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ENQUETE FRANCEINFO. Réforme des retraites : les députés LR plus divisés que jamais, le report de l’âge légal à 65 ans au cœur des débats

L’exécutif doit détailler début janvier le détail de la future réforme des retraites, mais les marges de manœuvre pour la faire adopter à l’Assemblée s’annoncent étroites. Et l’apport des voix LR est loin d’être garanti.

« On espère avancer avec LR. La majorité du groupe doit pouvoir voter cette réforme », confie un ministre à France Télévisions. La présentation de la réforme des retraites, initialement prévue jeudi 15 décembre, a été reportée au 10 janvier. Cela va notamment donner du temps aux nouveaux dirigeants des Républicains pour « échanger avec le gouvernement », a annoncé lundi Emmanuel Macron.

Pour l’instant, Eric Ciotti, le nouveau président de LR, a simplement prévenu qu’il poserait des « conditions » pour voter la réforme. En attendant, dans la majorité, tous partagent le même discours. Les Républicains n’auraient pas d’autre choix que de voter la future réforme des retraites. « Je serais stupéfait que les LR ne la votent pas, c’est dans leur programme depuis dix ans ! », s’exclame le député Renaissance Benjamin Haddad.

« Leur dernier cordon sanitaire face au RN, c’est le sérieux économique, avance un autre de ses collègues. Ils se discréditent complètement s’ils votent contre. » C’est même en grande partie sur ce groupe parlementaire que le camp présidentiel place tous ses espoirs pour faire passer ce texte emblématique du second quinquennat d’Emmanuel Macron. « Certains députés nous disent qu’ils comptent sur nous pour le voter », confirme l’élue LR Virginie Duby-Muller. « On peut trouver un accord qui emporte une bonne partie du groupe, avec quelques Liot [le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires composé de 20 députés], ça peut passer », veut croire une responsable de la majorité.

Mais, les soutiens d’Emmanuel Macron le savent : la partie s’annonce ardue tant le groupe LR est illisible. « J’ai du mal à savoir ce qu’ils veulent », confesse un ponte de la majorité. « Ce n’est pas avec Olivier Marleix [le patron du groupe] qu’il faut dealer de toute façon, mais avec tous les députés », soutient un parlementaire.

Et il va bien falloir faire du « sur-mesure », comme le préconise ce même élu, car le groupe est profondément divisé sur cette question. « On n’est pas d’accord entre nous », constate une députée de droite. Sur les 62 députés Les Républicains, 35 ont répondu aux questions de franceinfo. Si une grosse majorité – 24 d’entre eux – attend le texte tout en ayant des différences d’approche sur le sujet, au moins huit s’opposent au recul de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et pourraient donc voter contre. Seuls trois disent clairement qu’ils voteront la réforme.

« Pardon, mais on ne connaît même pas la réforme. Je ne vois absolument pas comment on pourrait se positionner. » Comme la députée de Savoie Emilie Bonnivard, ils sont plusieurs à ne pas donner leur avis sur les retraites car les détails de la réforme ne sont pas connus. Après un dernier tour de table avec les partenaires sociaux, la Première ministre reçoit de nouveau tous les groupes parlementaires cette semaine, dont Olivier Marleix mercredi 14 décembre à 10 heures.  

« A l’heure actuelle, tout est ouvert, car je ne connais pas le détail du texte. »

Jérôme Noury, député LR de l’Orne

à franceinfo

Il y aussi les députées Véronique Louwagie et Virginie Duby-Muller qui, tout en attendant le texte, sont plutôt ouvertes aux propositions du gouvernement. « Je considère qu’une réforme des retraites est indispensable et urgente, qu’elle doit passer par une question d’âge, que les petites retraites doivent bénéficier de cette réforme et que les régimes spéciaux, les carrières longues et la pénibilité doivent être mis sur la table », livre la première. La seconde dit ne pas encore savoir s’il faut augmenter l’âge de départ ou la durée de cotisation, mais plaide pour « une position courageuse ».

« La réponse dans le groupe est très éclatée entre ceux qui sont pour une mesure d’âge et ceux qui sont pour un allègement des cotisations », résume le député Stéphane Viry, en première ligne sur ce dossier. Un cadre du groupe LR souligne de son côté que certains de ses collègues doivent encore « bosser » le sujet pour être « suffisamment informé ». 

D’autres élus de la droite s’en prennent plutôt à la façon de faire de l’exécutif. « Le président a déclaré quatre choses différentes sur le sujet. Donc je jugerai sur pièces », raille Fabien Di Filippo. « Il y a beaucoup de flou même si Elisabeth Borne lâche quelques éléments, embraye Philippe Gosselin. Comment le gouvernement intègre la concertation avec les syndicats ? Quelles pénibilités ? Les carrières longues ? »

Outre la méthode, certains élus LR attendent le texte mais ont de grosses réserves sur le recul de l’âge de départ à 65 ans, mesure-phare de la réforme. « Je ne sais pas encore quel sera mon vote, mais je suis formellement opposée à un âge minimum de départ, je suis favorable à un nombre de trimestres qui doit être revu à la hausse pour maintenir notre système pour les générations futures », explique Isabelle Valentin, la députée de Haute-Loire. 

La retraite à 65 ans, c’est bien la ligne rouge de plusieurs députés LR. « Le report progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 ans à 65 ans d’ici 2031, c’est ce qui permet de ramener le système à l’équilibre dans les dix ans », développe Elisabeth Borne dans Le Parisien. La Première ministre a néanmoins veillé, dans cette même interview, à ne pas fermer complètement la porte : « S’il y a un autre chemin proposé par les organisations syndicales et patronales qui permette d’atteindre le même résultat, on l’étudiera. »

Pourtant, Emmanuel Macron tient fermement à sa promesse de campagne et campe sur les 65 ans. Le président de la République l’a de nouveau affirmé devant les pontes de la majorité, réunis lors d’un dîner à l’Elysée, le 7 décembre. Or, pour certains députés de droite, la marche est trop haute et le pays trop fracturé pour passer de 62 à 65 ans en aussi peu de temps. « Allons-y pas à pas. 63 ans d’ici à la fin du quinquennat, un trimestre par an, ce serait déjà pas mal », a suggéré le chef de file des députés LR, Olivier Marleix, lundi sur LCP. « Je n’ai promis à aucun électeur de soutenir une réforme à 65 ans », soutient Thibault Bazin, qui sera l’un des députés LR référents sur ce sujet.

« Afficher du 65 ans, c’est fracturer le pays. Si c’est pour ou contre les 65 ans, ils n’auront pas de majorité pour ça. »

Thibault Bazin, député LR de Meurthe-et-Moselle

à franceinfo

« Ça me paraît très court comme calendrier. On ne peut pas avoir une accélération brutale pour l’ensemble des salariés et ne pas bouger sur les régimes spéciaux« , défend Marine-Christine Dalloz, députée LR du Jura. « Pour le moment, c’est plutôt non, du fait du report à 65 ans, mais on va attendre les débats », commente Julien Dive, élu dans l’Aisne.

Il y a aussi ceux qui déclarent d’entrée de jeu qu’ils voteront contre. « Je ne voterai pas cette réforme, je préfère parler du nombre d’années travaillées que d’âge butoir », confie un député. « Je voterai contre si c’est un décalage sec de l’âge légal de départ comme cela semble parti, assure le député du Pas-de-Calais, Pierre-Henri Dumont. C’est le truc le plus inefficace au monde le décalage de l’âge, 52% des Français partent soit au moins deux ans avant soit au moins deux ans après. » D’autres sont encore bien plus frileux. « Je ne suis pas favorable à une réforme des retraites, affiche Ian Boucard, élu du Territoire-de-Belfort. Le système est actuellement déséquilibré, mais il reviendra à l’équilibre naturellement après la génération du baby-boom, je ne vois donc pas d’intérêt à cliver une nouvelle fois le pays. »

De quoi retourner l’estomac des soutiens du chef de l’Etat. « Ils ne savent plus où ils habitent », répètent en cœur plusieurs parlementaires. « Valérie Pécresse a passé son temps à dire qu’on avait copié-collé son programme sur ce point », s’étranglerait presque Prisca Thevenot, la députée Renaissance des Hauts-de-Seine. La candidate de la droite avait elle aussi proposé, durant la campagne présidentielle, de repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Un argument qui n’embarrasse absolument pas chez LR. « On ne se sent pas du tout lié par le programme d’une candidate qui a fait quatre points », rétorque un député. « On gagné aux législatives sur notre nom plutôt que sur les 4,7% de Valérie Pécresse », embraye une autre élue.

La majorité pourra se consoler avec la position de certains députés LR constructifs. « Je n’imagine pas une seule seconde que Les Républicains ne votent pas cette réforme, annonce Nicolas Forissier. Si on se cherche des raisons pour ne pas voter par esprit d’opposition, on va créer de grandes désillusions. » Il est rejoint par Jean-Louis Thiériot, député LR de Seine-et-Marne, qui votera la réforme des retraites « sauf très mauvaise surprise ».

« On ne peut pas dire depuis vingt ans qu’il faut travailler plus longtemps et voter le contraire. C’est une question de cohérence et de crédibilité ! »

Jean-Louis Thiériot, député LR de Seine-et-Marne

à franceinfo

Reste à savoir combien chez LR suivront la position de Jean-Louis Thiérot et si cela suffira pour éviter un 49.3. « C’est indéfendable politiquement de faire passer les retraites via un 49.3 », s’inquiète déjà un député Renaissance. Le gouvernement « ne devrait prendre aucun risque », selon les mots d’un élu de la majorité, en présentant un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif. Ce véhicule législatif aurait le mérite, contrairement à un projet de loi unique, de ne pas griller l’unique 49.3 utilisable par session parlementaire puisque c’est un texte budgétaire.

L’utilisation de cet article de la Constitution qui permet au gouvernement de passer en force pourrait, sur le sujet des retraites, déclencher pour la première fois le vote d’une mention de censure chez certains LR. « On ne peut pas faire un CNR et faire la réforme des retraites par 49.3. Si le gouvernement passe en force, je demanderai à ce qu’on dépose une motion de censure », s’agace le député du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger. « S’il y a 49.3, je vote une censure », menace également Pierre-Henri Dumont. 


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