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Lomepal, sublimes tourments

Lomepal, 2022. © Manu Fauque

Quatre ans après Jeanine qui avait définitivement acté sa prise de pouvoir et une période de remise en question, le rappeur-chanteur revient avec l’étincelant Mauvais ordre. Un troisième album à la fois troublant et troublé, organique et fictif.

Mauvais ordre. Quinze titres. Cinquante-deux minutes. Déjà disque d’or la semaine suivant sa sortie et bel et bien armé pour culminer sur la même base élevée que ses deux précédents albums : Flip et Jeanine, respectivement 400 000 et 500 000 exemplaires (disque de diamant). Déjà propulsé grand favori à quatre mois de la cérémonie des Victoires de la musique, Lomepal ne relâche pas ses étreintes et coups d’assauts existentiels.

Pas loin du point de rupture, notamment dans son rapport à la célébrité, le jeune trentenaire avait pris médiatiquement le large jusqu’à supprimer tous ses réseaux sociaux. Après une virée au Costa Rica et l’apprentissage des instruments acoustiques pendant le confinement, Antoine Valentinelli – son nom au civil – a annoncé par surprise son retour juste avant le début de l’été. « Envie d’planter quelques tomates et faire du son sans ordi« , lâchait-il sur Tee, single lancé en éclaireur et distillant quelques indices sur le processus de création. Plus brut, plus rock. Contrairement à la plupart des productions urbaines, la direction organique n’est effectivement pas effleurée. Lomepal s’y engouffre pleinement avec une configuration guitares-basse-batterie et parfois même l’apparition d’un orgue comme sur Decrescendo, morceau à la tension manifeste. Constamment mélodique et touffu aussi, à l’intelligence pas artificielle dans sa bascule entre l’électronique et l’acoustique.

Sur la pochette, inspirée par le film Truman Show avec Jim Carrey, il donne l’impression de contempler une publicité dans laquelle apparaît le visage grand format de l’actrice Souheila Yacoub. Cette divinité idéalisée est tout simplement la compagne de l’artiste. Est-ce une manière de se mettre à distance de son propre nombril ? Lui qui était tiraillé jusqu’ici dans ses chansons par l’angoisse du célibat et les idylles foirées abandonne l’introspection pour un « je » de fiction. Hormis sur un Pour de faux au titre volontairement trompeur, Lomepal se retranche derrière un personnage à l’identité trouble et inadapté aux autres. Un protagoniste tourmenté, alcoolique, qui cherche à s’affranchir de ses démons.

Aux deux tiers de l’album, au cours de l’interlude Skit il, un éclairage : « Y a une seule meuf qui revient, mais on sait pas si c’est son ex ou si c’est son idéal ou son amour d’enfance« . Lomepal ne cesse d’entretenir le flou, de glisser en pointillés des aspects de sa personnalité, de citer aussi bien John Lennon, Bob Marley que Cindy Lauper et Nicoletta (« Il est mort le soleil« ), de jouer sur une temporalité confuse (« J’ai mis les bons mots dans le mauvais ordre/J’ai encore tout emmêlé » dans la chanson éponyme de l’album).

Ni autotune, reverb ou flanger sur la voix comme auparavant mais un chant encore davantage assumé, incarné et qui excelle véritablement dans les refrains chantés. Et toujours cette écriture pleine de panache, oscillant entre cynisme, punchlines et doutes, cette section rythmique irréprochable à l’image de l’entêtant A peu près. « Je suis à peu près sûr d’être à peu près quelqu’un de solide« . Difficile, en tout cas, d’avancer le contraire.

Lomepal Mauvais ordre (Pinéale) 2022
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