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A la COP15 biodiversité, l’Union européenne très isolée sur la réduction des pesticides

La baisse de l’usage des pesticides, une cause bien établie de disparition de la biodiversité, est au cœur des négociations à Montréal. L’UE pousse pour un objectif chiffré, mais son isolement laisse envisager un accord peu ambitieux.

Les pesticides, « c’est vraiment l’un des sujets sur lesquels nous sommes le plus isolés ». Devant la presse, Christophe Béchu ne cache pas que l’Union européenne a du mal à obtenir des résultats sur ce dossier délicat à la COP15 biodiversité de Montréal. La communauté internationale est rassemblée jusqu’au 19 décembre dans la ville québécoise pour se mettre d’accord sur les moyens pour enrayer la disparition des animaux, des végétaux et des milieux naturels. « C’est une cible [le projet d’accord en compte 22] en danger et pour moi, c’est un vrai problème, parce que ce n’est pas une cible symbolique, c’est une cible efficace, estime le ministre de la Transition écologique. Cette cible est un révélateur de notre degré d’ambition et de la crédibilité de cet accord. »

Cette question figure dans la cible 7 du projet de cadre global, qui traite des pollutions néfastes pour la biodiversité. Les pesticides et les nutriments, apportés par les engrais azotés, y figurent en bonne place. Pour l’instant, le texte* compte beaucoup de mots entre crochets, ceux sur lesquels aucun accord n’a été trouvé. La mention même de « pesticides chimiques » ne fait pas consensus et une autre formulation, beaucoup plus vague, est proposée : « produits chimiques hautement dangereux ».

Deux objectifs chiffrés de baisse y figurent, « de moitié » ou « des deux tiers », à la fois pour le risque et l’usage, deux éléments également entre crochets. L’Union européenne, qui mène les négociations pour ses Etats membres, porte l’objectif d’une diminution de 50% du risque et de l’usage. Ces deux notions sont importantes parce qu’il est tout à fait possible de baisser l’usage des pesticides tout en augmentant les risques pour l’environnement, en optant pour des produits épandus en moindre quantité, mais plus dangereux.

Une source européenne proche des négociations confirme les propos du ministre. Elle distingue deux camps parmi ceux qui s’opposent à la proposition européenne. D’abord, les pays en voie de développement, qui voient dans ces objectifs « un frein pour leur agriculture » et veulent « une productivité maximale immédiate ». « Ils n’ont pas compris les handicaps que cela entraînerait pour le futur de leur agriculture et que nous commençons à rencontrer nous », détaille-t-elle. L’autre camp est celui des pays développés, comme les Etats-Unis, qui ne « se sont pas engagés aussi fortement que l’Europe dans une réforme de leur agriculture ».

L’Argentine, un pays agricole exportateur, est notamment à la manœuvre : « Elle cherche des prétextes bidons, sur les barrières au commerce que cela représenterait, pour masquer le fait qu’elle ne veut pas réduire les pesticides chez elle », observe notre source européenne. Christophe Béchu cite également le Brésil et l’Argentine parmi les pays « particulièrement offensifs » pour affaiblir le texte. Et ce ne sont pas les seuls à freiner sur les pratiques agricoles.

« Pour un Canadien, un Anglais ou un Américain, parler d’agroécologie ne suscite pas un enthousiasme immédiat. »

Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique

à franceinfo

Dans le camp d’en face, un négociateur d’un pays d’Amérique latine reconnaît que cette cible leur « pose des difficultés ». « Les pesticides sont liés à la production alimentaire. Comment vous faites la balance entre la réduction du risque et la nécessité de produire plus d’alimentation pour plus de gens ? » s’interroge-t-il, en reprenant un argument classique de l’industrie alimentaire, qui n’est pas fondé scientifiquement (comme le relevait Libération dès 2017). Il reconnaît aussi préférer la formulation « produits chimiques dangereux » plutôt que « pesticides chimiques ». Mais se dit prêt à accepter un texte qui mentionnerait les pesticides s’il se concentre sur le risque plutôt que sur l’usage et avec un chiffre si celui-ci est « scientifiquement évalué ».

L’écologue Paul Leadley, qui a briefé les négociateurs sur cette question pendant cette COP15, observe avec inquiétude les négociations. « Les engrais et les pesticides sont parmi les très grands facteurs de perte de biodiversité, en particulier chez les insectes. On observe une diminution très marquée des pollinisateurs [abeilles, bourdons, etc.] dans beaucoup de régions du monde », contextualise le scientifique franco-américain, qui insiste sur l’importance de la notion de risque.

Installé en France, Paul Leadley tient à rappeler que la position ambitieuse des Européens à Montréal ne doit pas masquer le manque de mise en œuvre concrète sur le terrain. « Les ventes des pesticides n’ont pas diminué en France avec les plans ecophytos« , relève-t-il. L’UE continue d’exporter des produits interdits sur son sol et la mesure de risque qu’elle compte mettre en place comporte « certaines faiblesses », nuance l’écologue. En pleine COP15, il a d’ailleurs signé une pétition de scientifiques* appelant l’UE à appliquer sans tarder sa nouvelle régulation sur les pesticides, malgré les réticences de certains Etats membres.

Autant d’éléments qui ne contribuent pas à la crédibilité de la position de l’Union européenne dans ces négociations. Notre négociateur d’Amérique latine considère par exemple que la réforme de la Politique agricole commune relève du « greenwashing ».

« Les Européens disent que la PAC est verte, mais il n’y a aucun moyen de le mesurer. Nous savons bien que c’est toujours l’un des principaux facteurs de perte de biodiversité en Europe. »

Un négociateur d’Amérique latine

à franceinfo

Même si l’Europe a reçu samedi 17 décembre le soutien de la Colombie, un accord sur une baisse de 50% apparaît très peu probable, d’autant plus que le mandat de négociation de l’UE* pour cette COP15 ne mentionne qu’un « objectif numérique de baisse » sans fixer sa hauteur. Un élément qui ouvre la porte à une concession.

« C’est un sujet qu’on poussera jusqu’à la dernière minute. On est vraiment convaincu que notre modèle agricole tel qu’il existe n’est pas le bon, qu’il faut le réformer. »

Une source européenne

à franceinfo

Pour Paul Leadley, un objectif chiffré d’au moins 20% de baisse du risque serait déjà une « issue positive« . Les négociations doivent s’achever lundi 19 décembre.

* Les liens signalés par un astérisque sont tous en anglais.


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