Cinéma

Le Jury courts-métrages du Festival des Arcs 2022 est-il cinéphile aussi ?

Au tour du jury court-métrage des Arcs 2022 de subir notre question philosophique cruciale : faut-il être cinéphile pour être un bon membre d’un jury de festival de cinéma ? Les réponses de Shirine Boutella, Léa Mysius, Céleste Brunnquell…

Après les longs, les courts. Le Festival des Arcs 2022 remettra son palmarès ce soir, sous la présidence de Roschdy Zem. Mais il n’y en a pas que pour les longs-métrages puisqu’un jury devra également remettre des prix parmi une sélection de quatorze petits films venus de toute l’Europe… Les formats sont différents mais la question (qu’on a aussi posé au jury long-métrage) reste la même : au fond, est-ce qu’un bon membre de jury de festival de cinéma doit être cinéphile ? Ça vous paraît évident ? Pas tellement, si l’on en croit les membres du jury courts-métrages…

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Léa Mysius, présidente du jury :

« Ce n’est pas sûr. Il faut avant tout être un bon spectateur. L’idée est de juger des films, pas en fonction de critères techniques. L’idée dans notre jury est de voir s’il y a du bon cinéma. On le sent tous quand ça arrive. Tous les spectateurs de savoir s’il y a du style ou de l’émotion. Donc ce n’est pas indispensable -au contraire, je pense qu’il devrait y avoir des membres du jury totalement extérieurs au monde du cinéma. Evidemment, la cinéphilie permet d’affûter son regard. Comme la lecture, plus on lit et plus on apprécie des livres. Mais c’est une question de curiosité, non de savoir. Être un bon spectateur, c’est accepter de se laisser prendre par le film… Je peux être une mauvaise spectatrice, à me demander tout le temps comment c’est fait. Mais tu peux aussi voir le mécanisme et l’admirer. Au sens strict, un cinéphile, c’est aimer le cinéma, et dans un jury de cinéma, ça serait un peu bizarre. Je n’ai jamais rencontré des gens qui n’aiment pas les films. Mes parents étaient très cinéphile, très pointus, ils nous ont montré à ma sœur jumelle et moi La Nuit du chasseur et Freaks très tôt… Même si on n’avait pas le droit de regarder la télé. Le cinéma le plus proche était à une heure et demi de chez nous, près de Bordeaux, chaque sortie était un évènement. Ma mère nous avait emmenées voir La Liste de Schindler, mais on s’est faites refouler, on avait quatre ans ! On avait dû aller voir Les Aristochats. Ensuite, à l’adolescence, je vivais à la Réunion et c’était dur de voir des films, je me rattrapais en DVD. Je crois que depuis que je fais des films, je juge plus durement ceux des autres -enfin, non, c’est plutôt que quand je viens de finir un film, je les juge plus gentiment car tu sors d’un tournage et c’est tellement dur de faire un film… Alors que quand tu es en phase d’écriture, devant ton ordinateur, là tu es plus dure. Je me souviens de mon premier choc de cinéma, c’était la vision de Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) de Desplechin, en vidéoprojecteur à la Réunion. Un autre, c’est la vision du Tambour (1979) de Volker Schlöndorff, je devais avoir dix ans… Et, j’en parle tout le temps, La Nuit du chasseur et Freaks… même si Le Tambour est remonté dans ma mémoire avec Les Cinq diables. J’ai l’impression qu’il infuse tous mes films. J’aime beaucoup parler des films, mais je ne lis plus des critiques ou des livres sur le cinéma. Je préfère voir les films et en parler. Quand tu critiques un film à l’oral, tu peux changer d’avis instantanément, par exemple. Sinon, j’aurais bien aimé voir les films des Arcs avec un public et pas que seulement avec le jury -il y avait des comédies, et les films s’imprègnent différemment quand tu communies avec un public. »

Léa Mysius a réalisé Ava (2017) avec Noée Abita et Laure Camaly, ainsi que Les Cinq Diables (2022) avec Adèle Exarchopoulos.

Sofian Khammes :

« C’est vraiment une question philosophique, là ! J’imagine que oui… Être un cinéphile, ce n’est pas seulement avoir une énorme DVDthèque et connaître toutes les références. Je me considère plus comme un consommateur. J’aime tout regarder, je n’ai aucun snobisme. Pour être un bon membre de jury il faut aimer regarder des films, avoir du désir et du respect pour ce que tu vois. Ceci dit, depuis le déconfinement, j’avoue, j’ai du mal à retourner au cinéma comme avant. Là, je reprends l’habitude. L’expérience de la salle, avoir tous le même regard pour le même objet, ça ne se remplace pas ! Ça fait quelques années que je n’achète plus de DVD, j’en ai tellement chez moi. J’ai un rapport quasi fétichiste à l’objet. Je me souviens, quand j’ai commencé à vouloir être acteur, je voulais surtout être sur la jaquette du DVD. Quand j’ai reçu Le Convoi (2016), mon premier film, avec Benoît Magimel, j’étais comme un fou… Même si je n’étais pas sur la jaquette mais derrière. (rires) J’adore ma DVDthèque. J’ai aussi le besoin d’avoir mes films, mes auteurs, comme des livres. Tous les ans, en janvier-février, je revois Barry Lyndon (1975) de Kubrick. On est bientôt dans la période, ça doit être le manque de vitamine D. ça, et le besoin de le décrypter, d’analyser le moindre de ses choix artistiques, la voix off, les batailles, le traitement du héros… Tu ne peux pas voir un film qu’une seule fois ! Au collège, on échangeait des VHS, Scorsese, Scarface, Le Parrain… Résultat, même dans les milieux prolos, on connaissait ces films. Bon, aujourd’hui, les plateformes, ça encourage un peu la paresse, si c’est en ligne il n’y a pas d’effort. La série finctionne sur le désir et la frustration. Ça te gobe. Un bon film, ça t’interroge sur ta place en tant que spectateur. Comme Barry Lyndon. Ça te donne de la beauté en te faisant participer. J’allais au cinéma UGC Les Réformés, sur la Canebière, qui n’existe plus. Je payais une place et je me débrouillais pour en voir plus. J’ai le souvenir que 8 millimètres (1999) avec Nicolas Cage m’a vahcement marqué, c’était interdit aux moins de 16 ans ! Bon, j’ai vu beaucoup de baudes. Last Days (2005), le premier Gus Van Sant que j’ai vu, m’a aussi beaucoup marqué. La caissière n’arrêtait pas de me dire que c’était en VO, comme si je n’avais pas le droit de le voir, que ce n’était pas pour moi… Tout ça pour dire que tu n’as pas besoin d’être cinéphile pour aller au cinéma. Et puis, plus que tout, j’adore débattre après un film. »

En 2022, Sofian Khammes a été vu dans Enquête sur un scandale d’état de Thierry de Peretti, Sentinelle Sud de Mathieu Gérault et Novembre de Cédric Jimenez.

Jacques Kermabon :

« Je ne sais pas trop… C’est une question à tiroirs, être cinéphile, ce n’est pas monolithique, il y a plusieurs cinéphilies -et en fonction de l’âge, ça change. Il faut quand même avoir une idée de cinéma et avoir vu pas mal de films. J’ai fait des jurys, et ses membres considèrent qu’ils ont une légitimité. Ce qui me frappe toujours c’est que malgré la diversité des pays et des métiers, on arrive 90% du temps à être d’accord sur les mêmes films. Je crois à une espèce de collectivité cinéphile, en fait. On se rend toujours compte quand la mise en scène sort du lot… Mais je suis toujours surpris qu’on se retrouve au-delà de nos âges, de nos métiers. Je ne prends pas de notes pendant la projection, en fait, ça me gâche le plaisir. Je regarde le film -quand il me marque, c’est suffisant. Une amie critique me dit qu’elle prend des notes pendant les films, mais quand elle les relit elle les trouve soit inintéressantes soit inutiles. J’essaye au maximum d’être un spectateur. Le cinéma peut nous emporter malgré son support. Je me souviens à la fac de Paris 3, j’avais trouvé la VHS de French Cancan (1955) de Jean Renoir qui était introuvable à l’époque… Je l’ai vu sur une toute petite télé, dans une salle de cours, et j’ai été soufflé quand même ! Au lycée, à Villeparisis, j’ai fréquenté un ciné-club, je me rappelle d’y avoir découvert un magnifique film de King Vidor, Notre pain quotidien (1934), et avoir été frappé par l’image des paysans qui utilisent leurs corps pour dévier l’eau d’une irrigation… Mais aujourd’hui, je ne vais pas autant au cinéma que je voudrais, en tant que simple spectateur. Et à la fac, j’ai été frappé de voir que mes étudiants ne connaissaient pas Pialat. Il y a aussi une nécessité de guider, de transmettre… »

Rédacteur en chef de la revue du film d’animation Blink Blank et chargé de cours à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Jacques Kermabon est un ancien membre du comité de sélection court métrage du Festival de Cannes et ancien sélectionneur des courts métrages aux Arcs Film Festival.

Shirine Boutella :

« Faut-il être cinéphile ? Oui et non. Il y a tellement de personnel et d’émotion dans ce que tu regardes… mais avoir un minimum de choses différentes, pour avoir quand même un avis sur ce que tu regardes, sur la photo, les points de vue… Et je ne me considère pas du tout comme cinéphile. Ça doit être mon syndrome de l’imposteur, mais j’ai l’impression que tous les films que j’ai vus ce sont de gros blockbusters américains. Je suis en train d’apprendre sur le tas, j’ai une très longue liste sur une note de mon téléphone. Tout ce que j’ai à rattraper, j’estime que j’ai de la chance de les découvrir maintenant avec un œil professionnel. Mais dans un festival comme ça, tu te retrouves assis à une table avec des pros, des réals et des acteurs qui ont des carrières de malade et des récompenses… Tu sens un petit manque. Quand ils parlent d’un truc, tu hoches la tête mais tu regardes sur Google sous la table pour avoir un minimum de réf. (rires) Mais il ne faut pas s’empêcher de dire qu’on ne connaît pas, même si tu te sens un peu exclue parfois. Ma liste, je la fais à partir des discussions avec celles et ceux que je rencontre -surtout quand on me dit que c’est leur film préféré… J’ai vu Les Cinq diables de Léa Mysius, mais il faut que je rattrape Ava maintenant ! Je loue les films sur des plateformes. Par exemple, je viens de revoir les deux premiers Bridget Jones parce que c’est la référence d’un projet que je prépare. Mais je regarde tout en VO. Plus jamais la VF ! On a regardé quatorze courts-métrages en deux sessions de sept films chacune. Au début, je voulais prendre des notes, mais bon, ça reste assez frais, je n’en ai pas eu besoin pour débriefer -et on s’est mis assez rapidement d’accord sur le palmarès. On a pris le temps de discuter de chaque film, mais le lauréat a été évident. Original, techniquement très maîtrisé… En Festival, il y a un effort de talent à récompenser, à mon avis. Ce film lauréat était en fait super complet…Je crois quand même que mon regard a changé depuis que je joue dans des films -et depuis que je m’intéresse pour de bon au cinéma français. »

Shirine Boutella a joué dans Papicha (2019) de Mounia Meddour, ainsi que les séries Lupin (Netflix) et Validé.

Céleste Brunnquell :

« Cinéphile, je ne sais pas trop ce que ça veut dire… Je me dis que je n’ai pas trop le langage, les termes techniques. Il y a tellement de films que je n’ai pas vus et qui sont considérés comme des classiques ! Moi, j’aime en regarder et en parler. C’est mon deuxième jury après Deauville, et parler des films comme ça, ça m’intéresse. Je sais que les Disney ennuyaient ma mère, et mes parents ne nous montraient pas beaucoup de films car ils voulaient qu’on se fasse notre culture nous-mêmes. J’essaie de me nourrir de ce qu’on me conseille, sur les tournages, ou à travers les gens que j’aime. Je vais dans des salles art et essai, j’explore la plateforme Mubi, je vais même dans un vidéoclub où le patron me conseille. On m’a conseillé un documentaire de Chantal Akerman sur Pina Bausch, Un jour Pina a demandé… (1983), et c’est un des plus beaux films que j’ai jamais vus. J’ai déjà vu deux documentaires sur elle, mais celui-ci c’est le plus beau, qui se rapproche le plus de la sensibilité de Pina, en parler ça me donne des frissons. Ça va tellement loin dans la beauté du geste, Chantal Akerman a compris sa quête d’amour et de tendresse… Il est dispo sur Madelen, le site de VOD de l’INA. Le réalisateur Erwan Le Duc m’a conseillé des films, pas tant pour nourrir mon personnage de La Fille de son père (sortie prochainement) mais plutôt pour avoir ensemble un langage commun, des références. Céline Rouzet, avec qui j’ai tourné En attendant la nuit, une sorte de flm de vampires, elle m’a conseillée les films de Roy Andersson comme Une histoire d’amour suédoise (1970) qui montre une histoire d’amour adolescente -je crois que pour Céline c’est une référence plastique évidente. Quand je suis jurée, j’arrive avec mon carnet pour prendre des notes mais j’oublie toujours et je préfère ressentir et en discuter après. Ici, on a vu quatorze films, c’est l’autoroute du court-métrage, c’est génial, tu fais des parallèles, des mélanges… Devant un film, je me sens vraiment spectatrice, et pas comédienne. Je crois que je vois au moins cinq films par mois, en salles. Je peux voir trois films en une soirée, je fais tout un programme précis, je vais de salle de cinéma en salle de cinéma… »

Céleste Brunnquell a joué dans Les Eblouis (2019) de Sarah Suco et la première saison de la série En thérapie.


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