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Manifestations en Chine : comment un incendie mortel dans un immeuble confiné a déclenché une vague de colère dans le pays

Il a catalysé la colère et mis le feu aux poudres. Un incendie mortel, survenu jeudi 24 novembre à Urumqi, capitale de la province du Xinjiang, dans le nord-ouest du pays, a favorisé le mouvement de protestation historique qui secoue la Chine. Depuis, des manifestations ont lieu dans plusieurs villes contre la politique « zéro Covid » draconienne de Pékin. Selon des messages qui circulent sur les réseaux sociaux, les restrictions sanitaires dans cet immeuble confiné ont entravé le travail des secours et causé indirectement la mort de dix personnes, selon un bilan officiel. Franceinfo revient sur ce drame, qui cristallise la lassitude de la population à l’égard de la politique du régime communiste. 

Des habitants pris au piège dans leur appartement

Le feu s’est déclaré au 15e étage du bâtiment jeudi en début de soirée et s’est propagé aux étages supérieurs. Il a fallu trois heures pour éteindre l’incendie, ont rapporté les médias d’Etat et les restrictions anti-Covid en vigueur sont soupçonnées d’avoir empêché les secours d’intervenir plus rapidement. Des voitures et des poteaux au sol bloquaient le passage des pompiers, ont d’ailleurs admis des responsables de la ville de 3,5 millions d’habitants. Selon le New York Times (en anglais), des internautes ont affirmé que les voitures garées dans la zone ne pouvaient pas être déplacées car leurs batteries étaient à plat en raison du confinement. Une grande partie du Xinjiang est bouclée depuis trois mois pour cause de recrudescence des cas de Covid, comme dans l’ensemble du pays.

L’eau pulvérisée par un camion de pompiers stationné à l’extérieur a à peine atteint les fenêtres en feu, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Sur une autre vidéo, on entend les cris d’agonie d’habitants piégés à l’intérieur. Certains témoins et internautes ont affirmé que les portes du bâtiment étaient fermées à clé. Un résident a témoigné auprès de la BBC (en anglais) du fait que les gens n’étaient autorisés à quitter leur domicile que pour de courtes périodes chaque jour, sous la surveillance des autorités. « Chaque tragédie est pire que [le variant] Omicron lui-même », a commenté un internaute sur le réseau social Weibo, rapporte le média britannique.

Les autorités chinoises n’ont pas encore révélé l’identité des personnes décédées dans l’incendie. Mais en ligne, certaines spéculations laissent entendre que le nombre réel de morts serait plus élevé. Une photo des restes carbonisés du bâtiment qui circule sur internet montre des fenêtres noircies et détruites sur six étages.

Des membres de la minorité ouïghoure parmi les victimes

Cette région reculée est aussi en proie à une répression contre la minorité musulmane ouïghoure. « Au Xinjiang, où vivent les Ouïghours et d’autres minorités principalement musulmanes [persécutées en Chine], la durée du confinement bat tous les records sans qu’on puisse en entrevoir la fin », relate l’hebdomadaire japonais Nikkei Asia, traduit par Courrier international. Les autorités ont « commencé à boucler Urumqi le 10 août », précise le média. Le gouvernement chinois « a montré qu’il ne se soucie pas de la vie du peuple ouïghour. Comment les pompiers sont-ils incapables de contrôler cela en trois heures dans un pays comme la Chine, avec toutes ses installations, ses équipements et son personnel ? », s’insurge dans le New York Times un universitaire ouïghour basé à Washington.

Abdulhafiz Maimaitimin, un Ouïghour de 27 ans originaire du Xinjiang et exilé en Suisse, a perdu cinq de ses proches dans l’incendie, sa tante de 48 ans et quatre de ses cousins âgés de 4 à 13 ans. Quand il a appris le drame, « (ses) bras et (ses) jambes ont tremblé ». « J’ai eu des vertiges, j’avais envie de vomir. Je ne pouvais pas réaliser », a-t-il rapporté à l’AFP depuis son domicile de Zurich. Abdulhafiz Maimaitimin pense que sa famille n’a pas été secourue à temps parce qu’elle était issue de cette ethnie et vivait dans un quartier à majorité ouïghoure du district de Tianshan.

Le jeune homme avait perdu le contact avec sa tante en mai 2017, quand une vaste répression de Pékin contre cette minorité musulmane avait conduit à l’arrestation d’un million de Ouïghours, détenus arbitrairement dans des prisons et des camps d’internement, certains simplement pour avoir parlé à des proches à l’étranger. Il craint désormais que le régime chinois s’en prenne aux manifestants et à la minorité musulmane. « Je ne ferai jamais confiance au gouvernement chinois. Si les Ouïghours protestaient, ils les étrangleraient jusqu’à la mort, a-t-il déclaré. Je pense que les manifestants seront attrapés, et (les Ouïghours) seront soumis à un contrôle encore plus strict. »

Des manifestations de grande ampleur et des veillées à Urumqi 

Malgré les risques encourus, des manifestations de grande ampleur et des veillées aux chandelles ont eu lieu depuis vendredi 25 novembre à Urumqi, essaimant dans plusieurs autres grandes villes du pays et même à l’étranger. Des vidéos ont montré des groupes descendant dans les rues d’Urumqi et scandant : « Mettez fin aux mesures de confinement ». « Jamais autant d’habitants n’avaient violé un confinement en descendant dans les rues comme à Urumqi« , écrit le correspondant du Monde, Simon Leplâtre.

Les restrictions ont finalement été assouplies dans cette ville où, depuis mardi 29 novembre, les habitants peuvent se déplacer en bus pour faire leurs courses. Sui Rong, chef de la propagande du régime à Urumqi, a affirmé que la ville avait « pratiquement éliminé les cas de Covid dans la société » grâce aux mesures de confinement, rapporte CNN (en anglais)

Le ministère des Affaires étrangères chinois a accusé des « forces aux motivations cachées » d’établir un lien entre cet incendie et « la réponse locale au Covid-19 », selon son porte-parole, Zhao Lijian. Sous « la direction du Parti communiste chinois et (avec) le soutien du peuple chinois, notre combat contre le Covid-19 sera une réussite », a-t-il clamé.


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