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REPORTAGE. « Si ça n’aboutit à rien, je le prendrai mal » : à Bar-le-Duc, les participants au CNR sur la santé espèrent « changer les choses »

Plus de 300 réunions autour de la santé sont organisées d’ici la fin de l’année dans le cadre du Conseil national de la refondation lancé par Emmanuel Macron. Franceinfo a assisté à l’une d’elles dans la Meuse.

Ils sont une vingtaine, attentifs, les yeux rivés sur deux animatrices, chacune campée à côté d’un tableau blanc. Dans la salle des fêtes de Bar-le-Duc (Meuse), la journée du mercredi 7 décembre est consacrée au recueil des doléances des citoyens et des professionnels de santé, dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR). L’objectif est d’entendre un maximum de personnes et de faire remonter les initiatives locales dans ce domaine à la région, puis au ministère de la Santé. Certaines donneront peut-être lieu à des projets de loi ou des référendums, d’autres propositions garderont leur échelle locale.

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Entre novembre et décembre, ces réunions ont germé un peu partout en France. Ces CNR ont vocation à réunir syndicats, partenaires sociaux, travailleurs, autour de plusieurs thématiques, dont la santé, l’éducation, le numérique ou encore la jeunesse. Surtout, ils ont pour ambition d’impliquer tous les citoyens volontaires. Un premier point d’étape est organisé à l’Elysée, lundi. L’occasion de convier partis politiques, syndicats et acteurs de la société civile, en grande pompe, alors que le lancement du CNR avait été boycotté par de nombreux participants. Selon la présidence, plus de 2 000 réunions ont été lancées depuis début octobre pour les trois CNR territoriaux (éducation, santé, travail). Pour le volet santé, près de 300 réunions, comme à Bar-Le-Duc, sont prévues d’ici à la fin d’année.

Le ministre de la Santé assure que l’initiative est suivie de près. « Les problèmes sont dans les territoires, les solutions aussi », a déclaré François Braun au lancement du CNR santé dans la Sarthe. A l’occasion d’une table ronde avec des journalistes, mi-novembre, le ministre avait aussi rassuré : « La dynamique est en train de bien prendre. Les élus et les professionnels ne sont jamais reçus autour d’une même table. »

A Bar-le-Duc, la consigne est appliquée à la lettre. La journée est divisée en deux temps. L’après-midi, une réunion pour les élus locaux, représentants hospitaliers et de la médecine de ville, kinésithérapeutes, infirmiers, avant celle dédiée aux citoyens et médecins qui n’ont pas réussi à se libérer en journée, de 18 à 21 heures. Ce soir-là, les médecins sont bien présents, ainsi que des cadres de santé, des élus et des soignants. Mais pas de citoyens, pourtant censés être au centre du CNR.

Des absences qui n’ont pas manqué d’être soulignées. « C’était à vous d’envoyer des invitations au personnel de santé », lance d’emblée Olivier Bouchy, vice-président de l’ordre des médecins, à l’animatrice de l’Agence régionale de santé, qui organise le CNR. « Beaucoup de gens découvrent aujourd’hui que cette réunion a lieu et beaucoup de praticiens hospitaliers l’ignorent encore, regrette le généraliste. C’est un énorme échec. »

Une fois les choses mises à plat, le CNR du soir commence. Les seize participants sont répartis en deux groupes. Chacun traite les mêmes questions : prévention, attractivité des métiers de la santé et accès aux soins. Pendant quarante minutes, chaque thème est abordé et tous les participants sont invités à partager leur avis et leurs idées.

Dans son groupe, Olivier Bouchy impose sa gouaille. Le médecin et universitaire a préparé ses interventions et les messages qu’il veut transmettre. « Je suis là parce que je suis un acteur de la Meuse depuis dix-sept ans et que j’ai envie que des choses remontent, argue-t-il. Même s’il a l’impression d’entendre « les mêmes constats que lors des réunions organisées par Roselyne Bachelot », ministre de la Santé de 2007 à 2010, il veut cette fois « qu’on aille jusqu’au bout de certaines réformes ».

A ses côtés, un élu raconte comment il a œuvré à l’installation de huit médecins dans sa commune. « Nous avons remis des moyens, demandé à des agents de la collectivité de travailler certains après-midis pour qu’il y ait des activités, retrace-t-il. Je suis moi-même allé accueillir une jeune praticienne. On a ouvert la porte du cabinet ensemble, j’étais là lors du premier rendez-vous. Il faut montrer qu’on est impliqué. » Pour éviter que l’atelier ne tourne qu’autour de cette thématique, l’animatrice, venue de l’Agence régionale de santé, s’attache au concret. « Donc, comme solution, on peut donc noter : ‘Employer un agent pour l’accueil des praticiens ?' » Tous acquiescent.

Les mains rivées sur sa pochette, Julien Kuhn, élève infirmier de 23 ans, écoute attentivement les propositions. « Nous avons la chance d’avoir des jeunes, alors posons-leur la question : ‘De quoi avez-vous envie ?' », demande l’animatrice. L’étudiant infirmier prend la parole. « Pour avoir fait plusieurs stages en milieu hospitalier, je pense qu’il faut qu’on arrête avec la logique comptable et, excusez-moi du terme, mais avec des calculs bidons et des systèmes désordonnés, avec des infirmières qui ont tellement de choses à faire à côté qu’elles ne peuvent pas nous former. »

Après un coup d’œil au groupe pour s’assurer que ses propos n’ont pas choqué, il poursuit : « On nous demande de plus en plus avec de moins en moins. On a déjà eu des stages où des étudiants se retrouvaient entre les mains de gens qui ne sont pas tuteurs et n’ont absolument pas envie d’encadrer des jeunes. On sait qu’encadrer des stagiaires, c’est une charge de travail énorme. » L’animatrice opine de la tête et note : « Améliorer la prise en charge des stagiaires à l’hôpital. »

Comme Olivier Bouchy, Julien Kuhn estime que le moment est venu de « changer les choses ». Par exemple, j’ai l’impression qu’on parle énormément de la maltraitance des stagiaires en milieux hospitaliers, mais que rien n’est fait. J’ai moi-même vécu des stages très compliqués, avec très peu d’encadrement et de valorisation de ce qu’on faisait. »

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Dans le second groupe, médecin, infirmier et cadres de santé débattent de l’accès aux médecins traitants. Alexandre Didelot, ancien représentant des étudiants de médecine et désormais généraliste à Revigny-sur-Ornain, à une vingtaine de kilomètres, a fait des pieds et des mains pour avoir voix au chapitre. « J’ai un peu harcelé l’ARS pour être là ce soir », sourit le praticien de 33 ans. Les 1er et 2 décembre, il a participé à la grève des généralistes « pour la profession, mais aussi pour améliorer le soin des patients ».

« Je suis venue parce que j’y crois et pour les patients. Si je ne me bats pas, qui le fera ? »

Gaëlle Henry, cadre de santé

à franceinfo

Alexandre Didelot espère aussi « que des choses vont se mettre en place » à l’issue des CNR et compte participer aux autres réunions organisées dans la région. « Je ne me fais pas trop d’illusions, mais au moins, j’aurais participé et dit ce qu’il faut. En revanche, si tout ça n’aboutit à rien, je le prendrai mal. »

Il est plus de 21 heures quand la réunion prend fin. L’ARS donne rendez-vous en janvier pour une restitution des travaux du Grand Est et au niveau national. Dans les rangs des participants, certains espèrent que le ministre de la Santé, qui a fait ses classes à Verdun, prête une oreille attentive à leurs revendications. Après deux heures et demie de débat, juste avant de quitter la salle, un élu ironise : « Ça fait un peu lettre au père Noël tout ça. »


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