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De gauche à droite : Kairi Jyo, Lily Franky, Mayu Matsuoka, Sakura Ando enlaçant Miyu Sasaki, dans « Une affaire de famille », réalisé par Hirokazu Kore-eda. LE PACTE
L’avis du « Monde » – chef-d’œuvre
Ce film, le plus beau, le plus émouvant, le plus puissant, de son auteur, pourrait porter en exergue ce vers de Bob Dylan : « Pour vivre hors la loi, il vous faut être honnête. » La famille du titre français vit, entre autres, des larcins dans les magasins qu’évoque le titre international Shoplifters (« voleurs à l’étalage »). Une affaire de famille fait de cette tribu minuscule le lieu de l’affrontement entre la règle sociale et l’exigence de justice, entre les interdits et l’assouvissement des désirs. De la révélation de cette petite communauté cachée dans les marges de la société japonaise à son explosion, Hirokazu Kore-eda construit un récit rigoureux fait de dévoilements successifs, de retournements bouleversants, mis en scène avec la grâce qu’on lui connaît, augmentée cette fois d’une vigueur sensuelle inédite.
Au fil des saisons – le film commence et se termine dans la froidure – la rencontre entre spectateurs et personnages reste une découverte perpétuelle. Parce que des secrets sont mis au jour, surtout parce que Kore-eda ne tient rien pour acquis, ni la « psychologie » des gens qu’il filme ni les rapports de force. Il filme l’œuvre de la vie et du temps sur ses personnages, adultes et enfants, façonnés aussi bien par les coups que leur porte le monde qui les entoure que par les liens complexes qui les rassemblent.
Du spectacle de ce merveilleux échantillon de notre espèce sourd aussi une espèce de grondement rageur, que pousse le metteur en scène face à la difficulté d’aimer, de vivre ensemble. Lorsqu’il a présenté Une affaire de famille au festival du Monde, Hirokazu Kore-eda a redit qu’il se sentait beaucoup plus proche de Ken Loach que de Yashujiro Ozu, auquel on l’assimile souvent. Mais là où l’auteur de Moi, Daniel Blake (2016) organise la vie de ses personnages autour des causes pour lesquelles il se bat, Kore-eda procède avec une finesse qui rend, au départ, presque imperceptible, le contre-chant politique qui accompagne l’épopée minuscule du clan Shibata. Ce n’est qu’après le dernier plan déchirant du film qu’on prend tout à fait conscience de cette dimension.
Aux premiers plans, sur le visage d’un beau petit garçon aux cheveux longs, dans un supermarché, on ne voit que la comédie presque burlesque du vol à l’étalage. Shota (Kairi Jyo) fait glisser des sachets de nourriture industrielle dans son sac à dos pendant qu’Osamu (Lily Franky) qui pourrait bien être son père, fait écran. Sur le chemin qui les ramène chez eux avec leur butin, ils aperçoivent – et ce n’est pas la première fois – une petite fille seule, dans le froid, à l’extérieur d’un appartement. Ils lui proposent à manger, finissent par la ramener dans leur maison, un pavillon d’une pièce, coincé dans un petit jardin minable.
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