A la Une

Agent du fisc tué : « Je ne suis plus serein dans la rue », entre menaces et agressions, les inspecteurs des impôts se confient

Une semaine après l’assassinat à coups de couteau d’un inspecteur des impôts chez un brocanteur à Bullecourt, dans le Pas-de-Calais, franceinfo donne la parole aux agents du fisc, une profession qui souffre d’une mauvaise image depuis longtemps.

>> Pas-de-Calais : ce que l’on sait de la mort d’un inspecteur des impôts tué lors d’un contrôle fiscal

De leurs témoignages transpire une inquiétude grandissante face aux menaces quotidiennes. Souvent, cela démarre avec des insultes : « feignant », « bon à rien », « uniquement là pour taper sur le travailleur »

Jean-Pierre (nom d’emprunt) reçoit ce genre de réflexions presque tous les jours. Il est agent du fisc depuis 20 ans dans le sud de la France et il y a trois mois, il a déposé une main-courante car rapidement, après les insultes, il a été directement menacé. « La menace est claire : ‘Je te connais, je sais qui tu es’ prononcé deux fois, soupire Jean-Pierre, et on se retrouve face à quelqu’un qui s’énerve d’un seul coup et qui veut en venir aux mains. » Jean-Pierre et son interlocuteur se retrouvent alors front contre front, avant qu’un agent de sécurité n’intervienne pour les séparer. Physiquement, Jean-Pierre est solide : 1m83 pour quelque 100 kilos. Pourtant, ce jour-là, il a eu peur.

« Depuis ce jour, je ne suis plus serein dans la rue, je regarde toujours autour de moi, je fais très attention. Cela laisse des séquelles, c’est marquant, usant, à vivre au jour le jour c’est terrible. »

Jean-Pierre

à franceinfo

« Il m’est arrivé il n’y a pas longtemps d’entendre de l’autre côté de la rue en bas de chez moi ‘Tiens, c’est l’inspecteur des impôts…’ Et c’est autant surprenant qu’inquiétant. », soupire Jean-Pierre. Même si elles sont rarement physiques, les agressions sont courantes. Les menaces de mort aussi. Un agent confie ainsi qu’un contribuable a mimé devant lui une attaque à la mitraillette. Cécile, qui travaille depuis 22 ans dans un centre des impôts à Marseille, a vécu une situation similaire. « J’ai été notamment menacée de mort avec le geste du doigt sous la gorge, comme pour me dire qu’il allait me la couper, se souvient Cécile. Cela me met dans un état de stress et j’ai le contrecoup à la fin du service, où je me demande ce que j’ai fait de mal. J’ai même tendance à culpabiliser. »

C’était en 2013. Elle a bien porté plainte. Le dossier a été classé sans suite quelques mois plus tard. Cette année, 44 signalements sont arrivés sur le bureau de la direction générale des finances publiques. C’est moins que d’habitude, car depuis l’épidémie de Covid-19, de plus en plus de contrôles fiscaux se font en distanciel.

C’est sans compter que beaucoup d’agents renoncent à porter plainte, expliquent les syndicats, souvent parce que les agents banalisent ces insultes. Et pourtant selon Morgane Laurand, secrétaire départementale CGT finances publiques en Seine-et-Marne, la tension est grandissante ces dernières années. « C’est dû à une misère sociale qui est en train de s’installer, à des services publics qui sont de plus en plus délabrés, souligne Morgane Laurand. On a des contribuables qui ont de plus en plus de mal à nous joindre, qui n’ont pas accès au numérique alors que maintenant tout est numérisé chez nous. »

« Il y a vraiment un gouffre qui est en train de se créer entre les agents du service public et les contribuables et cela crée une tension qui devient de plus en plus palpable. »

Morgane Laurand

à franceinfo

Les agents du fisc sont en effet moins présents auprès des citoyens, et moins nombreux tout court : selon le principal syndicat du secteur, Solidaires Finances publiques, en dix ans, on a dénombré quelque 20 000 suppressions de postes et 850 départs supplémentaires sont prévus l’année prochaine, justifiés par la fin de la taxe d’habitation.

Mais le drame de Bullecourt pourrait faire changer les pratiques du métier, si l’on en croit Claude Girault, le directeur départemental des finances publiques dans le Pas-de-Calais. « On échange beaucoup avec nos agents sur les déplacements dans les entreprises, indique Claude Girault. C’est important de voir comment les entreprises travaillent, mais on sait que parfois nous sommes au domicile des entrepreneurs et c’est là que la situation peut devenir plus compliquée. Donc c’est une piste très importante et très intéressante qui est à creuser. » Pour éviter que d’autres drames se produisent, les agents peuvent suivre une formation pour apprendre à gérer un usager agressif. Sur le terrain, les contrôles se font parfois à deux, pour se sentir en sécurité. C’est une possibilité, mais qui est, pour l’instant, loin d’être devenue l’usage.


Continuer à lire sur le site France Info