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Coupe du monde au Qatar : budget, impact climatique, décès d’ouvriers… Les cinq chiffres d’un événement démesuré

Une Coupe du monde de foot qui bat tous les records. Y compris les plus tragiques. Dès 2010, le choix du Qatar pour organiser la grand-messe de 2022 a suscité de vives critiques. A l’approche de l’événement, de nombreux appels au boycott ont même été lancés par des personnalités, comme l’ancien footballeur Eric Cantona ou l’acteur Vincent Lindon.

Dans le viseur de ceux qui appellent à se désintéresser du Mondial, un rendez-vous synonyme de démesure, bien loin des impératifs de sobriété énergétique pour faire face au changement climatique. Le non-respect des droits humains au Qatar est également dénoncé, notamment au regard du nombre de morts parmi les travailleurs étrangers ces dix dernières années. Franceinfo revient en cinq chiffres et graphiques sur les aberrations de ce barnum footballistique.

1 Quatre fois plus de visiteurs étrangers que de Qataris durant la compétition

Au moins 1,2 million de personnes sont attendues dans la péninsule du Golfe persique pendant un mois, ce qui correspond à un accroissement de population de plus de 40%, puisque le Qatar compte 2,8 millions de résidents en 2022. Le pays ne communique pas sur son nombre de ressortissants, mais l’estimation d’une agence de consultants locale* évoque un peu plus de 330 000 Qataris, 90% de la population locale étant étrangère. Le nombre de locaux est donc quatre fois inférieur au nombre de visiteurs attendus pour la compétition.

Historiquement, il faut remonter à la première édition de la compétition, en 1930 en Uruguay, pour trouver trace d’un tel ratio entre la population d’un pays hôte et le nombre de visiteurs attendus. Le pays sud-américain comptait à l’époque un peu moins de deux millions d’habitants, d’après le Journal de la société des américanistes. Mais cette première édition, qui ne rassemblait que 13 équipes, n’avait rien à voir avec le gigantisme de la Coupe du monde d’aujourd’hui.

2 Un coût estimé à 200 milliards de dollars

Pour accueillir le tournoi, les chantiers ont germé un peu partout dans le pays. Parmi eux, le stade de Lusail, d’une capacité de 80 000 places. Situé à 20 km au nord de Doha, la capitale, il a coûté 767 millions de dollars, selon Skynews (lien en anglais). Hassan Al Thawadi, secrétaire général du comité d’organisation de la Coupe du monde, estimait en 2016 que le coût total de la construction des stades s’élevait entre 8 et 10 milliards de dollars, d’après le site Arabian Business*.

Mais les chantiers ne se limitent pas aux seuls équipements sportifs. Toutes les infrastructures nécessaires à l’accueil des 1,2 million de supporters étaient à construire : aéroport, hôtels, autoroutes, etc. Plusieurs lignes de métro sont ainsi sorties de terre à Doha pour l’occasion. Elles s’étendent sur 76 km et ont coûté 36 milliards de dollars. Leur gestion a été confiée à une joint-venture composée à moitié par des entreprises françaises : la RATP et Keolis, une filiale de la SNCF.

Au total, 200 milliards de dollars ont été dépensés, selon une étude du cabinet britannique Deloitte en vue de l’événement, soit presque 20 fois plus que ce qui a été estimé pour la précédente Coupe du monde, en Russie, dont le budget était déjà élevé par rapport aux éditions précédentes. « On a constaté une nouvelle dynamique après la Coupe du monde en Afrique du Sud, mais celle au Qatar est clairement la plus chère de l’histoire », explique à franceinfo Luc Arrondel, spécialiste de l’économie du football au CNRS, qui a recensé le coût des différentes éditions. Des chiffres validés par Wladimir Andreff, président du conseil scientifique de l’Observatoire de l’économie du sport.

Pour Pierre Rondeau, autre économiste du sport, il est indiscutable qu’il s’agit de l’événement sportif le plus cher jamais organisé. Il précise cependant que ces 200 milliards incluent « des infrastructures (hôtels, métros) qui ne serviront pas seulement à la Coupe du monde », mais dont la vocation est durable. 

3 Seulement 55 km entre les deux stades les plus éloignés

Un très grand événement… dans un tout petit pays. La superficie du Qatar dépasse à peine les 11 000 km², soit un territoire comparable à celui de la Gironde. La grande majorité de la population vit sur le littoral est de ce pays désertique. Les stades sont donc concentrés dans ce petit périmètre. Les deux enceintes les plus éloignées (Al Bayt et Al Janoub) ne sont distantes que de 55 km, soit un trajet Paris-Fontainebleau. Ce qui fait de cette Coupe du monde la plus « compacte » de l’histoire.

Au cours des 20 dernières éditions, l’Allemagne (2006) était jusque-là celle qui présentait la plus grande compacité : 600 km séparent les stades les plus éloignés de Munich et de Hambourg. La comparaison avec les deux dernières éditions organisées par les géants russe (2018) et brésilien (2014) est encore plus frappante. La distance maximale entre deux stades au Brésil est 57 fois supérieure à celle constatée au Qatar. En Russie, elle est 45 fois plus grande.

Cette concentration est, a priori, un bon point pour réduire l’impact carbone de la compétition, car les longs trajets en avion des équipes et des supporters sont limités. Mais la capacité hôtelière du Qatar demeure trop restreinte pour 1,2 million de visiteurs. Nombre d’entre eux effectueront des allers-retours quotidiens en avion pour dormir dans les pays limitrophes : le PDG de Qatar Airways a ainsi affirmé vouloir affréter 160 vols supplémentaires par jour entre le Qatar et ses voisins durant le Mondial, rapporte CNN*.

4 3,6 millions de tonnes équivalent CO2 émises… au minimum

Pour l’organisation au Qatar, les émissions de gaz à effet de serre s’élèvent à 3,6 millions de tonnes équivalent CO2, selon une estimation livrée par la Fifa elle-même. Ce chiffre demeure très contesté par les ONG, mais il permet de comparer les éditions puisque la fédération établit un bilan depuis 2014. L’estimation de 2022 est ainsi nettement plus élevée que celle des éditions précédentes : +70% par rapport au Mondial en Russie, par exemple.

Les transports sont à l’origine de plus de la moitié des gaz à effet de serre émis, dont 90% sont imputables au seul transport aérien international. L’accueil et le logement des personnes arrivant pour la compétition est le deuxième poste d’émissions. Les constructions permanentes, le troisième. 

Mais l’ONG Carbon Market Watch* dénonce ce calcul, notamment en ce qui concerne les stades. Au Qatar, certains seront « permanents », ils survivront à la compétition. D’autres verront leur capacité réduite à l’issue du tournoi. Un dernier stade sera même totalement démonté (il est composé de containers).

Quand la Fifa décompte 206 kilotonnes équivalent CO2 (ktCO2e) pour les enceintes permanentes, l’ONG évoque plutôt 1 620 ktCO2e. L’instance du football mondial ne recense en réalité que les infrastructures servant exclusivement pour l’événement, comme le stade démontable, ou les places qui seront retirées des stades après la compétition. Pour les stades permanents, elle n’attribue à la Coupe du monde que les émissions d’un mois d’utilisation sur une durée de vie estimée à 60 ans… soit 0,1% du bilan carbone total du stade.

La Fifa a également affiché l’objectif d’organiser la première Coupe du monde neutre en carbone en finançant des projets permettant de capturer du carbone (comme la plantation d’arbres) afin de compenser les émissions. Mais là encore, Carbon Market Watch se montre sceptique. Elle dénonce auprès de franceinfo les retards de mise en application des projets et leur qualité relative.

5 Au moins 6 500 travailleurs étrangers morts au Qatar entre 2010 et 2020

Plus de 6 500 morts. Ce chiffre issu d’une enquête du Guardian, en 2021*, a fait le tour du monde. Il correspond au nombre de travailleurs indiens, pakistanais, népalais, bangladais et sri-lankais morts au Qatar entre 2010 et 2020.

Tous ne sont pas morts sur des chantiers liés à la Coupe du monde, mais la préparation de cet événement a entraîné une forte demande de main-d’œuvre au Qatar sur cette période. Le nombre de travailleurs étrangers a d’ailleurs doublé sur les dix dernières années, passant de 1 à 2 millions de personnes, selon Amnesty International. Le Guardian précise que ce chiffre n’est pas exhaustif puisque certains pays pourvoyeurs de nombreux travailleurs, comme le Kenya ou les Philippines, n’ont pas communiqué leurs chiffres.

De quoi sont morts ces travailleurs ? Comme le dénonce Amnesty International, le motif présent sur le certificat de décès est souvent flou. L’expression « cause naturelle » apposée pour des personnes parfois âgées d’une trentaine d’années reste trouble. The Guardian explique que ce motif de décès est précisé pour 80% des morts indiens, dont le pays paie le plus lourd tribut avec plus de 2 700 décès depuis 2010. Selon Lola Schulmann, spécialiste des droits économiques et sociaux à Amnesty, les conditions de travail sont bien la première cause de ces morts : « On parle de personnes qui peuvent travailler en extérieur 14 heures par jour, 7 jours sur 7, sous de très fortes chaleurs », détaille-t-elle à franceinfo. 

La comparaison avec les précédentes éditions reste très difficile à établir. Les chiffres existant pour les Mondiaux passés sont très éloignés de ceux du Qatar : 21 morts pour l’édition russe en 2018, selon l’ONG Human Rights Watch*, et 8 pour celle de 2014 au Brésil, d’après l’agence Reuters*. Mais ces chiffres ne concernent que les accidents ayant eu lieu sur les chantiers des stades. Ils sont donc difficilement comparables aux 6 500 morts évoqués au Qatar.

On peut aussi mesurer l’ampleur de ce chiffre en le comparant aux accidents du travail en France. Sur la période 2011-2020, le nombre total d’accidents du travail fatals en France s’élève à un peu plus de 6 000, selon Eurostat*. Moins qu’au Qatar, donc, alors que la France compte 24 fois plus d’habitants.

*Les liens suivis d’un astérisque sont en anglais.


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