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L’article à lire pour comprendre le débat sur la fin de vie en France

A l’initiative d’Emmanuel Macron, le débat sur l’euthanasie ou le suicide assisté est relancé en France, en vue d’une éventuelle loi « d’ici à la fin de l’année 2023 ».

Peut-on librement décider de sa mort ? La question est au cœur d’un débat national qui s’est ouvert, vendredi 9 décembre, avec le lancement de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Cette assemblée de citoyens tirés au sort doit plancher pendant quatre mois sur la façon dont on meurt en France. En parallèle, des consultations ont déjà été lancées par l’exécutif auprès de parlementaires, de professionnels de santé et de Français désireux de prendre part à la réflexion.

L’Elysée espère ainsi poser les bases d’un « débat ordonné, serein et éclairé », qui pourrait aboutir à une loi à la fin 2023. L’opération s’annonce délicate, tant les positions peuvent être éloignées entre les militants d’une mort « choisie », qui défendent la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté, et les partisans d’une mort « naturelle » qu’ils appellent à mieux accompagner grâce aux soins palliatifs.

Pourquoi le débat est-il relancé ?

Durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron est resté discret sur les questions de fin de vie, tout comme son gouvernement, qui s’est contenté de relancer un plan de développement des soins palliatifs. Une succession d’événements est pourtant venue interroger la pertinence du modèle français : la mort de Vincent Lambert en 2019, l‘ultime combat du militant Alain Cocq en 2020, le suicide assisté en Suisse de Paulette Guinchard, ex-secrétaire d’Etat de Lionel Jospin, en 2021, ou encore la légalisation de l’euthanasie en Espagne la même année. Sans oublier la crise du Covid-19 et son lot de morts confinés dans des hôpitaux et des Ehpad.

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La pression politique est montée, l’an dernier, avec l’examen à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi « pour le droit à une fin de vie libre et choisie ». Le texte n’a pas pu être voté dans les temps, mais il a révélé un large soutien des députés, y compris de la majorité, pour une aide active à mourir. Pressé par son propre camp, le chef de l’Etat s’est donc résolu à ce que cette question soit « débattue de manière approfondie par la nation », selon l’Elysée.

Comment ce débat « approfondi » va-t-il se dérouler ?

La Convention citoyenne sur la fin de vie sera « la pierre angulaire » de la réflexion, assure le Conseil économique, social et environnemental (Cese), chargé de son organisation. Jusqu’à la fin mars, 185 citoyens représentatifs de la population française se réuniront, à neuf reprises, à Paris, pour sonder les forces et faiblesses de la loi actuelle et débattre d’éventuels changements.

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D’autres discussions ont déjà débuté. Des rencontres avec des experts sont proposées dans tous les territoires par les espaces éthiques régionaux. Le gouvernement a initié des concertations avec les acteurs de terrain, « comme les équipes des soins palliatifs ». Il a mis sur pied un groupe de travail parlementaire transpartisan. Des députés ont aussi lancé, comme pour mieux affirmer leur indépendance, une mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti. C’est ce texte qui constitue le socle du cadre actuel.

Quel est le cadre législatif actuel ?

La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 a renforcé un arsenal législatif de plus en plus protecteur des droits des malades. Elle a imposé aux médecins, sauf exception, le devoir de suivre les directives anticipées rédigées par les patients majeurs. Ces documents permettent, par exemple, d’exprimer un refus de tout acharnement thérapeutique ou un souhait de mourir à domicile. La loi a aussi introduit la possibilité pour un malade de désigner une personne de confiance pour faire respecter ses dernières volontés.

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Autre avancée notable : l’apparition formelle de la sédation profonde et continue. « A la demande du patient d’éviter toute souffrance », cette procédure permet de plonger la personne dans un état d’inconscience, en plus d’un arrêt des traitements et d’une administration d’antalgique destinée à apaiser les douleurs. Cet endormissement jusqu’à la mort peut être réalisé à l’hôpital comme à domicile. Sa pratique est cependant réservée aux pronostics vitaux engagés à court terme, ne dépassant pas quelques jours. Les patients doivent être atteints d’une maladie grave et incurable et d’une souffrance qui résiste aux traitements (ou être en demande d’un arrêt des traitements qui entraînerait une souffrance insupportable).

Quelle est la différence entre cette sédation, l’euthanasie et le suicide assisté ?

La sédation profonde et continue permet d’éviter autant de souffrances que possible dans les derniers jours de vie. La volonté première est de soulager, non de faire mourir, même si les traitements analgésiques et sédatifs « peuvent avoir comme effet d’abréger la vie », reconnaît le Code de la santé publique. A l’inverse, l’euthanasie est un acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’un patient, à sa demande. Le suicide assisté donne la possibilité à un médecin de prescrire un produit létal que le malade s’administre lui-même. Dans ces deux derniers cas, l’objectif est d’accélérer la mort, qui survient en quelques instants.

L’euthanasie et le suicide assisté sont interdits en France, passibles de peines de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité pour assassinat. Pourtant, dans le secret des hôpitaux ou des maisons, au moins 1  000 morts sont provoquées par des euthanasies clandestines chaque année, selon une extrapolation d’une enquête de l’Institut national d’études démographiques (PDF) datée de 2012. Quelques centaines d’autres personnes se rendent à l’étranger, notamment en Belgique et en Suisse, pour bénéficier d’une aide active à mourir, légale dans ces pays.

Se dirige-t-on vers une légalisation de l’euthanasie en France ?

Le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) a estimé, en septembre, qu’il existait « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir » en France, « à certaines conditions strictes ». C’est une première. Ses membres ont mis en évidence certaines limites du cadre actuel, qui ne permet pas toujours de lutter contre les souffrances des patients, notamment ceux dont le pronostic vital n’est engagé qu’à moyen terme (quelques semaines ou mois).

Une telle évolution pourrait être accueillie positivement par l’opinion publique. Dans un sondage réalisé en février par l’Ifop, commandé par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), neuf personnes sur dix se disaient favorables à l’euthanasie (51% « oui, absolument » et 43% « oui, dans certains cas ») et au suicide assisté (51% approuvaient « tout à fait » et 38% « plutôt »). En octobre, dans une autre étude Ifop, huit sondés sur dix disaient souhaiter que la Convention citoyenne sur la fin de vie « encourage un changement de la loi, avec la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté ».

Pourquoi l’aide active à mourir divise-t-elle tant ?

Pour les opposants à l’euthanasie, il est essentiel de préserver l’interdiction de donner la mort. Une telle ligne rouge est rappelée dans le serment d’Hippocrate (« Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ») et dans son équivalent légal, le Code de déontologie médicale (« Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort »). « Tuer n’est pas un soin », justifie la présidence de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, Claire Fourcade.

Des soignants mettent aussi en avant l’inconstance de nombreuses demandes d’euthanasie : la plupart des patients ne formuleraient plus ce souhait dès lors qu’ils bénéficieraient d’une bonne prise en charge de la souffrance.

« C’est normal qu’un patient demande l’euthanasie si, en face, on ne lui propose pas quelque chose d’adapté à sa situation. »

Andréa Tarot, médecin au service de soins palliatifs du CHU de Clermont-Ferrand

à France 3 Auvergne Rhône-Alpes

Une autre réserve a été formulée par des membres du CCNE. Une dépénalisation pourrait être « perçue comme le signe que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ». Surtout, les défenseurs de l’« aide active à vivre » redoutent que l’aide active à mourir devienne une solution par défaut, voire une réponse facile et peu coûteuse aux souffrances, alors que l’accès aux soins palliatifs en France reste encore très imparfait.

La France est-elle en retard en matière de soins palliatifs ?

S’il est bien une question qui appelle une réponse unanime dans ce débat, c’est celle-ci. Les soins palliatifs sont, d’après le Code de la santé publique, destinés « à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ». Dès 1999, la loi a garanti à « toute personne malade dont l’état le requiert (…) le droit d’accéder à des soins palliatifs ». Dans les faits, malgré cinq plans nationaux, il reste du chemin à parcourir. 

Les deux tiers des personnes qui meurent en France chaque année pourraient prétendre à des soins palliatifs, selon des estimations du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) présentées au Sénat. A l’hôpital, seuls 40% environ en bénéficient. Une autre donnée du CNSPFV permet de mesurer le retard français : 26 départements, souvent ruraux, ne comptent aucune unité hospitalière dédiée à ces soins. Les patients de ces territoires doivent rejoindre un autre département ou dépendre de l’éventuelle disponibilité de lits « palliatifs » au sein de services hospitaliers « classiques », d’équipes mobiles et de réseaux à domicile.

« La société française a besoin, avant toute réforme, d’une accélération des efforts entrepris ces dernières années en faveur des soins palliatifs et de la formation des professionnels de santé à leur usage », avertit le CCNE. Un tel engagement doit être, aux yeux des « sages », débattu avec la même vigueur que la question de l’aide active à mourir.

Qui va trancher ce débat sur la fin de vie ?

L’issue reste incertaine. Pour l’heure, la Première ministre, Elisabeth Borne, a demandé que le rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie lui soit remis « d’ici la fin mars 2023 ». L’exécutif pourrait alors s’inspirer de l’ensemble des travaux menés et rédiger son propre texte, a priori sous forme de projet de loi soumis au Parlement. Un temps évoquée, la piste d’un référendum semble désormais écartée.

En septembre, l’Elysée évoquait une possible évolution du cadre légal « d’ici à la fin de l’année 2023 ». Emmanuel Macron a ensuite précisé au Figaro qu’il ne s’agissait pas d’une date butoir. Si le chef de l’Etat n’affiche aucune position officielle, il s’est dit « favorable », en mars, à titre « personnel », à une évolution vers le « modèle belge » permettant l’euthanasie, comme le rapportait La Croix. A la rentrée, lors de la remise de la grand-croix de la Légion d’honneur à Line Renaud, il a salué le combat de l’artiste, marraine de l’ADMD, engagée pour l’euthanasie. Depuis, il se montre plus flou. Une manière de laisser une chance au débat, avec l’espoir d’un « consensus ».

J’ai eu la flemme de tout lire. Vous pouvez me faire un résumé ?

Longtemps réticent à s’engager sur la fin de vie, Emmanuel Macron a lancé un débat national sur le sujet. Depuis des années, des militants, des personnalités et des élus de divers bords, plaident pour une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté en France, au nom de la liberté de chacun de décider de sa mort. Sensible à ce combat, le chef de l’Etat n’en reste pas moins prudent. De nombreux soignants et penseurs s’inquiètent des dérives sociétales que pourraient susciter cette réforme, qu’ils jugent contraire à l’interdit de donner la mort. Pour eux, avant d’envisager une telle évolution, la France doit rendre effectif le droit de chaque patient à bénéficier de soins palliatifs, qui offrent souvent une réponse satisfaisante aux souffrances.

Comment trouver le juste équilibre ? Pour éviter de fracturer la société, l’Elysée dit vouloir prendre  « le temps nécessaire » au débat. Une Convention citoyenne sur la fin de vie a été ouverte, vendredi. Elle permet à des citoyens tirés au sort de s’emparer du sujet et de proposer un chemin à suivre. En parallèle, les consultations de soignants et de parlementaires s’enchaînent dans les ministères. C’est aux élus de la nation que devrait finalement revenir la mission de voter l’éventuel texte que leur soumettra l’exécutif. De là pourraient naître de simples aménagements de la loi actuelle ou, en cas de tournant plus radical, l’une des réformes sociétales majeures de l’ère Macron.


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