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« Dire ‘je me suis fait pipi dessus’ c’est dévalorisant et honteux » : l’incontinence urinaire d’effort chez les sportives de haut niveau, un tabou à lever

L’incontinence urinaire d’effort concerne plus de 50% des sportives de haut niveau, tous sports confondus. Pourtant, la méconnaissance et le tabou sur cette pathologie dominent. A l’occasion de la Journée internationale du sport féminin, franceinfo: sport a décidé de la mettre en lumière.

« Quand tu as une fuite urinaire, tu ne te sens pas propre. Tu es mal à l’aise, surtout quand tu portes un justaucorps ou un maillot de bain. Mais tu ne peux pas faire grand-chose, à part de la débrouille. Si je peux me changer, très bien, sinon je reste comme ça. » A 21 ans, Jade Gillet, plongeuse de l’équipe de France, est concernée depuis l’adolescence par l’incontinence urinaire d’effort (IUE). En clair, une fuite involontaire d’urine. Sujet encore méconnu du grand public et même du milieu sportif, les fuites urinaires touchent pourtant plus d’une athlète de haut niveau sur deux.  

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Celles-ci peuvent survenir lors « d’un effort tel que la toux, le rire, l’éternuement, la marche, le changement de position, le soulèvement de charges, ou tout autre activité physique augmentant la pression dans l’abdomen », définissait en 2021 le ministère de la Santé et de la Prévention. D’abord gymnaste, puis plongeuse, Jade Gillet a été concernée par les fuites urinaires dès ses débuts au haut niveau. « Ça arrive lors de la pratique sportive, pendant les entraînements, surtout lors des percussions sur le praticable », témoigne la jeune Normande, qui partage ses entraînements entre piscine et trampoline. « Parfois, on oublie et on commence les exercices, et la fuite arrive. Et je sais que si je ne vais pas aux toilettes avant ma séance, c’est encore pire », reconnaît la récente vice-championne du monde de plongeon par équipes mixtes.

« Souvent, on ne s’en rend pas compte sur le coup, car les fuites peuvent être de quelques gouttes à quelques millilitres. C’est plus après les séances où on va sentir les odeurs », confie Lucie*, athlète de l’équipe de France, qui alterne cross-country en hiver et course sur route en été, dont semi et marathon. Surtout, elles sont nombreuses à partager le même raisonnement. « La première fois, je pensais que c’était normal », avoue Lucie*.

Si les cas chez l’homme sont rares (l’urètre extra-pelvien et le pénis ne subissent pas la pression intra-abdominale), l’incontinence urinaire d’effort concerne essentiellement les femmes. Loin des préjugés, cette pathologie ne touche pas seulement les femmes enceintes, ou ayant eu un enfant, ou encore des femmes âgées, mais aussi des athlètes jeunes, voire très jeunes et qui pratiquent au plus haut niveau. A tel point que « plus de 50 % des sportives de haut niveau sont concernées, tous sports confondus », appuie Carole Maitre, gynécologue à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), qui forme les futurs champions tricolores. Dans les sports à forte contrainte périnéale, on retrouve entre autres la gymnastique-trampoline, toutes les disciplines en athlétisme avec saut (course de haies, saut en longueur, triple saut, perche), course à pied ou encore les sports de balle comme le tennis, le basket-ball ou le handball. En revanche, les sports techniques, comme le tir, les sports portés, le cyclisme, la natation ou la marche sont à faible risque.

« On pense toujours qu’on est incontinente car on n’est pas assez musclée du périnée, mais c’est le contraire », explique Bernadette de Gasquet, médecin et professeur de yoga, spécialisée dans la rééducation périnéale, et qui a développé sa propre méthode éponyme. « Quand on saute, soulève des poids, éternue, tousse, les abdos travaillent et appuient directement sur la vessie, qui est une poche souple, pleine de liquide, située tout en bas du bassin », vulgarise la médecin qui a travaillé pendant dix ans avec l’Insep sur le périnée pour la performance sportive.

Le trampoline est la discipline la plus à risque, avec 80% des athlètes concernées par l'incontinence urinaire d'effort. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

Le trampoline est la discipline la plus à risque, avec 80% des athlètes concernées par l'incontinence urinaire d'effort. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

« Si j’appuie très fort sur la poche, poursuit-elle, il faut que l’urètre, que l’on peut assimiler à un bouchon fermant le canal de sortie de la vessie, soit résistant pour contenir le liquide. Mais les athlètes appuient tout le temps sur le bouchon qui se fatigue, et au bout d’un moment, il est épuisé. C’est pourquoi, les fuites arrivent souvent en cours d’entraînement, avec des répétitions de sauts, de courses etc. » A titre d’exemple, la course à pied multiplie par quatre la pression intra-abdominale. D’ailleurs, entre 5 à 10 % des coureuses amateures souffrent d’incontinence urinaire, faute entre autres d’une bonne maîtrise du périnée.

Si plus de la moitié des athlètes de haut niveau sont touchées par l’incontinence urinaire d’effort, la pathologie concerne même 80 % des pratiquantes en trampoline, sport le plus à risque d’après l’étude de Carole Maitre, « L’incontinence urinaire de la sportive », publiée en 2011. Pourquoi ? « Quand vous sautez sur la plateforme du trampoline, celle-ci vous renvoie une force du sol qui vous permet de rebondir, résume la gynécologue de l’Insep. Mais cette force montante vient affaiblir le soutien du périnée, du fait des contraintes qui sont ainsi exercées sur lui. Il y a donc un double effet, entre la forme remontante du trampoline et les forces descendantes, intra-abdominales, des organes dans le saut vertical. »

Bien que la majorité des athlètes de haut niveau soit concernée, le tabou autour de cette pathologie reste la norme. « Le périnée est associé au sexe. Et aussi au ‘pipi caca’. A tout âge, on redevient des enfants sur ce sujet, glisse Bernadette de Gasquet, auteure de Périnée, arrêtez le massacre (Ed Marabout, 2020). Cela évoque le côté sale, incontinent, qui ne peut pas se retenir, la vieillesse et l’incompétence. Tout cela est perçu comme péjoratif, c’est pour cette raison que les femmes n’osent pas en parler et qu’elles sont rares à consulter. »

Beaucoup d’athlètes ne font en effet pas la démarche d’en discuter avec leur staff, soit par honte, soit parce qu’elles pensent être des cas isolés, ou encore par gêne d’évoquer le sujet à leur entraîneur masculin pas sensibilisé. « Quand je pratiquais la gymnastique, j’en ai parlé à ma mère et à mes coéquipières mais jamais à mes entraîneurs ou au staff », témoigne Jade Gillet.

« Ce n’est pas facile de se confier à un entraîneur homme, surtout sur un sujet aussi intime. »

Jade Gillet, plongeuse de l’équipe de France

à franceinfo: sport

« C’est très intime, confirme la joueuse de tennis Amandine Hesse. Dire ‘je me suis fait pipi dessus’ c’est quand même dévalorisant, et un peu honteux. Je ne pensais pas que cela m’arriverait un jour », confie la joueuse qui a été sujette à l’incontinence urinaire pendant et après sa grossesse. De son côté, Lucie* explique ne pas être gênée par le sujet, avant de nuancer au cours de l’entretien : « Je me rends compte en vous parlant que je ne veux pas forcément que mon nom soit cité dans l’article. Mais je veux participer à la médiatisation du sujet. »

Plus que la médiatisation, il s’agit aussi de sensibiliser et de former les entraîneurs, qui sont les premiers au contact des joueuses. Le défi est de taille. « Aucune joueuse ne m’en a parlé. C’est un sujet dont je suis incapable d’évaluer l’importance et la fréquence, reconnaît Camille Comte, ancien coach de l’équipe de handball de Bourg-de-Péage (Drôme). Ce sujet est encore moins abordé que celui du cycle menstruel. » 

Un constat partagé par Mathieu Pereira, préparateur physique de l’équipe de France de trampoline à l’Insep. « Au début, ce n’était pas évident d’aborder ce sujet car en tant qu’homme, je me suis retrouvé face à des jeunes athlètes de 12-13 ans, à leur expliquer : ‘il faut qu’on fasse des abdominaux profonds parce que sinon tu vas t’uriner dessus’. Quand tu as 12 ans, entendre cela de la bouche de ton préparateur physique, qui est un homme de 34 ans, cela peut te mettre mal à l’aise. »

Derrière ce manque de communication, c’est aussi l’enjeu de la santé des joueuses qui n’est pas toujours l’une des premières préoccupations des encadrants. « Il faut quand même avoir l’honnêteté de dire qu’en tant qu’entraîneur, on est focalisé avant tout sur les performances », admet Camille Comte, qui « a appris sur le tas » sur les questions féminines, au gré de ses rencontres avec des préparateurs physiques. Un sentiment que confirme la plongeuse Jade Gillet. « Les entraîneurs ne sont pas du tout au courant et ne font pas attention à cela. Pour eux, le but est la performance. » « Souvent les entraîneurs vont se dire que c’est une perte de temps de faire des exercices pour renforcer le périnée, alors que pas du tout », appuie Manon Loquay, pivot aux Neptunes de Nantes handball.

Pourtant, la sensibilisation des athlètes et des équipes d’encadrement donne de bons résultats d’après les observations de Carole Maitre. « On va consolider le périnée, lui permettre de jouer son rôle primordial de soutien des organes, et donc la contraction intra-abdominale ne l’affaiblira pas s’il est régulièrement renforcé », explique la gynécologue de l’Insep. Cette prévention à travers une pratique adaptée, inspirée du yoga et du pilate avec des exercices à base de contraction du périnée et des « bons abdos » sans gonfler le ventre et sans raccourcir les grands droits, va de pair avec une meilleure connaissance de son corps et de l’utilité de chaque muscle. « Il faut apprendre à anticiper et à ne pas pousser vers le bas, et donc arrêter les crunchs par exemple. Par ailleurs, précise Bernadette de Gasquet, l’utilisation de pessaires, accessoires en forme de cube à insérer dans le vagin, est une bonne prévention, afin de soutenir l’utérus, la vessie etc. » 

La prévention, à travers des exercices adaptés, ainsi qu'une meilleure connaissance de son corps et de l'utilité de chaque muscle permettent de protéger son périnée lors de la pratique sportive. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

La prévention, à travers des exercices adaptés, ainsi qu'une meilleure connaissance de son corps et de l'utilité de chaque muscle permettent de protéger son périnée lors de la pratique sportive. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

L’incontinence urinaire d’effort est-elle réversible ? Chez les spécialistes, les avis divergent. « Si une athlète, qui a des fuites régulières, suit une rééducation par une kinésithérapie adaptée à l’incontinence urinaire d’effort, elle peut ne plus avoir de fuites en retrouvant un meilleur soutien du canal urinaire et de la vessie », assure Carole Maitre. « On ne peut pas faire machine arrière, nuance quant à elle Bernadette de Gasquet. La descente de l’urètre n’est pas réversible, mais on peut apprendre à contrôler, et à contracter – renforçant ainsi le bouchon – avant de mettre la pression sur le périnée. Mais sur une course ou un match de tennis, on ne peut pas anticiper chaque pression. »

Aujourd’hui, Lucie est informée et a pris conscience de son périnée. « J’ai d’autres réflexes. En steeple, je me dis : ‘là je vais passer une barrière donc il faut que je contracte les muscles du périnée’. Les fuites sont aujourd’hui moins fréquentes qu’avant. » Bien que déjà sensibilisée sur le sujet, Amandine Hesse a pourtant dû elle aussi accentuer son travail de renforcement du périnée. Même si l’incontinence a quasiment disparu, la crainte d’une nouvelle fuite demeure. « J’ai tellement peur maintenant, qu’avant chaque entraînement, je vais aux toilettes. Physiquement, je me sens bien sur tous les plans, mais cet aspect me stresse, c’est devenu une peur psychologique », assure la joueuse qui fera son retour à la compétition fin janvier, six mois après son accouchement.

Si les mentalités évoluent, la marche vers une vraie prise en compte de cette pathologie est encore haute. Tous les sports ne sont pas encore engagés sur le sujet et les instances commencent à lancer des campagnes de sensibilisation. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) va promouvoir au deuxième trimestre 2023, en partenariat avec l’Insep, « une campagne de prévention, la première de ce genre, afin de sensibiliser les athlètes et cadres techniques aux risques du sport intensif sur le périnée », annonce Carole Maitre, avec sa seconde casquette de vice-présidente de la commission médicale. De son côté, le ministère des Sports évoque le sujet dans son dernier « Guide de la pratique sportive pendant la maternité », publié en 2021, mais de manière trop succincte pour réellement sensibiliser les athlètes à cette pathologie. 

Pour aller encore plus loin, Bernadette de Gasquet souhaiterait qu’un bilan périnéal devienne systématique dès lors qu’on envisage de pratiquer une activité physique, d’avoir un enfant, ou lors d’une perte ou prise de poids importante. « Quand on veut faire du sport, on passe des examens pour nous délivrer un certificat de non contre-indication par exemple, mais on ne regarde jamais le périnée, alors que quel que soit le sport, il est concerné », justifie-t-elle. Lucie pousse quant à elle encore plus loin la réflexion : « D’ordinaire, la rééducation du périnée se fait après un accouchement, alors qu’elle devrait s’organiser dès l’adolescence, dès les premières fuites. » 

*Le prénom a été modifié à la demande de l’athlète.


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