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Mehdi Haddab et Hamdi Benani : du malouf version rock’n’roll

À l’issue de l’un de leur tout premier concert, en Algérie, un maître réputé du malouf, issu de l’école de Tlemcen, leur avoue : « Au début, je me suis demandé : mais, bon sang, à quoi ça sert de jouer aussi fort ? » Il faut reconnaître que Mehdi Haddab, charismatique leader de Speed Caravan, n’a pas pour coutume d’y aller avec le dos de son oud… Y compris lorsqu’il s’agit de revisiter une tradition multiséculaire, le malouf, cette musique arabo-andalouse (ouds, instruments à cordes frottées, percussions) héritée du moyen-âge espagnol, qui a fait école dans d’illustres villes du Maghreb – Constantine, Tlemcen, Fès, etc.

Ainsi, en collaboration avec Cheikh Hamdi Benani, l’un des dignes représentants de l’école d’Annaba, l’enfant terrible du oud électrique, Mehdi Haddab a-t-il décidé de dépoussiérer les noubas, ces longs poèmes chantés, dédiés à chaque heure de la journée, d’électriser le patrimoine, d’y faire rugir ses riffs acérés, toutes griffes dehors, de conférer au malouf sa pâte rock’n’roll, d’y dévoiler des paysages psychédéliques et, bien sûr, de faire grimper les décibels aux rideaux…

Pourtant, à rebours de l’irrévérence assumée, et du pied de nez jubilatoire du oudiste hero qui n’en fait qu’à sa tête, c’est surtout le respect envers ces trésors légués par les anciens, que révèle l’association Haddab-Benani. D’ailleurs, les experts ne s’y sont pas trompés. Après sa remarque sur le volume sonore, le maître de Tlemcen, a validé : « Vous avez fait un travail remarquable…« 

Du malouf dans les bagages

L’aventure commence lors de la dernière tournée algérienne de Mehdi Haddab, pour défendre son disque Big Blue Desert, où de puissants vents contraires faisaient se collisionner des airs d’Orient et du Maghreb, du mbalax sénégalais et des tornades rock. À cette occasion, l’un de ses amis, ex-directeur de l’Institut français de Tlemcen, alors en poste à Annaba, David Queinnec, lui propose de lui présenter cette légende : Cheikh Hamdi Benani. À l’origine, le malouf et ses « morceaux qui n’en finissent jamais« , ce n’est pas franchement la tasse de thé de Mehdi Haddab. Pour ce gosse d’Alger, rien ne vaut le rock’n’roll, et le son tonitruant de ses idoles, Led Zeppelin. Mais Cheikh Hamdi Benani, qui passe régulièrement à la télévision algérienne fait, malgré tout, partie de son paysage. Et ses chansons patrimoniales marquent son enfance. Avec l’âge, bien sûr, Mehdi observe, dans le rétroviseur, toutes les couleurs musicales qui le composent. Et sans nul doute, le malouf fait partie de ses bagages. À tel point qu’il travaille même avec des musiciens de l’école de Tlemcen, pour réaliser la musique d’un documentaire. 

« Jouer avec un tonton« 

Alors, « banco » pour la rencontre avec Cheikh Hamdi Benani ! « La première fois, nous sommes allés manger au restaurant, se souvient Mehdi. J’ai tout de suite été séduit par son élégance surannée, son côté old-school ! J’ai aimé la haute tenue de son verbe, son excellent français, teinté d’une pointe d’accent pied-noir, truffé d’expressions désuètes. Sans parler de ses anecdotes incroyables ! Le monsieur s’est quand même produit devant une cinquantaine de chefs d’État, dont Fidel Castro, Mao Zedong ou Leopold Sedar Senghor. Naturellement, nous l’avons invité à jouer avec nous. Et quand il a débarqué sur les planches, avec son violon blanc, sa marque de fabrique, dès ses premières notes, il a mis tout le monde d’accord ! J’avais l’impression de jouer avec un tonton… J’ai adoré cet échange générationnel !  » À l’issue de cette rencontre, pour son départ d’Annaba, Cheikh Hamdi Benani cède une grosse vingtaine de CD de malouf à Mehdi. 

Diapason émotionnel

Pour le chapitre 2, l’histoire démarre à Rennes, où réside l’oudiste. Dans un garage sans connexion, sans fenêtre, il s’enferme avec les disques légués par le maître. Il dérushe, sélectionne des titres, des thèmes, avec une seule boussole : son diapason émotionnel. Pour donner d’autres couleurs à ce patrimoine, dans lequel il plonge âme et cœur, il lui faut des idées d’arrangements, de sons, de structures à partir bien sûr, de bases solides, et d’un profond respect du malouf.

Ainsi exprime-t-il : « Pour sonner moderne, il faut connaître scrupuleusement le passé. En fait, j’ai repensé au flash qu’avait eu Picasso pour les arts primitifs : il en a inventé le cubisme ! Pour taper juste, il faut aller chercher loin, dans les mémoires collectives. » Alors, bien sûr, pour ne pas trahir la tradition, Mehdi marche sur des œufs : « Et j’en ai fait des omelettes ! « , rigole-t-il.

Retour à Annaba. Il livre ses trouvailles au Maître, attentif, à peine bousculé, toujours intéressé. « En fait, tous nos arrangements se sont faits dans une négociation constante, dans le bon sens du terme : de la discussion, du respect« , dit-il. Et puis, Cheikh Hamdi Benani s’est révélé audacieux, ouvert à d’autres horizons : « C’est un Bonnois, et Bône, c’est un port, précise Mehdi Haddab. C’est donc un territoire ouvert sur le monde, contrairement à Constantine, ville juchée dans les montagnes, avec ses gorges, ses reliefs escarpés, protégés. Déjà, dans les années 1970, Cheikh Hamdi Benani avait réalisé des enregistrements avec orgues Hammond et batterie. C’est quelqu’un qui avait déjà un ADN propice au projet que nous allions faire ensemble. »

Reprise de flambeau

Et le voici, ce disque, Nuba Nova – comme une bossa nova – qui dépoussière l’héritage, en en changeant quelques lettres, quelques nuances, mais en en conservant l’authentique esprit. Cet improbable duo aurait pu le défendre sur les scènes du monde entier, avec leurs deux tempéraments, leurs deux âges, complémentaires. Le destin en a décidé autrement. En septembre dernier, Cheikh Hamdi Benani – « quelqu’un qui ne buvait pas, ne fumait pas, toujours en forme« , selon Mehdi – contracte le Covid-19. Le dernier message qu’il laisse se résume à quelques mots : « Ne t’inquiète pas, Mehdi, j’ai une pléiade de médecins autour de moi« . Moins d’une semaine plus tard, il décédait, à l’âge de 77 ans…

« Cela nous a évidemment beaucoup émus, et fait réfléchir, décrit le oudiste. Et puis, on s’est dit que le projet valait le coup d’être perpétué. Le fils de Cheikh, très précisément ancré dans la tradition de son père, reprendra le flambeau… » Comme une passation, une histoire qui, par-delà les générations, poursuit son fil. 

Mehdi Haddab, Hamdi Benani, Speed Caravan, Nuba Nova (Buda Musique) 2021

Speed Caravan : Facebook


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