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Les non-dits de la première biographie en français de Charles III

Les non-dits de la première biographie en français de Charles III valent tous les discours du trône. Le panégyrique du nouveau souverain dressé par le communicant Philip Kyle réussit la gageure de passer sous silence les nombreux scandales auxquels l’ancien prince de Galles a été mêlé. Le trop-plein d’affaires a pourtant jeté une ombre sur le succès du début du règne.

Le message de Philip Kyle est bien rodé. L’ancien communicant du Prince’s Trust, qui regroupe les associations caritatives de l’héritier au trône, déclare dans un entretien au Point, « Charles III est une personnalité complexe, ce qui la rend fascinante. Ce qui m’intéresse, ce sont ses projets pour l’avenir, comment il voit le futur de la monarchie resserrée sur le noyau dur ».

Le problème est que sur le plan politique, le roi ne peut jouer aucun rôle quel qu’il soit en dehors de la définition de Walter Bagehot, le célèbre constitutionnaliste du XIXe siècle, « le droit d’être informé, d’encourager et de mettre en garde ». Tous les discours du chef de l’État sont soumis au contreseing ministériel, à l’exception du message de Noël par essence œcuménique et spirituel.

De gauche et de droite

L’auteur justifie l’interventionnisme de l’héritier au trône dans la sphère politique par le caractère flou du rôle de prince de Galles dans la Constitution non écrite. L’intéressé, dit-il, est à la fois de gauche et de droite. Son soutien aux jeunes en difficulté, à la diversité et son hostilité déclarée aux déportations de migrants clandestins au Rwanda attestent un profil progressiste.

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En revanche, son opposition à l’architecture moderne, à l’interdiction de la chasse à courre et à la méritocratie va dans l’autre sens. C’est la raison pour laquelle il a fallu dix ans de procédures judiciaires pour que le Guardian soit autorisé à publier ses lettres de protestation aux ministres. Jusqu’au bout, Son Altesse Royale a milité en faveur d’une exemption de la loi sur la liberté de l’information. Le vain lobbying intensif de la maison princière contre la transparence est mis en exergue dans le documentaire de la chaîne ITV Our New King diffusé le week-end dernier.

Son fils aîné William, nouveau prince de Galles, a d’ailleurs bien senti le danger. Formaté par sa grand-mère, conservateur et fier de l’être, il évite les controverses en se cantonnant à œuvrer à une meilleure représentation des minorités dans les sphères dirigeantes du football et du cinéma, au Commonwealth et à la santé mentale dans le sport.

Des scandales à répétition

Le nouveau monarque traîne à ses guêtres les scandales à répétition provoqués au cours des dernières années par ses liens étroits avec les pétromonarchies du Golfe. L’acceptation de valises remplies d’espèces offertes par de sulfureux hommes d’affaires en vue de financer ses œuvres philanthropiques a défrayé la chronique.

Le prince, qui n’a pas tiré profit de ces largesses à titre personnel, était-il naïf ? « Il jauge mal les êtres, car il a vécu sous cloche dorée toute sa vie », estime Catherine Mayer, autrice de la biographie dénuée de toute complaisance Charles : The Heart of a King (Charles, un cœur de roi). À propos des errements de son ancien patron, Philip Kyle revient constamment à son leitmotiv, « je ne peux pas répondre à votre question. J’ai entendu ces affirmations, mais je n’ai pas pu les vérifier ».

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Circulez, il n’y a rien à voir ! Il y a cependant pléthore de sources dignes de foi que démontre la prolifération de biographies sérieuses en anglais de l’intéressé tout comme les articles d’une presse remarquablement bien informée grâce au maniement du journalisme de chéquier.

Un nouveau monarque du monde ancien

N’en déplaise à cet exercice de haute voltige à contre-pied de l’analyse des buckinghamologues de renom, sous Charles III, l’univers désuet de la cour d’Elizabeth II perdure. La révérence pour les femmes, le salut de la tête pour les messieurs, les dames de compagnie de la reine consort et des conseillers royaux issus du même moule de la gentry, du Foreign Office ou de l’armée… si en trois décennies, la société britannique a drastiquement évolué, le nouveau monarque est tout aussi représentatif du monde ancien, blanc, protestant, aristocrate et anglo-saxon que sa mère.

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Malgré la réduction de la voilure du couronnement du samedi 6 mai 2023 ramené aux acquêts vu la gravité de la crise économique, la cérémonie sera calquée sur le rituel du sacre d’Elizabeth II, en 1953.

Chaque médaille a son revers. Tous les témoignages concordent pour décrire un personnage colérique, égotiste et autoritaire qui ne souffre aucune contradiction. Charles III aime donner des directives à double sens, jouant successivement les uns contre les autres au sein d’une cour que Catherine Mayer compare volontiers à celle du cruel Henry VIII.

Honni soit qui mal y pense…

*Charles III, par Philip Kyle, éditions Perrin, 464 pages.


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