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Audiences de trois minutes, preuves douteuses, avocats aux ordres… A quoi ressemblent les procès des manifestants en Iran ?

Depuis septembre 2022 et le début des manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini, le régime a fait le choix de la terreur : quatre jeunes hommes ont été exécutés et des dizaines d’autres pourraient connaître le même sort.

Il s’appelait Mohsen Shekari, il avait 23 ans et travaillait dans un café de Téhéran. Il était accusé d’avoir bloqué une rue et blessé un paramilitaire, lors des manifestations qui secouent l’Iran depuis septembre 2022, après la mort en détention d’une jeune Kurde iranienne, Mahsa Amini. Pour avoir « mené une guerre contre Dieu », il a été exécuté dans une prison de Téhéran, le 8 décembre. 

Quatre jours plus tard, le 12 décembre, les autorités judiciaires ont annoncé une deuxième exécution, cette fois-ci publique. Majidreza Rahnavard, 23 ans également, a été pendu sur une place, en pleine nuit, sans que sa famille ait été prévenue de sa mise à mort, selon le média d’opposition 1500tasvir sur Twitter. Il était accusé d’avoir poignardé et tué deux membres de la force paramilitaire Basij. Le 7 janvier dernier, Mohammad Mehdi Karami, 21 ans, et Seyed Mohammad Hosseini, 36 ans, ont été pendus à leur tour, reconnus coupables d’avoir tué un paramilitaire.  

Chacun d’eux n’a eu droit qu’à une seule audience, de quelques minutes, d’une iniquité flagrante. De véritables « simulacres » de procès, selon l’organisation Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo (Norvège). Ils s’appuient bien souvent sur « des aveux obtenus sous la torture et des preuves totalement frauduleuses », assure Nassim Papayianni, chargée de campagne sur l’Iran pour Amnesty International.

Les cas de ces quatre hommes sont loin d’être exceptionnels. D’après le décompte effectué par l’ONG, au moins 26 manifestants vont être exécutés ou risquent de l’être. Iran Justice, un collectif européen qui utilise une méthode de recensement plus large, estime qu’ils seraient plus de 60 à être d’ores et déjà condamnés ou inculpés de chefs d’accusation passibles de la peine de mort. Il est toutefois impossible d’obtenir des chiffres fiables du régime, qui entretient le flou pour « attiser l’angoisse de la population », estime Nassim Papayianni. 

Mohammad Mehdi Karami et Seyed Mohammad Hosseini lors de leur audience au tribunal, à Karaj, retransmise à la télévision d'Etat iranienne, le 5 décembre 2022. (IRINN / AFP)

Mohammad Mehdi Karami et Seyed Mohammad Hosseini lors de leur audience au tribunal, à Karaj, retransmise à la télévision d'Etat iranienne, le 5 décembre 2022. (IRINN / AFP)

Car pour contenir l’immense soulèvement populaire qui a lieu depuis plus de quatre mois, le gouvernement iranien a réactivé sa politique de la terreur, comme lors du « mouvement vert » de juin 2009, qui contestait la réélection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad. Les activistes sont arrêtés en masse et jugés par des tribunaux révolutionnaires : dans chaque province du pays, ces juridictions spéciales, créées par l’ayatollah Khomeini après la révolution de 1979, sont chargées de traiter les affaires considérées comme ayant porté atteinte à la République islamique. Ces instances sont à l’origine de la grande majorité des condamnations à mort en Iran.

Les juges qui y officient « ne sont absolument pas indépendants et travaillent sous l’influence des services secrets », dénonce Ehsan Hosseinzadeh, un avocat iranien réfugié politique en France depuis 2018. Deux de ces services opèrent en étroite collaboration avec les responsables du système judiciaire : « L’un est lié au ministère du Renseignement, l’autre, le plus puissant, aux Gardiens de la Révolution », détaille-t-il, expliquant que ce sont ces services secrets qui dictent les sanctions à infliger aux manifestants et que c’est en grande partie sur eux que repose la sécurité du régime théocratique.

A ce jour, plus de 15 000 manifestants ont été arrêtés, selon Human Rights Watch. Les autorités ciblent avant tout les « les ouvriers, les classes populaires, qui n’ont pas les moyens de se défendre et qui n’ont pas de famille qui peut les aider », relève Soheila Rahimi, avocate et épouse d’Ehsan Hosseinzadeh, elle aussi réfugiée sur le sol français. 

« Le régime ne cible pas les jeunes des beaux quartiers de Téhéran, même si eux aussi participent au mouvement. Ce sont les pauvres qu’on exécute massivement. »

Soheila Rahimi, avocate iranienne

à franceinfo

Par ailleurs, la plupart des manifestants seraient arrêtés de manière très aléatoire. « Beaucoup sont choisis au hasard, parce qu’ils étaient proches de scènes de crime », assure Soheila Rahimi. Ainsi, la famille de Parham Parvari, un ingénieur kurde de 26 ans qui risque d’être exécuté, assure qu’il a été arrêté à Téhéran alors qu’il ne faisait que passer en rentrant de son travail, pendant les manifestations, rapporte Amnesty International.

Une fois incarcérés, les manifestants dont on estime qu’ils ont commis les actes les plus répréhensibles sont accusés de deux crimes principaux, propres au régime iranien : le moharebeh et la « corruption sur Terre ». La plupart des mis en cause sont reconnus coupables de moharebeh, c’est-à-dire de « guerre contre Dieu », le crime le plus grave aux yeux du régime. Ces dernières décennies, des centaines de personnes ont été exécutées sur la base de cette infraction, « qui a beaucoup été utilisée par le régime iranien à la fin des années 1970, pour exécuter les opposants politiques, ainsi que les généraux de l’ancien régime », relate Liliane Saber, présidente de la Société des avocats franco-iraniens (Safir), dans les colonnes de Ouest-France.

Le Code pénal islamique iranien définit cette notion fourre-tout comme le fait de « dégainer une arme dans l’intention d’attenter à la vie, à la propriété ou à l’honneur des personnes ou de les intimider, de manière à semer l’insécurité dans l’environnement ». Elle est tout aussi floue que le crime de « corruption sur Terre », également très utilisé contre les opposants, notamment quand ils sont accusés d’espionnage ou de tentative de renversement du gouvernement. « Ces deux charges entraînent automatiquement la peine de mort », commente Nassim Papayianni, d’Amnesty International. « Impossible pour autant d’expliquer clairement ce que recouvrent ces termes juridiques issus de la charia », précise-t-elle.

Ces grands principes abscons sont utilisés sans même prendre la peine de les étayer avec des éléments tangibles. « Les preuves que le parquet a présentées pour les quatre hommes exécutés sont trafiquées ou inexploitables, avec, notamment, des vidéos complètement floues, sur lesquelles il est impossible de définir l’identité des personnes », tance Soheila Rahimi. L’absence d’investigations permet au régime d’accélérer les procédures de manière vertigineuse : Majidreza Rahnavard a ainsi été exécuté seulement vingt-trois jours après son arrestation, et moins de deux semaines après sa seule audience devant un tribunal révolutionnaire.

Lui, et des centaines d’autres, se sont vu extorquer des aveux, preuves les plus éclatantes, selon le régime, de leur culpabilité. « La torture en Iran est institutionnalisée depuis des décennies », souffle l’avocat franco-iranien Hirbod Dehghani Azar, membre du collectif Iran Justice.

Un jeune étudiant en médecine, qui a passé 21 jours en prison pour avoir soigné les manifestants, a raconté à franceinfo avoir eu son annulaire tranché au cutter par la police, qui lui a également infligé des chocs électriques. Majidreza Rahnavard, le deuxième manifestant exécuté, était apparu sur une vidéo, quelques jours avant sa pendaison, les yeux masqués par un bandeau et le bras gauche en écharpe, visiblement cassé ou blessé. 

Selon une enquête glaçante de CNN (lien en anglais) parue en novembre dernier, les viols sont aussi largement utilisés pour réprimer les manifestants. La chaîne américaine a collecté les témoignages de femmes et d’hommes mineurs qui disent avoir été victimes d’agressions sexuelles répétées dans les geôles iraniennes.

Parmi les cas cités figure celui d’Armita Abbasi, une jeune femme d’une vingtaine d’années, qui a été interpellée après avoir posté des messages jugés hostiles au régime sur les réseaux sociaux. Une source médicale de l’hôpital dans lequel elle a été emmenée en urgence a diagnostiqué une sévère hémorragie au niveau du rectum, due à des viols répétés. Les policiers ont demandé qu’il soit écrit sur le rapport : « viol antérieur à l’arrestation »

Sous pression, les manifestants finissent par avouer les crimes qu’on leur impute. Leurs confessions forcées sont filmées et diffusées à la télévision nationale, avant même le jour de leur audience. « Pourtant, selon notre Code pénal, tant que le procès est en cours, personne n’a le droit de publier l’image ou l’identité des accusés », pointe Ehsan Hosseinzadeh. 

Et ce n’est pas le seul droit bafoué : la défense est réduite à néant, car les accusés n’ont pas le droit de choisir leur avocat. Selon l’article 48 du Code de procédure pénale entré en vigueur en 2015, les personnes accusées d’atteintes à la sécurité intérieure ne peuvent avoir accès à l’avocat de leur choix durant les investigations, note Amnesty International. Elles doivent choisir celui qui va les représenter sur une liste établie par le responsable du pouvoir judiciaire. « Il n’y a qu’une vingtaine d’avocats approuvés par le régime pour toute la province de Téhéran », assure Ehsan Hosseinzadeh. 

Ce barreau parallèle est notamment composé « d’anciens espions reconvertis en avocats », affirme Soheila Rahimi. Tous font office de figurants durant les procès. Les avocats indépendants sont de toute façon en voie de disparition : ils font partie des professions les plus sévèrement réprimées. Ils seraient 18 actuellement détenus, quand 26 ont été libérés sous caution dans l’attente de leur procès, selon les données récoltées par le collectif Iran Justice et transmises à franceinfo. La marge de manœuvre est donc particulièrement réduite pour les accusés, « jugés par paquets de 50 au cours d’audiences expéditives qui ne durent que trois minutes tout au plus », souligne Hirbod Dehghani Azar.

La cruauté du système iranien va-t-elle entamer la détermination des manifestants ? « Les jeunes de notre pays sont vraiment déterminés à changer la situation. Mais la torture et les violences ont une influence sur eux, forcément, constate Soheila Rahimi. Leurs parents les supplient d’arrêter leurs activités, pour ne pas, à leur tour, risquer la mort. »


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