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CARTE. Pourquoi l’immigration irrégulière augmente légèrement en Europe, après des années de baisse

Les migrants de nouveau au cœur des préoccupations européennes. Les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne ont rendez-vous vendredi 25 novembre pour évoquer la récente augmentation des flux migratoires, et plus particulièrement le pacte de solidarité proposé de longue date par l’UE. En prévision de cette réunion, la Commission européenne a préparé un « plan d’action » de 20 mesures (en anglais) face à une situation jugée critique. « En 2022, les arrivées irrégulières ont augmenté sur toutes les routes », y assure-t-elle notamment.

Problème : ses propres données la contredisent sur ce point, même si certaines zones ont bel et bien vu une hausse sensible des arrivées clandestines sur le territoire européen. Carte à l’appui, franceinfo fait le point sur l’évolution des flux migratoires vers l’UE pour l’année en cours.

Sources : Frontex, Ministère espagnol de l'Intérieur (via Commission européenne) (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Sources : Frontex, Ministère espagnol de l'Intérieur (via Commission européenne) (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

C’est le principal enseignement à tirer des chiffres provisoires de 2022 concernant l’immigration clandestine en Europe : les migrants traversent majoritairement la Méditerranée en bateau depuis la Libye et la Tunisie. En tout, 79 140 arrivées irrégulières ont été enregistrées sur la « route centrale », d’après un décompte de la Commission, qui repose sur des données de Frontex et du ministère de l’Intérieur espagnol. Un chiffre en légère hausse par rapport à 2021, quand 67 724 arrivées avaient été signalées sur cette route migratoire. Ces deux dernières années, la route centrale représentait plus de la moitié des entrées irrégulières dans l’UE.

En deuxième position, les arrivées par la route orientale, qui concernent notamment la Turquie, la Grèce et les Balkans, sont elles aussi en hausse pour l’année 2022. Jusqu’à présent, 35 343 arrivées irrégulières ont été enregistrées autour de cette route, contre 20 567 sur toute l’année précédente. Soit une augmentation de 70% environ.

Enfin, la route occidentale est la moins empruntée cette année, avec un décompte provisoire de 28 032 arrivées irrégulières. Un chiffre pour l’instant en baisse par rapport à l’année 2021, qui avait enregistré près de 42 000 arrivées via cette route passant par l’Espagne et ses enclaves de Ceuta et Melilla, en Afrique du Nord. Au total, les flux migratoires sur ces trois routes ont augmenté en 2022, pour passer de 132 236 à 142 515 entrées. Soit une hausse provisoire de 7%.

Les chiffres de 2022 confirment la tendance observée ces deux dernières années, à savoir une hausse graduelle des arrivées irrégulières depuis 2020 et la fermeture des frontières pour limiter la pandémie de Covid-19. « L’impact de la crise sanitaire reste limité, même si certains pays comme la Hongrie en ont profité pour bloquer l’entrée de toute personne voulant demander la protection internationale sur leur sol », nuance Matthieu Tardis, responsable du Centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Les données récentes sont néanmoins sans commune mesure avec celles de l’année 2015, qui avait vu affluer plus d’un million d’exilés en Europe.

Depuis ce pic migratoire, lié en majeure partie à l’exil de Syriens qui avaient emprunté la route orientale, le nombre d’arrivées irrégulières en Europe a sensiblement baissé. Outre la dimension des flux, leur composition a changé ces dernières années. Sur la route centrale, les Tunisiens, les Egyptiens et les Bangladais sont devenus majoritaires, selon les chiffres du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR).

Le choix de la route migratoire peut s’expliquer par la proximité géographique, mais aussi par les politiques de visa des différents pays. « Il y a par exemple eu une augmentation des arrivées de Tunisiens par les Balkans occidentaux et en Italie, parce qu’ils n’avaient pas besoin de visa pour aller en Serbie », explique Matthieu Tardis. Les accords passés entre l’UE et des pays tiers, comme la Turquie, limitent aussi les flux migratoires et modifient leurs itinéraires.

Il faut néanmoins rappeler que les arrivées irrégulières dans le sud de l’Europe représentent une infime partie de l’immigration totale qu’a connue l’UE au cours de l’année 2022. Selon un décompte de l’UNHCR publié le 22 novembre, 7 865 619 personnes ont fui la guerre en Ukraine pour se réfugier à travers le continent européen, dont un million d’Ukrainiens en Allemagne, plus de 170 000 en Italie, plus de 150 000 en Espagne et en Turquie, ainsi que 119 000 personnes réfugiées en France.

« L’Europe se préoccupe des arrivées en Méditerranée alors que l’on est en train de vivre l’un des plus grands déplacements de population sur le continent européen depuis la Seconde Guerre mondiale, souligne Matthieu Tardis. Mais ces millions de personnes ne sont pas perçues comme de l’immigration, la différence est notable. »

Le responsable de l’Ifri invite aussi à questionner les chiffres et leurs usages. « Pour Frontex, par exemple, je ne doute pas de leurs données, mais il faut rappeler que ce sont simplement des franchissements de frontière qui sont comptabilisés. » Ainsi, une personne peut très bien entrer dans l’Union européenne par la Grèce, puis ressortir pour aller dans les Balkans et y entrer à nouveau. « On compte alors deux franchissements, mais il s’agit d’un seul individu. Attention donc à ne pas surévaluer la situation », met en garde le chercheur.


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