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Mwezi WaQ. : le collectif qui donne voix aux Comores

« Le chant, chez nous, c’est le lieu de la mémoire, la source des questions. Un Comorien qui ne chante plus, c’est qu’il n’entrevoit plus aucun espoir… » Ainsi parle Soeuf Elbadawi, costaud gaillard à la tête du collectif Mwezi WaQ., un nom en forme de mot-valise qui provient de Mwezi Wa (« Lune de » en comorien) et Q (de « Qamar », étymologie de Comores, la « lune » en arabe).

Sa vie durant, l’homme a exercé de multiples métiers : journaliste, dramaturge, écrivain, artiste-créateur d’installations… Mais toujours, au fil de ses activités, il poursuit ce fil rouge : interroger son héritage, les mémoires de son pays, ses trajectoires… « Je partage ma vie entre Paris et Moroni. Je bricole entre deux territoires, deux réalités… Cet équilibre me permet de me tenir droit. Si je ne raconte pas mon pays d’origine, qui le fera ? Je me sens le devoir de porter cette parole », raconte-t-il. Et pour lui, cette parole, cette mémoire de son archipel métissé, au peuple venu d’Oman, de Perse, du Mozambique, d’Indonésie, de Zanzibar, du Gujarat, du Portugal, passe aussi et peut-être avant tout, par la musique. 

« L’odeur de l’arrière-pays »

Aujourd’hui encore, à 52 ans, Soeuf se rappelle ainsi avec une émotion intacte La Bande musicale, cette émission quotidienne, diffusée sur la radio nationale comorienne, à 17h00 sonnantes, lorsqu’il était enfant. « On traversait le pays en musique, des chants soufis aux rythmiques venues du Mozambique, des couleurs d’Afrique de l’Est aux influences indiennes », se souvient-il.

Plus tard, en France, en 1998, il exhume quelques-unes de ces pépites parmi les archives nationales de son pays, sur le disque Musique traditionnelle des Comores. En 2012, il décide de moderniser cet héritage musical avec des créations originales et des classiques revisités.

Pour l’occasion, il fonde le collectif Mwezi WaQ., dont il devient chanteur par accident, sur un premier disque, Chants de lune et d’espérance. Dix ans plus tard, il récidive avec Le blues des sourds muets. « Dans mon premier disque, dit-il, je faisais davantage parler les Comores. Ici, il s’agit d’une galette très personnelle, où je parle avant tout de moi, sans détour… »

Sur quatorze titres – sept inédits, sept reprises, dont une de Baco, célèbre chanteur comorien, et une du contestataire Abou Chihabi, sorte de Bob Dylan de son archipel – qui surfent sur la vague folk comorienne des années 1970-1980, il déploie sa poésie intérieure. Celle-ci prend appui sur le shinduwantsi, l’art poétique comorien par excellence. Une expression qui, selon lui, « garde ses mystères, cache les significations trop limpides derrière les mots. C’est l’odeur de l’arrière-pays. Ce sont les réalités disséminées sur les places publiques, décrit-il. Comme dans tous les petits territoires, on ne parle jamais frontalement aux Comores. J’essaie, dans ce disque, de transmettre la façon de s’exprimer de mon peuple… »

Une saine colère

Derrière l’apparente douceur des musiques, un reggae chaloupé, les mélopées d’un violoncelle, les notes égrenées d’un saz, autant d’instruments exogènes joués par une équipe non comorienne, c’est pourtant une saine colère qui se fait jour.

Sur ses pistes, le chanteur dénonce le pouvoir arbitraire des élites, les restes de colonisation, bien tangibles, qui écrasent sa terre d’origine, le destin fracassé d’un pays à la dérive… En entretien, il ne mâche pas sa révolte : « En vrac : c’est 6000 enfants qui vivent dans la rue à Mayotte. C’est la France condamnée plusieurs fois par l’ONU pour son attitude aux Comores. C’est le port de Moroni entièrement entre les mains de Bolloré. C’est la coopération française qui perpétue sa mainmise sur l’archipel. Ce sont des présidents successifs arrivés ici par l’unique volonté de la France… C’est une Banque Centrale commandée depuis Paris. Et c’est un repli communautaire croissant partout. Pour moi, face à ces situations désastreuses, on ne peut pas être optimiste en étant Comorien. Mais on ne peut pas non plus rester les bras croisés… »

Si la situation a empiré ? L’homme s’en attriste : « Il y a une espèce de rouleau compresseur, qui déshumanise tout. On a perdu le sens du partage, celui de la solidarité. Il y a cinquante ans, on était peut-être dans la merde, mais on avait l’art de la tenir en respect. Et puis, au fondement de la société comorienne, ouverte aux quatre vents, hétéroclite, il y a cette notion, le shungu, un cercle de vertu où tout le monde est à égalité, quelle que soit l’origine des personnes… Un système mis à mal par les colons français, mais qui reste sous-jacent. J’essaie, pour ma part, de ne pas nourrir trop d’acrimonie, par rapport à ce que j’appelle la ‘colonialité' ».

Le fou, le poète et l’étranger

Dans son disque, Soeuf Elbadawi parle aussi des « enfants-djinn ». « Aux Comores, éclaire-t-il, il y a une forte tradition de djinns. Et quand les gens n’arrivent pas à avoir d’enfants, ils recourent à ces entités. Ceux qui naissent de ce processus, portent en eux la douleur de leur peuple, celle de leur famille, celle du quotidien…mais, au final, nous sommes tous des enfants-djinn. »

Pour résoudre et adoucir cette identité, Soeuf a créé, au fil de sa carrière, plusieurs personnages salutaires dans son Panthéon personnel : le fou, le poète, l’étranger et le citoyen en devenir. Et voici pourquoi il écrit, voici pourquoi il chante. Pour incarner ses héros, pour bâtir, malgré tout, les utopies de son pays : « Chez nous, il n’y a pas d’artistes professionnels. Mais, au quotidien, je traque inlassablement la puissance du verbe et celle de la poésie : sur les planches, dans la presse, au micro, en musique… Pour retrouver les mémoires et défendre mon peuple. »

Mwezi WaQ. Chants de lune et d’espérance (Buda musique) 2022

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