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«« What You Gonna Do When the World’s on Fire ? », documentaire de Roberto Minervini. Shelac
Le documentaire What You Gonna Do When the World’s on Fire ? est né d’un changement de cap. Parti dans les quartiers pauvres de La Nouvelle-Orléans, avec pour projet de remonter aux sources de la culture afro-américaine, Roberto Minervini explique comment il s’est éloigné de ses intentions initiales au profit d’un autre sujet, le racisme et la violence auxquels sont confrontés les Noirs dans le sud des Etats-Unis.
Comment votre projet initial a-t-il glissé vers celui du film ?
Désireux de creuser les origines de la musique afro-américaine, j’ai commencé, en 2015, un travail de recherche qui m’a mené dans les ghettos de La Nouvelle-Orléans. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Judy Hill, le personnage principal du film. Elle m’a ouvert la porte sur un monde, en principe inaccessible, et conduit vers des personnes dont les témoignages m’ont touché. Cette parole a conduit mon film, elle a imposé son univers. J’ai compris que les Noirs américains avaient besoin d’espace pour parler, et j’ai décidé que ce film devait être un film de dialogue. La musique, elle, est demeurée présente, dans la bande-son, comme protagoniste invisible.
Comment parvenez-vous à établir un lien avec ces personnes méfiantes face à une caméra ?
Avant le tournage, le travail consiste précisément à fréquenter ces personnes, à créer avec elles un dialogue informel qui n’a pas pour but d’être dans le film. Il est primordial pour moi de créer un rapport d’intimité, de confiance et d’affection. S’il n’existe pas, je ne peux rien envisager. Ensuite, pour le tournage, je procède avec une petite équipe, à qui je confie une histoire très grande.
Comment s’est construite l’esthétique du film ?
J’avance par petits pas. En 2016, je n’ai tourné que quelques minutes par jour, sans écrire ni diriger, seulement pour observer et introduire en douceur la présence de la caméra. Puis, en 2017, j’ai tourné trois mois d’affilée. Mes tournages s’inscrivent dans l’immédiateté, en fonction de l’endroit et de la lumière. Cela me laisse peu de possibilités. Mais je préfère ne pas tourner si ces conditions ne sont pas remplies. Je considère comme un devoir de rendre l’élégance et la solennité du moment, de restituer aux personnes leur dignité. Cela ne relève pas de l’écriture, mais d’autre chose : une façon très sélective de présenter la réalité.
Est-ce dans cette optique que vous avez choisi le noir et blanc ?
La couleur aurait accentué de façon préjudiciable les changements de lieu et de milieu. Elle aurait probablement aussi créé une hiérarchie entre les différents groupes, ceux habillés en noir auraient paru très austères et moins séduisants que les Indiens de Mardi gras par exemple. Le noir et blanc crée aussi une absence de temporalité dont j’avais besoin pour raconter une histoire qui dure depuis des siècles.
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