Culture

On the turning away

Attrapées lors d’un voyage à Naples, les sales bêtes s’étaient infiltrées dans ma valise, m’avaient pourri la nuit, leurs mâchoires me
dévoraient la face. Immondes. Elles m’ont probablement sauvé la vie.
Par un traitement chimique très puissant, le jour de leur éradication
définitive était programmé. Le 13 novembre 2015 un technicien en scaphandre
serait venu à mon domicile pour gazer l’appartement, l’asperger de poison, afin
d’annihiler et détruire les punaises de lit en vingt-quatre heures.

Le soir avant, pour bien faire les choses, j’étais occupé à
protéger les meubles, à stériliser ma dernière literie dans le
sèche-linge surpuissant d’un Lavomatic, rue de Charonne. Mon appartement était
prêt à faire face à la violence chimique qui allait s’abattre le lendemain, un
samedi. Pour me consoler, je me disais que j’aurais pu aller danser quelque
part, parader à la Bizarre Love Triangle, danser sur le podium comme le go-go
boy que j’aime être.

La veille du massacre des punaises, au
croisement de la rue de Charonne et de la rue Faidherbe, des terroristes
fauchaient à coups de Kalachnikov la terrasse de la Belle Equipe, un bistrot du
quartier. Des innocents mouraient aussi inutilement au Bataclan, au Petit
Cambodge, au Carillon, à la Bonne Bière, à la Fontaine au Roi, au stade de
France. J’avais entendu au loin la pétarade, pensant à un feu d’artifice amateur,
tara, tata, tratra, pa, tatata, pa, tra, taratata.

Le lendemain, je me suis retrouvé sur le lieu même de la
tuerie de Charonne, là où je passe chaque jour à 21h30 : les fissures du trottoir étaient
encore pleines du sang des victimes, un sang que le karcher de la mairie n’avait
pu diluer. Si les punaises ne m’avaient pas retenu à la maison, le mien
aurait pu y être aussi.

Tout de suite, partout, le mot d’ordre général était de
continuer à sortir, pour s’amuser, pour démontrer aux terroristes que Paris
reste Paris. Il était prématuré ce mot d’ordre, le panache douloureux d’une
épreuve de force qui engendre l’envie de revanche, l’hystérie, la schizophrénie
des guerres menées au nom de la démocratie, comme si nous allions libérer le
Saint Sépulcre, encore une fois. Faire la guerre et s’amuser, faire la guerre et s’amuser.

J’écris ce billet comme une prière inutile, comme un hommage aux morts, pour que nos
rêves de fierté se brisent et la nuit reste une ombre légère.

On the turning away / From the pale and downtrodden / And the words they say / Which we won’t understand / Don’t accept that what’s happening / Is just a case of others suffering / Or you’ll find that you’re joining in / The turning away

Its a sin that somehow / Light is changing to shadow / And casting its shroud / Over all we have known / Unaware how the ranks have grown / Driven on by a heart of stone / We could find that we’re all alone / In the dream of the proud

On the wings of the night / As the daytime is stirring / Where the speechless unite / In a silent accord / Using words you will find are strange / And mesmerized as they light the flame / Feel the new wind of change / On the wings of the night

No more turning away / From the weak and the weary / No more turning away / From the coldness inside / Just a world that we all must share / It’s not enough just to stand and stare / Is it only a dream that there’ll be / No more turning away ?

[On the turning away, D. Gilmour et A. Moore. 1987]


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