Jul expliqué à vos darons

La Puenta ? Avant de le rencontrer à Paris, on a cherché Jul à Marseille, dans son quartier. Là, sur la route, face au petit immeuble de quatre étages, un garçon fait le beau, en roue arrière sur son scooter. Nadjib lui jette un sourire et continue à discuter. Comme plusieurs de ses copains autour de lui, le jeune homme de 25 ans a usé ces pavés depuis l’enfance avec Jul. Et comme Nadjib, aujourd’hui encore, ils sont une dizaine occupés à tuer le temps devant le 135, chemin de Saint-Jean-du-Désert, dans le Varrondissement de Marseille. Un quartier plutôt tranquille, pas vraiment bourgeois mais pas pauvre et pas si moche, entre deux zones, ni dans le centre-ville ni totalement excentré. Depuis quelques années, l’adresse s’est taillée une solide notoriété sous un autre nom, «Saint-Jean-La-Puenta», comme Jul appelle dans ses morceaux le quartier où il a grandi.

Jul à Libé : «Le quartier c’est ma vie, je suis souvent là-bas à part quand j’ai beaucoup de travail. C’est l’endroit où je peux m’aérer, parler simplement avec mes amis qui m’ont vu grandir.»

Saint-Jean-La-Puenta, ses «potos» et leur quotidien habitent encore tous les titres du dernier album de l’artiste, sorti ce 1er décembre. Plus que Marseille toute entière, dont il est devenu le nouvel étendard rap ces dernières années, c’est son secteur, entre les barres d’immeubles de la cité Louis-Loucheur et la ligne de tramway, que l’artiste a choisi comme décor de ses morceaux. Si désormais, Jul ne vit plus à Saint-Jean-du-Désert, il passe encore très régulièrement voir ses amis pour «souffler un peu et être tranquille», explique Nadjib. «D’ailleurs, il vient tout juste de partir et devrait repasser dans la soirée», confie-t-il. Des habitudes que la TeamJul (les fans de l’artiste) ont vite cernées, perturbant un peu le quotidien du quartier. «Ça a vraiment changé en 2013, avec le titre Sors le cross volé, raconte Nadjib. Avant, il était juste un peu écouté à Marseille. C’est vraiment le son qui l’a fait connaître partout.» Et qui a rameuté devant le numéro 135 des tas de curieux.

«Avant, il était juste un peu écouté à Marseille. C’est vraiment le son qui l’a fait connaître partout.»

Certains ont même laissé des souvenirs, comme le grand tag «Jul» qui trône sur la porte d’un garage, de l’autre côté de la rue. «On ne sait pas qui l’a fait, assure un autre garçon. Y a de plus en plus de gens qui viennent, certains même de loin. Des familles, des jeunes, des vieux… Certains passent juste pour voir, d’autres pour le rencontrer et au final, ils finissent d’ailleurs par le croiser. Il a une relation très proche avec ses fans, c’est son essence. Des fois, c’est un peu saoulant… Mais ça fait surtout chaud au cœur.» On n’est pas loin du lieu de pèlerinage.

Jul à Libé : «Ça vient toute la journée. Ils [les fans] se passent le mot je crois ! Il leur arrive de me dire : « c’est untel qui m’a dit que tu étais là ». T’en as qui viennent même avec leurs enfants. La dernière fois un mec de Lyon est venu, il fumait son pétard et on discutait tranquillement.»

Pour les Marseillais avant tout : le rappeur, symbole d’une réussite sans artifice construite à la seule force du talent, est vénéré dans la moindre cour de récré de la ville. Les plus vieux, eux, restent divisés sur son cas, entre adhésion absolue – un immense tag «Jul président» habille désormais les murs de la gare Saint-Charles – et rejet parfois violent, la nouvelle star locale n’ayant pas encore acquis les lettres de noblesse de ses illustres aînés marseillais, IAM en tête.

Au sein de la bande de potes du rappeur, en revanche, la success story de Jul fait l’unanimité. Chez les plus jeunes d’abord, qui tentent de suivre les traces de leur aîné en enregistrant leurs propres sons. L’artiste les inspire, les pousse aussi si besoin. «Les plus petits ont 8-9 ans, souligne Nadjib. C’est la relève !» Norey FZ, la vingtaine, a déjà un clip qui tourne sur YouTube. Comme la plupart des gamins du secteur, il était déjà là quand Julien Mari, alors adolescent sous perfusion d’Eminem et de Rat Luciano, a posé ses premiers sons. «On le regardait faire et certains, comme moi, ont tout de suite accroché, explique-t-il. Un jour, il a voulu faire une vidéo qui s’intitulait le Message du quartier pour raconter notre quotidien, et il nous a tous enregistrés. On allait chez lui tous les jours, il nous faisait poser nos sons avec lui. Il sait tout faire !»

Jul à Libé : «Je travaille toujours de la même manière. J’allume mon ordi, j’ouvre Pro Tools [logiciel de création et de composition musicale, ndlr] et je fais mon instru, si elle ne passe pas je la jette jusqu’à ce que trouve celle qui m’inspire. Ensuite j’écris et chante dessus. Je passe en moyenne trois ou quatre heures sur une chanson.»

A l’époque, le futur Jul, qui se fait alors appeler Juliano, bricole tout seul ses sons dans sa chambre, avec du matériel de base. «Au collège, quand on entrait en quatrième, on nous donnait un ordinateur, se souvient Nadjib. Lui, il a acheté un micro. Tout est parti de là : y avait pas besoin d’un gros investissement.» Dans ses morceaux déjà, l’adolescent racontait ses galères de tous les jours, les copains, la solidarité, les contrôles de police… «Il avait du talent, insiste Nadjib. Une capacité à improviser, d’abord. Et la manière de retranscrire les choses, ce qu’on vivait. Je vais pas vous dire que je savais qu’il réussirait, mais je m’en doutais.» Beely, lui aussi habitué du quartier, se souvient surtout d’un rendement hors norme. «Je le voyais le matin, je repartais et le soir, le morceau était fini, pointe-t-il. Ça, c’est le travail, c’est la faim ! Jusqu’à aujourd’hui, il a toujours bossé comme ça. Parce qu’il aime vraiment ce qu’il fait.» De là à imaginer un tel succès ? «Je me disais que ça durerait un été ou deux, avoue-t-il. Mais en cinq ans, il a mis des balayettes au game de l’industrie musicale, c’est ça qui est bien !»

«On n’a pas d’endroit où aller ici. Y a pas de salle pour les jeunes dans le coin, on n’a rien ! »

Lui aussi a eu droit à sa part de gloire : une chanson à son nom, Beely, sur l’album Je ne me vois pas briller, paru au mois de juin. Il n’est pas le seul à s’être laissé embarquer. Le cabreur de scooter, héros du clip Ma jolie, se fait souvent repérer dans la rue. Ici, tout le monde a plus ou moins participé à un clip de l’artiste, qui tourne régulièrement ses vidéos dans les rues du quartier. De quoi fatiguer certains riverains, lassés des réunions sur la place, du ballet des grosses voitures et des soirées «potos» improvisées : en juillet dernier, alerté par leurs plaintes, le journal la Provence relayait les propos du maire de secteur d’alors, Bruno Gilles (LR), qui s’emportait contre le «bordel atomique» généré par chaque passage de la star. «On n’a pas d’endroit où aller ici, renvoie Nadjib. Y a pas de salle pour les jeunes dans le coin, on n’a rien ! Faut bien qu’on se mette quelque part… Et on ne fait rien de mal !» Depuis, les choses se sont un peu apaisées, même si les allées et venues des fans ne sont pas prêtes de cesser.

Il y aura au moins un soir où le quartier devrait retrouver sa quiétude : le 7 décembre, pour le concert de Bercy, Jul a invité toute la bande à Paris pour assister au spectacle. «On va avoir un car rien que pour nous, sourit Nadjib. Aller à Paris, on ne l’a jamais fait, même en sortie scolaire… Et là, on va faire Bercy !»


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