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Des étudiants français à la COP27: «Un décalage très fort avec l’urgence climatique»

La prestigieuse École normale supérieure de Paris, qui forme les futurs chercheurs et enseignants universitaires, a envoyé sept de ses étudiants en tant qu’observateurs pour ces négociations climatiques. Ils ont accès au cœur de la machine. Thibaud Schlesinger travaille sur les transports et les impacts environnementaux des armées ; Alice Guipouy-Munoz décortique la géopolitique de l’énergie, la diplomatie climatique et les pertes et dommages. Ils racontent leur « plongée dans le grand bain du multilatéralisme ».

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Recueillis par notre envoyé spécial à Charm el-Cheikh

RFI : Quelles sont vos premières réactions générales sur cette COP27, après dix jours d’observation ?

Thibaud Schlesinger : Je dois dire qu’il y a un peu de déception. Beaucoup de négociations que j’ai suivies n’ont pas abouti. La conclusion principale a été d’en reparler l’année prochaine ou aux prochaines intersessions…

De quelles négociations s’agit-il ?

T. S. : Celles qui concernent les ambitions de réductions de gaz à effet de serre dans le transport et l’aviation. C’est un sujet à part, car ce n’est pas chaque État qui décide de ces émissions-là. Deux acteurs internationaux, l’Organisation maritime internationale et l’Association du transport aérien international, avaient proposé des stratégies dont les pays discutaient.

Personne n’était d’accord sur les stratégies proposées pour des raisons diverses. Soit parce que c’est trop ambitieux – c’est le cas de l’Inde –, soit pas assez, comme pour l’Union européenne. La Chine dit par exemple « pourquoi pas faire des efforts, mais il faudrait que les pays développés financent cela pour les pays en développement. » Pour l’Arabie saoudite, il y avait tellement de choses qui n’allaient pas dans le texte qu’elle ne voulait même pas le prendre comme base de négociations. Et pour en citer un dernier, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui s’exprimait au nom de son groupe, disait que si on imposait des restrictions trop fortes, ce serait préjudiciable pour elle, qu’elle n’avait pas l’argent pour renouveler sa flotte d’avions compatible avec de nouveaux carburants et que sans financement, ils ne seraient pas d’accord pour avancer dans cette direction. Bref, la conclusion, c’est qu’on en reparle l’année prochaine.

Alice, vos impressions ?

Alice Guipouy-Munoz : C’est une plongée dans le grand bain du multilatéralisme et la barre est très, très haute pour comprendre ce qui se passe. J’essaie d’abord de me faire au langage onusien. On est frappé par la complexité technique des sujets et la lenteur du processus, et le décalage très fort avec l’urgence climatique. Quand les pays prennent la parole, c’est surtout pour se positionner et dire s’ils sont d’accord avec d’autres. J’ai assisté à des réunions concernant les articles 6.2, 6.4 et 6.8 de l’Accord de Paris et j’ai été surprise de voir que les objectifs de l’Accord font encore l’objet de négociations. Il y a encore des Parties qui veulent les changer parce qu’ils disent que ce ne sera pas réalisable.

Vous avez promis, avant de partir, que vous « donnerez à voir » à vos camarades à Paris « les dessous de cet évènement ». À ce stade, qu’allez-vous leur rapporter d’intéressant ?

A.G.-M. : Cette semaine, on va pouvoir faire un direct avec les étudiants de l’ENS. L’idée est de montrer les coulisses. J’ai reçu par erreur une invitation à des négociations « informelles informelles ». C’est-à-dire qu’il y a une première négociation informelle à laquelle on peut assister et si elle n’aboutit pas, les Parties prévoient une seconde étape de négociations. Et là, on a vu des jeux de pouvoir qui ne ressortent pas forcément en plénière [les assemblées qui rassemblent l’ensemble des pays, NDLR] et qui sont très explicites. Très clairement, ce sont les États-Unis qui dominent. Quand les États-Unis parlent, tout le monde se tait ou prend des notes et ils ont le dernier mot sur les négociations. Et là, c’est quelque chose de très interpersonnel : les délégués se réunissent en tout petit cercle et décident de la manière dont ils vont se coaliser ou pas. Je l’imaginais, mais le voir en vrai, c’est différent.

Vos sujets de travail concernent entre autres la géopolitique de l’énergie et la question des pertes et préjudices. C’est votre COP ! En France, la question de l’énergie est fortement focalisée sur le nucléaire. Est-ce que ce thème est aussi présent dans les négociations ?

A. G.-M. : On a vu effectivement quelques stands du nucléaire, mais les acteurs du nucléaire sont plutôt marginalisés par rapport aux acteurs pétroliers ou du gaz. C’est une COP, c’est une vitrine : ce qui ressort davantage, c’est le paquet sur les énergies renouvelables et pas tellement le nucléaire. Ça correspond aussi à des enjeux de souveraineté et militaires qui font que ce n’est pas aussi exportable que des éoliennes.

T. S. : c’est vrai qu’on les sent moins présents dans les négociations par rapport aux pays pétroliers. Mais dans les stands, on voit beaucoup de gens pro-nucléaire qui ont des t-shirts et qui distribuent des badges.

A. G.-M. : Quant aux pertes et dommages, c’est le gros de cette COP qui cristallise beaucoup d’espoirs, notamment de la part des pays émergents. Le Sénégal, le Pakistan, le Bangladesh ont des propos alarmants disant que c’est déjà là et qu’il faut des financements. De l’autre côté, les États-Unis et d’autres groupes beaucoup plus puissants ralentissent et mettent à l’agenda des sommets, des dialogues, des ateliers, et on a été surpris de voir des pays comme l’Argentine dire, au nom du G77 [groupe des pays émergents et en développement, NDLR] « stop, il y en a assez de cette bureaucratie » et que ça. Sur ce sujet, le clivage Nord-Sud est fort, très, alors qu’il peut être gommé sur d’autres. Ce qui se joue, c’est qui va payer et la reconnaissance de qui est à l’origine des émissions et qui est vulnérable.

S’agissant de l’Ukraine, existe-t-il un bilan des conséquences environnementales, après neuf mois ou quasi de guerre ?

T. S. : La semaine dernière, il y a eu un side-event [en marge des négociations, de nombreuses conférences et évènement sont organisés dans les pavillons des pays, NDLR] qui parlait des impacts environnementaux des activités militaires et les Ukrainiens étaient très présents. Ils en ont fait le sujet majeur de leur pavillon cette année. À cette conférence-là, ils ont montré qu’il y avait plusieurs impacts. Ceux liés à des incendies déclenchés par des bombardements, la dégradation d’espaces naturels du fait de l’invasion russe dans l’Est… Ils ont également proposé au Giec de mettre en place une méthodologie pour évaluer l’impact des éclats d’obus au niveau de l’environnement, qui est apparemment assez important. Enfin, la reconstruction va générer énormément de gaz à effet de serre. Et il y a un débat sur l’attribution des émissions : est-ce que les émissions causées par la guerre que les Russes ont déclenchée en Ukraine sont russes ou ukrainiennes ?

Mesurer l’empreinte carbone d’un conflit peut sembler décalé alors que l’urgence est de sauver des vies, préserver des villes. En quoi est-ce intéressant ?

T. S. : C’est important de savoir exactement combien on émet. Mais pour les conflits, il y a beaucoup de secrets défense qui empêchent l’accès aux données. Personne ne sait aujourd’hui de combien de pour cent des émissions de gaz à effet de serre mondiales les activités militaires sont responsables. Dévoiler des données sur la pollution générée, c’est aussi dévoiler ce qu’on a comme matériel.

Il y a différentes estimations, certaines parlent de l’ordre de 5%. C’est à prendre avec des pincettes. Mais ça donne un ordre d’idée comme quoi c’est colossal. Il y a des données publiques. On sait par exemple que l’armée américaine est le premier consommateur mondial d’hydrocarbures. Les impacts sont donc énormes, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix lors des exercices. C’est sûr que les armées ont des objectifs opérationnels, elles ne mettront jamais les objectifs environnementaux au premier rang. Mais certaines conventions pourraient être signées.

Pour vous rendre ici, vous avez souhaité réduire votre empreinte carbone. Comment avez-vous procédé ?

T. S. : On est dans des cas différents. Mais pour ma part, j’ai pris le train jusqu’à Naples puis l’avion. On a étudié différentes options en bateau, mais c’était très cher et complexe à mettre en place. Aller jusqu’à Istanbul en train n’a pas pu se faire non plus. Je ferai la même chose au retour. Ça fait une journée de voyage, contre cinq heures d’avion, mais ça réduit les émissions de 30% environ.


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