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VRAI OU FAKE. Crise de l’énergie : l’Europe est-elle à l’abri d’une pénurie de gaz cet hiver, comme l’affirme Ursula von der Leyen ?

La présidente de la Commission européenne estime que les mesures prises pour se passer du gaz russe seront suffisantes. Les experts en énergie considèrent cependant que la question de l’approvisionnement demeure pour l’année prochaine.

« Nous serons à l’abri cet hiver, en dépit du chantage de la Russie. » La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est voulue rassurante le 15 décembre au Parlement européen. L’Europe ne manquera pas gaz, car l’UE a réussi à « compenser » la baisse de « 80% » des approvisionnements russes observée ces « huit derniers mois ».

Depuis mai, la Commission européenne, avec le plan « REPowerEU« , a mis en œuvre une stratégie visant à rendre l’Europe indépendante des combustibles russes « avant 2030, compte tenu de l’invasion de l’Ukraine par la Russie« . Dans son discours, Ursula von der Leyen énumère les mesures lancées pour se passer du gaz russe, parmi lesquelles « la diversification des approvisionnements, les économies d’énergie et (…) les achats groupés de gaz ». Permettront-elles de passer l’hiver sans pénurie ? Franceinfo fait le point.

Economies d’énergie : objectif atteint, à suivre dans la durée

« Les économies d’énergies sont le moyen le moins cher, le plus sûr et le plus propre pour réduire notre dépendance à l’égard des importations de combustibles fossiles en provenance de Russie », explique le plan d’actions de REpowerEU. Au niveau européen, un objectif de 15% de réduction de la consommation de gaz avait été fixé pour la période d’août à novembre. Selon Eurostat, cet objectif a été dépassé, la baisse ayant atteint 20,1%. En France, la demande d’électricité a reculé de quasiment 10% la semaine du 5 décembre par rapport à la moyenne des années précédentes (2014-2019).

Si le plan de sobriété a permis d’importantes économies d’énergie, « une grosse partie de cette baisse de la consommation est cependant due au signal prix », c’est-à-dire au coût plus élevé du gaz, tempère Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting. Face à l’envolée des prix de l’énergie, « des faillites ont eu lieu et une vague de délocalisation pourrait survenir » en France et en Europe, précise Jacques Percebois, professeur émérite d’économie à l’Université de Montpellier.

« Les températures plus clémentes en octobre et novembre » ont également contribué à cette diminution, ajoute Anna Creti, directrice de la chaire Economie du climat à l’Université Paris-Dauphine. La poursuite de l’inflexion de la consommation de gaz dépendra aussi de la rigueur de l’hiver. Enfin, un effort supplémentaire devra être fourni pour « pérenniser » les mesures d’économies et éviter « un effet de rattrapage », explique Anna Creti. Les mesures d’efficacité énergétique peuvent en effet engendrer un effet rebond, c’est-à-dire encourager une augmentation des usages après les économies réalisées, et aboutir à une hausse de la consommation d’énergie.

Développement des énergies renouvelables : des résultats pas encore visibles

Dans le cadre du plan REpowerEU, la Commission européenne a proposé de porter de 40% à 45% l’objectif de part des énergies renouvelables dans la consommation finale en 2030. La capacité totale de production d’énergies renouvelables disponible s’élèverait alors à 1 236 GW au lieu de 1 067 GW. Des moyens supplémentaires qui permettront d’éviter la consommation de « 9 milliards de mètres cube de gaz d’ici à 2027 », selon REpowerEU.

« Le développement des énergies renouvelables ne se fera évidemment pas en trois mois », rappelle Anna Creti, et les mesures annoncées ne produiront pas leur effet dès cet hiver. « L’Union européenne encourage cependant depuis plusieurs années l’investissement dans les énergies bas carbone », note l’économiste. Pour le financement des énergies renouvelables, 225 milliards d’euros ont été mis à disposition sous la forme de prêts et la Commission a proposé d’augmenter cette enveloppe de 20 milliards d’euros.

Achats communs de gaz : non pratiqués jusqu’à présent

Les ministres de l’Energie de l’UE ont franchi une étape, lundi 19 décembre, en adoptant un règlement permettant aux Etats membres d’acheter conjointement du gaz sur les marchés. Les pays de l’UE « exigeront des entreprises nationales qu’elles aient recours à un prestataire de services pour agréger la demande pour des volumes de gaz équivalant à 15% de leurs obligations respectives en matière de remplissage des installations de stockage de gaz pour 2023. Au-delà de 15%, l’agrégation sera volontaire, mais reposera sur le même mécanisme », précise un communiqué du Conseil de l’UE.

L’achat en commun de gaz au niveau européen est cependant resté jusqu’à présent une « coquille vide », constate Nicolas Goldberg. Evoquée dès les premiers mois de la guerre en Ukraine, cette mesure a été boudée, « chaque pays estimant que faire des achats de gaz de son côté était une meilleure stratégie ».

Plafonnement du prix du gaz : utile mais perfectible

Après des mois d’âpres négociations, les Etats membres de l’UE ont approuvé un dispositif permettant de plafonner le prix de gros du gaz, si celui-ci dépasse 180 par mégawattheure pendant trois jours ouvrables. Un tel mécanisme ne sera actif que si le prix est supérieur d’au moins 35 euros au prix de référence du gaz naturel liquéfié (GNL). « La mesure était nécessaire pour éviter la volatilité des prix, juge Nicolas Goldberg. Quand vous vendez plus cher et que les coûts de production n’ont pas augmenté, il faut minimiser les surprofits ».

Le dispositif comporte cependant des « trous », avertit l’expert en énergie, « il ne s’applique qu’au marché de référence TTF », l’indice du prix du gaz européen, et l’accord ne concerne pas « les transactions de gré à gré », c’est-à-dire les opérations effectuées directement entre un vendeur et un acheteur. Or, les opérations de gré à gré ont représenté 38% du volume des transactions sur le gaz au deuxième trimestre 2022, selon un rapport de la Commission européenne. Le plafonnement pourrait en outre avoir un effet pervers, celui de « dissuader le marché international de fournir l’Europe », face à un blocage des prix, prévient Anna Creti.

Diversification des approvisionnements : objectif en cours d’atteinte

En janvier 2019, l’Europe importait plus 50% de son gaz de la Russie. Selon Eurostat, au troisième trimestre 2022, le gaz russe ne représentait plus que 15% de ces importations. « L’Europe a réussi à maximiser toutes les importations alternatives à la Russie », analyse Anna Creti. « Les importations de Norvège, des Etats-Unis, mais aussi du Qatar, ou de l’Algérie » ont permis cette substitution, énumère l’économiste.

Stockage de gaz : les réserves sont remplies

Selon Reuters, au 20 décembre, les stocks de gaz en Europe étaient pleins à 83,2%, au-delà de l’objectif de 80% fixé par l’Union européenne. En France, le taux de remplissage atteint 83,4%. « Les réserves représentent environ trois mois de consommation », révèle Jacques Percebois.

Niveau des stocks de gaz en France (Franceinfo Energiebot)

Niveau des stocks de gaz en France (Franceinfo Energiebot)

Compte tenu des stocks de gaz et des autres mesures en place, « nous serons bien à l’abri cet hiver », confirme Nicolas Goldberg, à condition que « la réduction de la demande de gaz » continue, et que d’autres « turbulences », notamment sur « l’évolution des prix », ne surviennent pas. « Cela ne veut pas dire pour autant que nous serons sorti d’affaires l’année prochaine », avertit toutefois Jacques Percebois. « Il va falloir notamment savoir où se procurer du gaz au printemps pour reconstituer les stocks. » Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié le 12 décembre, dans un scénario d’une réduction à zéro des livraisons russes et d’une reprise des importations de GNL par la Chine, l’UE pourrait devoir trouver près de « 27 milliards de mètres cubes de gaz » supplémentaires en 2023.


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