performance tout en cherchant à respecter l’environnement, par la proposition d’un nouveau modèle de course. Le Guadeloupéen de 26 ans s’élancera dans sa première Route du Rhum à bord d’un bateau 100 % recyclable, une première. « La coque est entièrement recyclable car elle est constituée de matériaux composites, de mousse PET [synthétique] et de résine thermoplastique, deux molécules ayant quasiment les mêmes priorités chimiques, explique le skipper qui a participé à la construction de Captain alternance en 2021. Cela permet de séparer la fibre de la résine à la fin de vie du bateau et, ainsi, s’en servir pour fabriquer d’autres pièces. »

« Plusieurs techniques de broyage existent, mais souvent les déchets partent pour du remblai ou vers le BTP. Il s’agit d’une nouvelle alternative pour la revalorisation des déchets en économie circulaire. »

Keni Piperol, skipper

à franceinfo: sport

Engagé dans la classe la plus fournie de cette édition avec 55 skippers amateurs et professionnels, Keni Piperol a relevé le défi de se conformer au strict cahier des charges de sa classe, tout en utilisant des matériaux différents. « J’ai certes un bateau un peu plus lourd que les autres, mais en termes de performance cette saison, j’ai accroché les meilleurs », appuie le skipper, qui vise un top 10, « voire un top 5 ». « Avoir un bateau innovant ne suffit pas. Il faut pouvoir montrer qu’on est performant pour être crédible et audible », souligne-t-il.

Se faire entendre auprès du plus grand nombre, voilà l’objectif commun des trois skippers. D’ailleurs, ils n’ont jamais été autant à avoir misé sur l’innovation environnementale que lors de cette édition. « On a encore beaucoup de verrous culturels à lever et d’habitudes [à bouleverser]« , note tout de même Roland Jourdain, pour qui la voie du changement sur mer, passe forcément par une remise en question des modes de vie sur terre. « Il faut garder en tête que 80% de la pollution des océans vient de la terre », insiste Roland Jourdain.

Pour sa première participation à la Route du Rhum, Keni Piperol prendra le départ à bord d'un bateau 100% recyclable, en class40. (Vincent Olivaud)

Pour sa première participation à la Route du Rhum, Keni Piperol prendra le départ à bord d'un bateau 100% recyclable, en class40. (Vincent Olivaud)

« La planète est un grand bateau avec un équipage qui augmente, pendant que les ressources diminuent dans les cales, met-il en image, au moment où les pays européens sont appelés à la sobriété énergétique cet hiver. En vivant sur un bateau, on apprend beaucoup de choses sur le vivre-ensemble, sur les usages du bord (alimentation, énergie), et sur la façon dont on vit. Ce que l’on peut innover sur un bateau est exportable à terre. » 


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