Ralph Ineson (« The Man in Black »), dans « Near Algodones », un des six segments du film « La Ballade de Buster Scruggs », réalisé par Joel et Ethan Coen. NETFLIX
Résumé des épisodes précédents : après avoir quitté leur Minnesota natal, Joel et Ethan Coen sont devenus de grands maîtres du cinéma mondial. Entre 1984 (Sang pour sang) et 2013 (Inside Llewyn Davis), ils ont acquis le statut de grands maîtres du cinéma mondial sans renoncer à en être les enfants terribles. Depuis, un long-métrage seulement – Ave César ! (2016) –, qui n’a rien ajouté à leur réputation. Une série aussi, qui s’est faite sans eux, à partir de l’un de leurs plus grands succès, Fargo, et les a fait connaître à une autre génération, un autre public.
La fortune de ce remake sans fin est sans doute pour quelque chose dans le retournement de veste des frères Coen, qui professaient leur désintérêt pour le format épisodique. Début 2017, ils annonçaient la mise en chantier d’une série de westerns destinée au petit écran, projet qui fut acquis par Netflix quelques mois plus tard. A l’été 2018, on apprenait que les six épisodes d’une heure annoncés étaient devenus un film à sketches, qui serait présenté au Festival de Venise et diffusé sur la plate-forme de streaming.
Noir, désespéré et sardonique
On ne peut s’empêcher de discerner les traces de cette genèse hésitante dans l’enchaînement des histoires qui composent La Ballade de Buster Scruggs : on y trouve de vrais courts-métrages, l’esquisse d’un long-métrage et quelques idées qui paraissaient assez bonnes pour être mises en scène et se révèlent finalement trop légères pour un faire un film, court ou long. Et comme on est sur le territoire des Coen, le ciment qui tient l’édifice est noir, désespéré et sardonique.
Le premier segment, qui donne son titre au film, repose sur une idée unique : un cow-boy chantant, vêtu de blanc (Tim Blake Nelson, d’abord amusant, puis terrifiant), inspiré de Roy Rogers, se retrouve précipité dans l’univers de Sergio Leone. L’entrain avec lequel Buster Scruggs dépêche ses adversaires dans l’au-delà, la précision du pastiche (trognes barbues, cuirs puants, taudis de bois…) emportent le morceau en quelques minutes. Dans la même catégorie – les courts-métrages – coexistent une vignette morbide intitulée Meal Ticket dans laquelle Liam Neeson, imprésario désargenté, promène un comédien infirme de camp de mineurs en ville-champignon, et le dernier sketch de l’ensemble, The Mortal Remains, qui emmène les passagers d’une diligence du côté de la littérature et du cinéma gothiques.
Tim Blake Nelson dans le segment « La Ballade de Buster Scruggs », du film éponyme réalisé par Joel et Ethan Coen. NETFLIX
Near Algodones, avec James Franco en bandit poursuivi par la guigne, et All Gold Canyon, avec Tom Waits en prospecteur tenace, dissimulent l’inconsistance de leur scénario derrière quelques retournements de situation macabres qui ne surprendront pas les familiers de la fratrie Coen. Comme ceux-ci communiquent à chaque plan leur culture encyclopédique du western et leur amour des modèles qu’ils moquent, on a à peine le temps de leur en vouloir de ne pas avoir respecté l’énoncé, d’avoir livré un carnet d’esquisses à la place de l’anthologie qu’on attendait.
Une femme forte et drôle
Reste le cas du cinquième segment de cette Ballade, The Gal Who Got Rattled, un western à grand spectacle qui emmène Alice Longabaugh (Zoe Kazan) à travers la prairie sur la piste de l’Oregon. Elle a entrepris la traversée du continent avec son époux, qui la laisse bientôt veuve. Elle doit mener son chariot et préparer son arrivée dans le Nord-Ouest, décider de rester célibataire ou céder aux avances de l’adjoint au chef de convoi.
Zoe Kazan interprète Alice Longabaugh dans « The Gal Who Got Rattled », un des six segments du film « La Ballade de Buster Scruggs », réalisé par Joel et Ethan Coen. NETFLIX
En quelques plans, Zoe Kazan impose la figure d’une femme que rien n’a préparée à prendre les décisions réservées de coutume aux hommes. Elle est forte et drôle, on passerait des centaines de miles en sa compagnie, autour d’elle les personnages secondaires sont nettement dessinés. De toutes les créatures étranges ou pathétiques qui peuplent le Far West de Joel et Ethan Coen, c’est à la veuve Longabaugh que l’on souhaite le meilleur sort. Echappera-t-elle au cynisme désinvolte avec lequel les frères ont traité ses congénères des autres segments ?
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Film américain en six parties de Joel et Ethan Coen. Avec Tim Blake Nelson, James Franco, Liam Neeson, Tom Waits, Zoe Kazan (EU, 2 h 13). Sur Netflix.
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