
Chroniques d’Alexandre, BNF, Ms Fr 9342, fol. 105
Après le réveillon familial de
Noël, voilà venir le réveillon du Nouvel An. Le 31 au soir est souvent
l’occasion de se retrouver entre amis pour manger (beaucoup ?), boire
(trop ?), et commencer la nouvelle année avec une bonne migraine le lendemain.
Pourtant, nos festins sont bien
peu de choses face à ceux que la fin du Moyen Âge a connu. Les derniers siècles
du Moyen Âge sont un moment de grand développement d’une véritable gastronomie
et d’un art de la table qui n’a pas grand-chose à envier aux nôtres. Depuis la
fin du XIIIe siècle, les livres de recettes se développent ; les
médecins s’intéressent de plus en plus à la nourriture ; même
les théologiens, dans le sillage de Thomas d’Aquin, redonnent ses lettres de
noblesse au goût. Héritier de ces évolutions sur 200 ans, le XVe
siècle marque l’apogée du banquet princier, splendide mise en scène
gastronomique tout autant que politique.
Alors comment organiser un festin
réussi ? quelques conseils médiévaux de dernière minute…
Le casse-tête du plan de table
Qui ne s’est jamais posé la
question du placement ? Faut-il faire asseoir la belle-mère à côté du
grand-père ? le collègue à côté de l’ami d’enfance ? Au Moyen Âge, à
l’heure des festins des cours parisienne ou bourguignonne, la question de la
prééminence était bien plus importante que les inimitiés ou affinités
supposées. Par exemple, lors du banquet du Faisan de Lille en 1454, la table
d’honneur la plus surélevée et au fond de la salle, était présidée par le duc
de Bourgogne, Philippe le Bon ; celle de gauche par son fils héritier, le
futur Charles le Téméraire. De part et d’autre, les convives étaient répartis
par ordre de préséance et en fonction des liens familiaux. La dernière table
était occupée par des écuyers et des demoiselles de moindre statut.
La disposition a son importance,
pour ne vexer personne, mais aussi parce qu’en fonction de sa place, on a accès
à de la nourriture plus ou moins fine. Les tables les moins prestigieuses sont
également les moins pourvues en vaisselle : les plats les plus ornés sont
pour la table d’honneur, mais aussi les plats couverts sous cloche. Les plats qui parviennent aux invités de moindre rang sont donc souvent déjà froids…
La prochaine fois,
pensez-y : un bouillon de légumes froid pour la cousine par alliance au 3e
degré, et du chapon fumant pour vos amis les plus proches, et vous êtes sûrs de
mettre une bonne ambiance dans vos festivités !
Histoire d’Olivier de Castille et Artus d’Algarbe, BNF, Ms Fr
12574, fol. 181v
Décider du menu…
C’est qu’en effet, tous les plats
n’ont pas le même prestige. Les animaux à quatre pattes sont considérés comme
vulgaires et terrestres, quand les volatiles sont au contraire plus nobles car
plus proches du ciel. Les aliments les plus coûteux sont bien sûrs favorisés,
comme ceux aux épices. La « nouvelle cuisine française » du XVe
siècle met en place des associations innovantes et s’enrichit de nouveaux
produits et de nouvelles influences. La mode de la cuisine italienne participe
à l’utilisation
de plus en plus grande du sucre, qui permet d’inventer de nouveaux
plats : pâtés à cheminée au sucre, pigeons au sucre et au vinaigre, tartes
au sucre… Les apports de Flandre font qu’on utilise plus de beurre et de
crème. Enfin, la cuisine aragonaise a apporté en France l’usage de l’aubergine,
des courges et le mélange cannelle-sucre. Ce n’est pas encore tout à fait de la
cuisine fusion asiatique, mais ça n’est déjà pas si mal pour
alimenter la créativité des maîtres queux.
Janvier, Très Riches Heures du
duc de Berry.
Ceux-ci n’hésitent d’ailleurs pas
à faire montre de leurs prouesses, utilisant le moment des entremets –
théoriquement une simple pause dans le repas – pour proposer de nouveaux plats.
On peut servir de simples bouillies de froment, des tripes, mais également des
hures de sanglier dorées, des tartes farcies… Le clou du spectacle, qu’on
retrouve encore dans notre imaginaire collectif, était généralement le paon
rôti, revêtu de ses plumes, maintenu comme s’il était encore vivant, sur lequel
les chevaliers prêtent des vœux de courtoisie.
Vous savez désormais ce qui vous
reste à faire : une volaille qui fait la roue, et vous êtes surs d’avoir
un repas qui restera dans les mémoires.
Banquet du paon, Livre des conquêtes et faits d’Alexandre,
milieu XVe, Petit Palais, fol. 86r
Mais attention…
Dernier conseil issu d’un sage
texte du début du XVIe siècle… L’auteur, Nicolas de La Chesnaye,
maître d’hôtel du roi de France, met en scène Dîner, Souper et Banquet, trois
compères qui offrent chacun un repas à leurs amis…. Leur amie Gourmandise se
goinfre de « gras bœufs » et des « poulets bien
nourris » ; Friandise au contraire préfère déjeuner d’un « petit
pâté… pourvu qu’il soit chaud et friand ». Sauf que c’était un piège… Les
hôtes ont demandé à Apoplexie, Goutte, Colique, Gravelle (c’est-à-dire calcul
rénal) de frapper les convives et beaucoup tombent sous leurs coups à la fin de
la soirée…
Alors gardez-vous des hôtes
intempestifs… Que Gourmandise et Friandise vous accompagnent mais tentez de
leur garder la bride et profitez bien du bon repas que vous aurez
préparé !
Toute l’équipe d’Actuel Moyen Âge
vous souhaite un très bon réveillon et une très belle année 2019 !
Catherine Kikuchi
Pour aller plus loin :
- Bruno Laurioux, Ecrits et images de la gastronomie médiévale,
Paris, BNF, 2011. - Bruno Laurioux, Manger au Moyen Âge, Paris, Hachette,
2002
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