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Amplifier sans déformer, l’équation malienne de BKO

Le quintet BKO. © Xavier Courraud

Sur le plan artistique comme sur le plan esthétique, BKO multiplie les challenges et offre à la musique malienne de nouvelles perspectives, en associant des instruments jamais réunis et en les orientant vers un horizon commun. L’audace paye, pour le quintet basé à Lyon et Bamako et auteur d’un troisième intitulé album Djine Bora.

Lorsqu’ils se sont retrouvés fin mars, après l’épisode Covid qui les avait tenus éloignés les uns des autres comme des scènes internationales pendant deux ans, les quatre musiciens maliens de BKO et leur acolyte français envisageaient leur avenir proche avec un enthousiasme que l’on peut deviner : une dizaine de concerts en Suisse et en France, en guise de remise en jambes avant la sortie ce mois de juillet d’un album fin prêt, Djine Bora.

Mais le plaisir d’être à nouveau réunis pour défendre leur répertoire singulier a tout à coup laissé place à l’inquiétude, en fin de tournée : l’état de santé d’Ibrahima Sarr, maître percussionniste de 59 ans, s’est dégradé et un cancer des cordes vocales a été diagnostiqué fin avril, heureusement à temps. Pour tenter de faire face aux dépenses liées au traitement et à la prise en charge médicale (25 000 euros), une cagnotte en ligne a été mise en place.

En attendant d’être en mesure de se produire à nouveau en live avec sa formule détonante, BKO (trois lettres qui désignent l’aéroport de Bamako dans le code de l’aviation internationale) donne la sensation de s’être complètement libéré sur son troisième album : une énergie rock, sinon punk, au-delà encore de que proposent par exemple ses compatriotes du Bamba Wassoulou Groove.

La raison de cette évolution ? Une autre façon d’enregistrer. « On est plus dans le vrai », estime Aymeric Kroll, qui porte le projet depuis le début et a fait son apprentissage à Bamako auprès d’Ibrahima Sarr. « On n’a rien enregistré au click (au métronome, pour éviter les variations de tempo, ndlr), ce qui n’était pas le cas sur les précédents. L’album est fidèle à ce que les gens peuvent écouter quand on est en live« , ajoute-t-il. « Tous les arrangements étaient faits en amont », poursuit le Français du quintet.

Des habitudes modifiées

Contrairement à ce qui avait prévalu sur Bamako Today (2014) et Mali Foli Coura (2017), il a préféré cette fois laisser le collectif faire ses choix et décider plutôt que confier la réalisation à un intervenant extérieur. Il y a aussi eu nettement moins de travail en post-production (après la phase proprement dite d’enregistrement), qui représentait une part substantielle du produit final : avec le temps, les musiciens se sont approprié les outils technologiques leur permettant de transformer le son du donso ngoni des chasseurs et du djeli ngoni des griots, deux instruments traditionnels. Avec ce que l’amplification et ses effets peuvent impliquer, modifiant l’approche et les habitudes des musiciens : moins de notes, un autre mode de jeu et au final une autre mélodie. « Voir une mini-guitare comme le ngoni qui balance des solos à la guitar hero avec un son complètement fou et distordu, c’est ce qui excite le public. On n’est pas dans le son pur », commente Aymeric Kroll.

Dans le dialogue musical interculturel qu’ils ont développé au sein du groupe, ses partenaires ont aussi adapté leurs pratiques, en termes de formatage, pour que la durée des morceaux puisse correspondre aux règles occidentales de l’industrie phonographique. Les dix titres de Djone Bora en attestent, loin des standards locaux ! « Ils adorent quand c’est arrangé en mode chanson », constate Aymeric, qui compare cette formule raccourcie à « un shoot », sur le plan de l’intensité d’un point de vue malien !

Dans le processus créatif de BKO, les parties chantées de Fassara Sacko – devenu aveugle en raison d’un glaucome – précèdent souvent le travail des musiciens, qui dépend de leurs disponibilités respectives. S’il ne compte plus les séjours qu’il a faits au Mali depuis 2001, le Lyonnais reconnaît volontiers qu’il les a raccourcis, car ils étaient « chronophages et consommateurs d’énergie ». Sans compter les coupures d’électricité, forcément dommageables pour son groupe branché sur secteur.

L’envie d’aller plus loin

Il assure y avoir gagné en efficacité. De leur côté, ses acolytes ne manquent pas d’engagements : Fassara Sacko, pur produit des maquis de Bamako, retrouve aussi Mamoutou Diabaté dans un club de la capitale, tandis qu’Ibrahima Sarr et Adama Coulibaly, qui a enregistré sous son nom un album produit par Salif Keita et accompagné dans le passé son compatriote koriste Ballaké Sissoko, font équipe pour de nombreux mariages.

Les moments passés tous ensemble, en dehors des tournées, sont donc rares, mais productifs. Avec toujours, de la part de chacun des membres, l’envie d’aller plus loin, de sortir de sa zone de confort, à l’image de la chanson Bamako : « Du doo-wop avec un groove à la Amy Winehouse », décrit Aymeric Kroll. Joué et chanté par des Maliens, avec des instruments traditionnels amplifiés.

BKO Djine Bora (Bongo Joe Records / L’Autre distribution) 2022

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