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MPR, le duo congolais rap-rumba qui ne laisse pas indifférent

le groupe de rap congolais MPR. © Junior Nzolo

Dans le ciel musical congolais, MPR fait figure d’ovni. En trois ans, le duo de rappeurs originaires de Kinshasa est parvenu à s’imposer en sortant des chemins habituels, tant sur le fond que sur la forme : du rap nourri de rumba, qui se plait à raviver le souvenir du Zaïre d’antan et cherche à moraliser la société dans laquelle il vit. Son premier album Sese Seko, d’après le nom du maréchal Mobutu, vient de paraître.

Sur le tarmac de l’aéroport de Kinshasa, au pied de l’avion qui devait les emmener en France, les deux membres de MPR étaient tout sourire, le 6 juillet dernier. “On arrive, Paris”, s’écriaient-ils avec une forme de soulagement dans une vidéo qui mettait enfin un terme à un suspens de plus en plus inquiétant sur la tenue de leur concert prévu le surlendemain dans une grande salle parisienne, “parrainé par Youssoupha”, lisait-on sur l’affiche. Une date qui devait compter dans leur jeune carrière, d’autant que l’événement était couplé avec la sortie de leur premier album tant attendu intitulé Sese Seko.

Un concert qui n’aura jamais lieu

Au moment de s’envoler vers l’Europe, sans doute Zozo Machine et Yuma Dash n’étaient-ils pas encore au courant de la décision prise quelques heures plus tôt à Paris par la préfecture de police. L’arrêté qui tenait sur trois pages ruinait – temporairement – leur rêve. “Le concert du groupe MPR programmé le vendredi 8 juillet 2022 […] est interdit”, dispose l’article 1er. Les raisons ? “Ce concert s’inscrit dans un contexte politique particulièrement tendu et violent entre partisans et opposants au régime en place en République démocratique du Congo”, justifiait l’autorité administrative qui s’appuyait sur un précédent et rappelait le triste bilan des “troubles grave à l’ordre public” autour du concert de Fally Ipupa à l’AccorHotels Arena en 2020 : 44 véhicules particuliers, quatre utilitaires et 132 deux-roues dégradés par incendie, 60 personnes interpellées.

“Les groupes d’opposants radicaux sont les mêmes”, poursuivait l’exposé des motifs, visiblement peu à l’aise pour naviguer dans les méandres de la politique congolaise, puisqu’il laissait penser explicitement que le groupe soutenait lui aussi le président de la RDC Félix Tshisekedi… alors même que le duo s’est au contraire démarqué en interpellant le régime en place : sa chanson Nini To Sali Te (Que n’avons-nous pas fait ?) a été interdite de diffusion par la Commission nationale de censure des chansons et des spectacles en novembre 2021 ! “On nous a dit que si Mobutu partait, tout irait mieux. Il est parti, c’est le statu quo. On nous a dit que si Kabila lâchait, tout devait s’améliorer. Il est parti et rien ne va pour le mieux”, estiment les intéressés dans le morceau incriminé. L’affaire, relayée entre autres par Amnesty international, avait fait grand bruit et en quelques jours la sanction avait été annulée. Avec au passage un effet bénéfique en termes de notoriété pour les auteurs de cette chanson-réquisitoire contre l’immobilisme de la classe politique : “Soixante-et-un an d’indépendance, mais nous sommes toujours à la traine. Est-ce un déluge éternel ? Je ne suis plus très enthousiaste quand il s’agit d’aller voter. Élections ou pas, c’est pareil. La faim nous colle à la peau comme une seconde nature. L’insécurité règne partout en maitre dans nos cités. Les députés au Parlement passent la plupart de leur temps à festoyer […] Nous avons fait toutes sortes de prières et pourtant Dieu nous ignore.”

MPR pour Musique populaire de la révolution

Si les propos aiguisés des deux garçons reflètent le côté revendicatif du rap, un paramètre d’une tout autre nature interfère dans le sévère constat qu’ils dressent. Impossible de passer inaperçu dans le paysage musical congolais quand on s’est choisi pour nom un sigle tant chargé d’histoire et si fortement connoté : pour eux, officiellement, MPR signifie Musique populaire de la révolution ; pour leurs compatriotes, ces trois lettres restent celles du Mouvement populaire de la révolution, le parti unique crée en 1967 par Joseph-Désiré Mobutu, alias Mobutu Sese Seko, au pouvoir de 1965 à 1997 – et dont l’un des Premiers ministres a été Étienne Tshisekedi, père de l’actuel chef de l’État. La référence n’est en rien fortuite, elle est même développée, cultivée, bien que le groupe se défende d’appartenir à un camp spécifique et préfère évoquer la défense d’un héritage culturel. Avec un soupçon de nostalgie.

Les nombreuses allusions au maréchal-président sont en réalité au centre de son œuvre, comme en témoigne le titre de son premier album, Sese Seko. Ou encore ce faux Mobutu que l’on retrouve dans le récent clip de Malembe et qui prenait la parole dans celui de Semeki pour adresser à ses concitoyens un message pour le moins moralisateur : “C’est étonnant ce qui se passe dans le pays : les femmes qui changent de mecs comme de talons ; les hommes qui changent de femmes comme de chaussettes.”

Mais le succès de MPR ne résulte pas d’un coup de communication, aussi réussi soit-il, ni de cet univers rétro savamment travaillé à l’image. C’est par leur positionnement et leurs intentions artistiques que José Batoka et Marcus Lubuya, les patronymes du tandem à l’état civil, se distinguent sur la scène locale. Dollars, un des premiers titres qui les a mis en lumière en 2019, ne vilipendait-il pas le culte de l’argent-roi, à contre-courant de la tendance qui prévaut en RDC ? Même rupture dans les vidéos : là où il est d’habitude question de villas de luxe, de champagne et de belles voitures pour étaler sa richesse (réelle ou supposée), MPR préfère filmer la réalité : celle de Matete, cette commune de la ville-province de Kinshasa d’où ils viennent et qui est souvent montrée du doigt dans l’actualité locale pour être le théâtre d’un “banditisme urbain”. Autre singularité remarquable : l’absence de libanga (ou mabanga, au pluriel), ce name dropping qui vampirise les chansons et dont de nombreux artistes congolais ont abusé, en partie pour se faire financer.

Issus d’une génération qui a grandi au son des musiques urbaines et l’affirme en invitant Kalash Criminel, Youssoupha et Leto sur leur album, Zozo et Yuma ne rejettent pas pour autant le patrimoine musical grâce auquel leur pays s’est fait connaitre sur la scène internationale. Par ses mélodies, ses arrangements, la rumba infuse l’intégralité de Sese Seko. Filmé au pied d’une fresque représentant le visage du Grand Kallé, patron de l’African Jazz associé à jamais au standard Indépendance Cha Cha, le clip de Makambu en dit long sur le respect de MPR vis-à-vis de ses glorieux aînés.

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MPR Sese Seko (Lotus Music) 2022


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