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Philippe Darmayan (UIMM) : « Les entreprises doivent prendre leur part dans cette crise du pouvoir d’achat »

Ce vendredi, à Bercy, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, réunit les principales fédérations professionnelles sur les questions de pouvoir d’achat. Le président de la métallurgie (UIMM), Philippe Darmayan, invite les entreprises à s’engager davantage dans la résolution de la crise des « gilets jaunes » et dans le grand débat national qui va s’ouvrir.

Le chef de l’Etat a appelé les dirigeants d’entreprises à prendre leur part dans la résolution de la crise qui s’est ouverte avec les « gilets jaunes ». Est-ce justifié ?

Nos entreprises n’ont été ni la cible ni le lieu du conflit. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas à contribuer à la résolution de la crise car c’est une crise de gouvernance de l’Etat mais aussi de  pouvoir d’achat . Depuis dix ans, ce dernier est stable alors que sur les dix années précédentes, il a crû de 15 %. Les entreprises sont une partie de la solution, même si ce n’est pas la seule.

Il faut aussi intégrer l’évolution des situations familiales, le coût du logement et l’éloignement des lieux de travail qui en découle et impose l’utilisation de la voiture.

Allez-vous demander aux entreprises de la métallurgie d’accorder la prime exceptionnelle et envisagez-vous de donner un coup de pouce aux minima conventionnels ?

Nous en avons débattu avec l’ensemble des industriels, présidents des UIMM territoriales au sein du conseil de l’UIMM. Les entreprises doivent prendre leur part dans  cette crise du pouvoir d’achat . Nous inciterons celles qui en ont les moyens à utiliser cette possibilité. Cela nous paraît particulièrement justifié pour les plus bas salaires.

Mais les entreprises décideront elles-mêmes, compte tenu de leur situation en 2018 et de leurs perspectives pour 2019. On est dans l’incitation collective, pas dans la négociation de branche sur les minima.

Ne craignez-vous pas une poussée des revendications salariales ?

Les négociations salariales intègrent une multitude de facteurs : le  niveau de l’inflation , qui a été supérieur aux prévisions en 2018, les difficultés d’embauche, mais aussi la situation économique, sachant que 2019 s’annonce plus difficile que 2018 dans notre secteur.

Qu’attendez-vous du grand débat national qui va s’engager ?

Les « gilets jaunes » ont soulevé le problème du décalage entre des décisions prises à l’horizon 2050 et les situations concrètes que vivent les gens. Ils ont dit leur refus de mesures brutales et aveugles venues d’en haut sans réflexion sur le comment on y arrive. C’est le fameux décalage entre fin du monde et fin du mois. Ce décalage doit être intégré dans les enjeux de politique publique. Nous avons besoin d’un Etat plus planificateur.

Vous avez la nostalgie des plans quinquennaux ?

Non. Quoi que ! Un Etat stratège doit être planificateur lorsque les ruptures sont majeures. En 2017, par exemple, a été décidé l’arrêt du moteur thermique à horizon 2030 et ce n’est que maintenant qu’est annoncée la création d’un « Airbus de la batterie », alors que la Chine a déjà pris une avance considérable en la matière. A-t-il à l’époque mesuré les changements à venir pour les sous-traitants automobiles ? Les a-t-il aidés à anticiper l’avenir dans cette période de rupture majeure que nous vivons ? La puissance publique doit mener en amont des études d’impact pour mesurer toutes les conséquences de l’instauration d’une économie décarbonée à l’horizon 2050.

Vous pensez que la crise sociale des « gilets jaunes » est derrière nous ?

La crise reste profonde. Le président de la République a répondu à une partie de l’urgence, mais il faut arriver, avec  le grand débat national qui va s’ouvrir, à se mettre d’accord sur la façon de poursuivre les réformes. Aujourd’hui, nous ne créons pas suffisamment de richesses pour assurer la pérennité de notre modèle social. Si nous voulons le conserver, il faut agir sur les deux fronts : libérer l’économie et réformer le modèle français.

Vous reconnaissez la nécessité d’augmenter le pouvoir d’achat, donc de refaire une politique de la demande. C’en est donc fini de la politique de l’offre ?

Non la politique de l’offre ne fait que commencer. Les mesures annoncées par le chef de l’Etat vont permettre d’ augmenter le PIB de 0,2 point  l’an prochain. Mais la production française n’est capable de fournir que la moitié de ce surcroît d’activité car nous ne sommes pas assez compétitifs dans certains secteurs. Le reste passe en importations. C’est bien la preuve que nous avons un problème d’offre. On est capable de remonter la pente mais pour l’instant, nous avons toujours des boulets aux pieds sur la compétitivité coût.

Dans ce contexte, la négociation sur l’assurance-chômage a-t-elle des chances d’aboutir ?

Nous avons pris le sujet par le bon bout : comment faire pour réduire le chômage et parvenir à 3 milliards d’économies. Nous tiendrons l’échéance de fin janvier. Je ne dis que pas que c’est facile mais il y a des chances d’aboutir. Il n’y a pas de mesure magique, sinon on l’aurait déjà prise. Mais il n’y a pas de sujet tabou non plus.

Même le bonus-malus sur les CDD ?

Ce bonus-malus est une fausse route. Nous avons réussi à faire comprendre que le sujet des contrats de très courte durée est limité à certains secteurs qui ne doivent pas être stigmatisés. Si la restauration, le médico-social, l’évènementiel ont recours à des contrats courts, c’est à cause des contraintes liées à leurs activités. Dans l’industrie, nous avons des CDD, mais de plusieurs mois, pas de quelques jours. Donc le problème ne se pose pas. La question doit être réglée par branche professionnelle.

C’est tout de même paradoxal de prendre une mesure générale à l’aveugle pour toutes les entreprises de manière uniforme alors qu’on vient de faire la réforme des ordonnances qui prône au contraire la négociation par branche et surtout par entreprise !

Un point d’étape a été publié cette semaine sur les ordonnances réformant le Code du travail. Est-ce qu’il correspond à ce que vous observez dans votre branche ?

Les grandes entreprises ont largement avancé. Les choses se mettent en place. Dans l’industrie, nous avons signé un accord sur les contrats de mission, un autre sur les CDD et l’intérim. Nous aidons les PME à s’emparer elles aussi de  cette réforme , par exemple en préparant des accords types ou des accords prénégociés avec les syndicats. Cela prend du temps. Dans le domaine du dialogue social, les choses ne se décrètent pas.

L’apprentissage faisait partie de vos priorités pendant la campagne pour la présidence de l’UIMM, où en êtes-vous ?

L’apprentissage est une priorité pour l’industrie et j’en ai d’ailleurs fait un objectif majeur de mon mandat de président de la métallurgie avec l’ambition de le développer de 50 %. Sur ce sujet, le consensus est total en France car c’est une des solutions pour résorber le chômage. Nous sommes aujourd’hui à 40.000 environ dans la métallurgie, il faut arriver à 60.000 en 2023. Depuis vingt ans, on n’a pas assez formé et surtout pas pris assez de risques dans ce domaine. L’apprentissage répond aussi à un besoin de jeunes qui trouvent parfois leur formation trop académique et pas assez concrète.


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