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Professeur Nozar Aghakhani: «Le système de soins est instrumentalisé par le régime iranien»

Publié le : 29/12/2022 – 20:54

En Iran, depuis le début des manifestations contre le régime, plus de 500 personnes sont mortes, certaines par manque de soins. Une centaine de soignants franco-iraniens ont, à cette occasion, signé une tribune dans le journal Le Monde pour dénoncer l’instrumentalisation des hôpitaux et de leur personnel par les autorités iraniennes. Aujourd’hui, les manifestants n’osent plus se rendre à l’hôpital pour se faire soigner, nous explique Nozar Aghakhani, neurochirurgien franco-iranien à l’hôpital Kremin Bicêtre près de Paris.

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RFI: Nozar Aghakhani, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la parole, en tant que soignants franco-iraniens ?

Nozar Aghakhani : Tout d’abord, nous dénonçons les difficultés que les soignants ont pour soigner les blessés qui arrivent dans les hôpitaux, et surtout les difficultés d’accès aux soins de ces blessés. Certains ont trop peur pour se rendre à l’hôpital, ils savent qu’ils peuvent être arrêtés directement aux urgences des hôpitaux. Les médecins ont du mal à prendre en charge ces patients-là et mener jusqu’au bout les soins nécessaires. C’est pour cette raison que certains médecins ont commencé à soigner de manière clandestine les patients à leur domicile malgré des risques extrêmement importants. Récemment, une jeune médecin, le docteur Rostami, a été retrouvée morte et mutilée. Elle faisait partie de ces personnes qui allaient au domicile des blessés de façon clandestine.

Vous mentionnez également la rédaction de faux certificats sous la contrainte ?

Nous avons eu des cas où des certificats ont été établis, déguisant et camouflant les causes des blessures, voire les causes des décès. Que ça soit pour des personnes qui étaient hospitalisées ou des personnes qui étaient emprisonnées. Certains médecins résistent et ne le font pas, mais d’autres, face à la difficulté de la situation, peuvent céder aux pressions et faire ça au gré du pouvoir.

Dans un entretien réalisé par RFI début décembre, une ONG kurde signalait déjà les difficultés d’accès aux soins pour les manifestants, mais aussi l’acheminement de sang nécessaire pour les transfusions dans les régions à majorité kurde. Est-ce que la situation est la même dans toutes les régions ?

La situation sociale, médicale et politique a toujours été très difficile dans les régions frontalières, notamment au Kurdistan et au Baloutchistan, donc au nord-ouest et sud-est du pays. Récemment, par exemple, deux médecins et une infirmière qui étaient partis au Kurdistan pour aider les blessés ont été arrêtés. Depuis, personne ne sait ce qu’ils sont devenus. Ils n’étaient pas domiciliés dans la région, ils étaient partis dans l’unique but de soigner les blessés. Et ils ont disparu.

Une fois les personnes arrêtées, on peine en effet à savoir ce qui se passe dans les prisons. Vous dénoncez cependant le recours à la peine de mort…

On peut considérer de façon très claire qu’en 2022, il est difficile de soutenir des condamnations à mort où que ce soit. Deuxièmement, les conditions dans lesquelles ces condamnations sont prononcées sont terribles. Par exemple, dans le cas de notre collègue, le radiologue Hamid Ghare-Hassanlou, il ne s’est déroulé qu’un mois et demi entre le moment où il a été arrêté et le moment où la condamnation à mort a été prononcée. Il faut bien plus de temps que ça pour qu’un procès soit instruit dans les règles et conformément aux droits humains internationaux. D’autre part, on sait que lui et sa femme n’ont pas pu choisir leur avocat. Les avocats autorisés sont listés par le pouvoir. Au-delà d’une condamnation globale et totale de la peine de mort, nous condamnons donc aussi les conditions dans lesquelles ces sentences sont prononcées.

Vous appelez également à une réaction des institutions médicales, universitaires, humanitaires au niveau national et international. Quelles sont les actions réellement que peuvent avoir aussi bien les institutions que tout à chacun ?

Je pense que c’est un appel à la conscience de chacun, c’est-à-dire que je pense qu’il est important que les gens puissent savoir ce qui se passe actuellement en Iran. Et qu’ils essayent de faire tout ce qui est en leur pouvoir. Ce que l’on sait, c’est que quand les prisonniers sont connus, quand leur nom est cité, les médias sont mobilisés, les choses peuvent éventuellement devenir plus faciles pour eux. Quand les gens ne sont pas connus en revanche, il est plus simple pour le pouvoir de faire d’eux ce qu’il veut. Nous avons donc la responsabilité de dire les choses. J’ose espérer que les gens vont entendre notre appel et que le pouvoir soit capable d’entendre ce cri international. Le recours aux condamnations à mort comme arme de dissuasion, pour faire peur aux gens, est inacceptable. Cela crée une sorte de haine dans la société, et cette haine-là ne disparaîtra jamais. Si vous avez votre père, votre mère, votre fils qui a été tué, condamné à mort, cela restera dans l’esprit de la famille pour plusieurs générations.

Et est-ce qu’au sein du fonctionnement de la société iranienne, vous pensez que les institutions, notamment médicales, ont encore la capacité de faire entendre leur voix ?

Au début des événements actuels, au mois de septembre. Il y a eu des tentatives d’information et d’alerte des organisations médicales. Il y a eu la société des neurochirurgiens, la société ophtalmologique qui ont écrit des tribunes en disant « Faites attention à ce que vous êtes en train de faire ». Tirer avec des grenades sur des populations qui sont jeunes et qui vont être mutilées, perdre leurs yeux et restées aveugles pour le reste de leur vie, ça a un coût aussi pour la société, aussi bien moral qu’économique. Ils ont condamné aussi les conditions de travail des médecins, mais aujourd’hui, les choses sont encore plus difficiles. Malgré tout, il ne faut pas être défaitiste et continuer de se mobiliser.

La tribune des soignants franco-iraniens dans le journal Le Monde


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