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Violences sexuelles dans l’Eglise : pourquoi les instances créées pour indemniser les victimes sont critiquées

Face à l’ampleur de la tâche, les commissions de réparation apparaissent souvent débordées. Certaines associations dénoncent par ailleurs leur proximité avec l’Eglise.

Manque d’indépendance, personnel mal formé, retards dans le traitement des dossiers… Un an après la création de deux instances consacrées à la réparation, notamment financière, des personnes victimes de violences sexuelles au sein de l’Eglise catholique, de nombreuses critiques émergent.

L’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) et la Commission reconnaissance et réparation (CRR) ont été mises en place par l’Eglise indépendamment de la justice civile, et sans prendre en compte une éventuelle prescription des faits. Elles ont vu le jour après la révélation d’un chiffre choc en 2021 : en soixante-dix ans, 330 000 mineurs ont été victimes de violences sexuelles dans l’Eglise, selon une estimation du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase).

Face à l’ampleur de la tâche, les commissions de réparation apparaissent souvent débordées. Leurs travaux et leur mode de fonctionnement est au cœur d’une enquête diffusée sur France 2 dans « Complément d’enquête ». Franceinfo résume les principales critiques dont elles font l’objet.

Parce que des associations dénoncent la proximité entre les instances et l’Eglise

La réparation des victimes de violences sexuelles dans l’Eglise repose sur deux commissions distinctes. L’Inirr prend en charge les demandes des victimes d’actes commis par des membres des diocèses. La CRR traite les violences sexuelles commises par les membres de congrégations religieuses.

Yolande du Fayet de la Tour, psychothérapeute et cofondatrice du collectif De la parole aux actes, déplore le manque de « garde-fous » entre l’Eglise et les instances. « Contrairement à ce qui était recommandé par la Ciase, elles ne sont pas indépendantes », affirme-t-elle. « Les victimes qui demandent réparation dépendent du système de l’Eglise. Comment voulez-vous qu’une organisation qui dysfonctionne aussi massivement soit en capacité de faire justice elle-même ? », interroge de son côté Arnaud Gallais, cofondateur de BeBraveFrance, mouvement qui lutte contre la pédocriminalité.

De fait, ces deux commissions tirent leur légitimité des autorités religieuses. L’Inirr a été créée à l’initiative de la Conférence des évêques de France, qui la finance. Sur son site, l’instance assure toutefois qu’elle « gère [s]es moyens budgétaires en toute indépendance ».

De son côté, la CRR est née sous l’impulsion de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). Elle revendique elle aussi son indépendance. « Les membres de la CRR peuvent avoir des convictions, mais n’appartiennent pas à l’Eglise. Les victimes ne feraient pas confiance à des religieux pour raconter leur histoire », analyse auprès de franceinfo son président, Antoine Garapon, autrefois membre de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise.

Parce que les effectifs sont limités et que les retards s’accumulent

Lorsqu’elles s’adressent à ces instances, les victimes tombent sur des référents de situation (à l’Inirr) ou des commissaires (à la CRR) qui recueillent leur témoignage et les aident à constituer leur dossier. Alors qu’à l’Inirr, un seul interlocuteur est prévu par victime, la CRR met en place des duos. La majorité des rencontres se font par téléphone ou par visioconférence, mais peuvent aussi se dérouler à domicile si la victime en exprime la volonté. L’Inirr compte dans ses rangs 15 référents de situation. La moitié d’entre eux sont bénévoles, l’autre moitié salariée, mais aucun n’exerce leurs fonctions à plein temps. La CRR se compose de 25 commissaires, dont les deux tiers sont des bénévoles.

Une fois le dossier déposé, la demande de réparation peut s’enclencher. A l’Inirr, un collège de 12 personnes prend le relais et décide du mode de reconnaissance ou de réparation, ainsi que du montant de l’indemnisation, qui peut aller de 5 000 à 60 000 euros. Il soumet ensuite le dossier au Fonds de solidarité et de lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs (Selam), qui a le dernier mot.

Face à l’ampleur de la tâche, ces instances sont jugées en sous-effectif par plusieurs acteurs associatifs contactés par franceinfo. Dans son bilan annuel publié le 1er décembre 2022, la CRR a établi avoir accompagné près de 450 victimes, dont 37 seulement ont été indemnisées. Au 13 janvier, l’Inirr a quant à elle reçu 1 140 demandes de reconnaissance. Parmi elles, 160 situations ont été traitées, dont 148 avec un volet financier. 

« Il est anormal d’attendre plusieurs mois. C’est la double peine pour les victimes qui avaient déposé leurs derniers espoirs dans cette commission », regrette Olivier Savignac, cofondateur de l’association Parler et revivre. Ce dernier estime qu’il faudrait « le double, voir le triple de référents » à l’Inirr pour que le nombre de dossiers soient traités dans des délais corrects.

Les instances assurent avoir conscience du problème et annoncent, de concert, chercher à développer les équipes. « Nous devons continuer de monter en puissance, nous visons une vingtaine de référents au total », assure la présidente de l’Inirr, Marie Derain de Vaucresson. La CRR mise, elle, sur cinq recrutements supplémentaires.

Parce qu’il y a des failles dans l’accueil de la parole des victimes

Les deux instances font le choix de privilégier les professionnels de la prise en charge de victimes. On retrouve notamment des juristes, un psychologue, un médecin urgentiste, un psychopraticien, mais aussi un ancien directeur des ressources humaines. « Savoir accompagner la demande d’une personne victime est un exercice particulier qui nécessite une grande qualité d’écoute », explique la présidente de l’Inirr.

L’avocat médiateur Jean-François Badin est référent de situation à l’Inirr depuis mai 2022. Il a rejoint l’équipe, intéressé par la dimension de justice restaurative revendiquée par l’instance. Pour « créer une culture commune », selon l’élément de langage consacré au sein de ses instances, il assiste à une journée de formation mensuelle. « Des notions sont approfondies, comme le psychotrauma. On envisage la manière dont on peut sécuriser le plus possible les victimes, ne pas réactiver ces traumatismes », détaille-t-il.

Malgré les efforts faits dans le recrutement et la formation, certains profils ne correspondent pas toujours aux attentes. « Au commencement de l’Inirr, une référente a fait des dégâts terribles. Lors d’entretiens de moins de cinq minutes, elle minimisait les violences. Des victimes passées avec elle ont replongé dans le désarroi », raconte Olivier Savignac. Cette situation correspond, selon la présidente de l’Inirr, à une période « où le dispositif s’ajustait. » La référente a ensuite quitté la structure « d’un commun accord ».

Antoine Garapon, président de la CRR, reconnaît également des mouvements internes au sein des équipes, avec des départs réguliers. La fiabilité et la bonne formation des personnes chargées de recevoir les récits de violences sexuelles sont indispensables, selon Olivier Savignac. « Reparler de ses traumatismes, c’est violent pour une victime. Alors, lorsque la prise en charge est mauvaise, c’est d’autant plus humiliant », insiste-t-il.

* France 2 diffuse, jeudi 19 janvier à 23 heures, un numéro de « Complément d’enquête » intitulé « Victimes de l’Eglise : l’impossible réparation ».


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