Ile-de-France

Tribune – L’excès de ZAN et le péril urbain

Présent dans toutes les bouches et dans tous les textes (législatifs, réglementaires ou médiatiques), le zéro artificialisation nette (ZAN) jouit d’une omniprésence qui confine parfois à l’omnipotence. Nouvel étendard du développement durable, il est la médaille que chaque responsable politique souhaite ajouter à sa boutonnière, comme s’il constituait à lui seul un label de qualité.

Et pour cause, relativement consensuel, facile à annoncer, et promesse de résultats quantifiables, donc facilement valorisables dans un bilan de mandat, le ZAN est un moyen facile d’afficher son engagement pour l’environnement. Il s’impose, dès lors, comme pierre angulaire de toute discussion autour d’un nouveau projet urbain, pour lequel il sert parfois de motif de refus, quels que soient ses apports en aménités urbaines (services, espaces publics…) ou le contexte dans lequel il s’insère (proximité des transports en commun, foncier déjà artificialisés…).

Marc Villand, président de la FPI d’Ile-de-France. © Natacha Gonzalez

Soyons clairs : la sobriété foncière est un objectif que nous partageons sans retenue. Les sols naturels, comme refuges pour la biodiversité, réservoirs de carbone et pourvoyeurs de nombreuses ressources essentielles à la vie humaine, doivent être préservés. L’artificialisation morcelée, inefficace et déraisonnée doit être bannie. Les promoteurs franciliens, particulièrement vertueux à cet égard, œuvrent d’ailleurs déjà au quotidien dans le sens d’une construction de logements au service du ZAN : avec plus de 12 millions d’habitants (soit 18 % de la population française), l’Ile-de-France ne représente que 3 % de l’artificialisation des sols en France. Sur les 840 ha artificialisés en 2017 en Ile-de-France, le logement collectif ne représentait que 3 %.

Pour autant, son traitement – actuel et futur – mérite d’être discuté, tant sur ses modalités de mise en œuvre que sur la place qui lui est accordée dans les politiques urbaines, tout particulièrement en Ile-de-France, championne de la sobriété foncière.

Ceci n’est pas une stratégie d’aménagement du territoire

Avant toute chose, une précision s’impose : le ZAN, contrairement à ce que le paysage médiatico-politique actuel pourrait laisser penser, n’est pas une fin en soi.
Le sujet de la sobriété foncière est d’ailleurs trop souvent circonscrit au ZAN et son approche quantitative, alors même que ce n’est pas là le sens de sa mention dans la loi climat et résilience. Le législateur fixe comme objectif national le zéro artificialisation nette à horizon 2050, avec un premier échelon en 2030 de division par deux du rythme d’artificialisation observé sur les dix années précédentes. Les Régions (à quelques exceptions près) sont tenues par ce texte d’inscrire ces objectifs dans leurs schémas régionaux d’aménagement du territoire (Sraddet), mais aussi et surtout, de prévoir une trajectoire permettant de mener à bien ces objectifs.
Ce second point, loin d’être accessoire, rappelle que le ZAN en lui-même ne constitue pas une stratégie de sobriété foncière. Il est un horizon, fixé par l’Etat, et charge à chacune des régions visées par l’article de définir le(s) moyen(s) pour y parvenir.

Il ne suffira donc pas de retranscrire les objectifs dans les règlements en faisant peser le poids de leur succès sur les maires et les porteurs de projet. Les régions doivent au contraire se mobiliser pleinement pour (1) traduire les objectifs nationaux en une stratégie foncière contextualisée et spatialisée et (2) créer les conditions nécessaires à la mise en œuvre effective de cette stratégie en développant les bons outils (mesure, cartographie, …). Celle-ci devra permettre, en outre, de dépasser l’approche quantitative pour intégrer des critères d’analyses comme la qualité du sol d’origine ou encore l’efficacité de l’artificialisation envisagée.

Plus largement, à l’échelle du schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif), le ZAN est un outil parmi d’autres pour tendre vers une ville dense, intense, parfaitement desservie et vertueuse pour l’environnement. A ce titre, il ne peut en aucun cas constituer l’unique horizon des politiques urbaines. Le ZAN doit être traité au même niveau et en cohérence avec les enjeux de développement urbain de l’Ile-de-France – logement, activité et services –, de mobilité, et de préservation de l’environnement.

C’est peut-être là, en vérité, que se situe le gros du travail pour les collectivités. C’est sans doute là également que se trouve la clef du succès de leur stratégie de sobriété foncière : réussir à dépasser les logiques de silo pour construire un projet urbain global et cohérent qui permettra de construire plus et mieux.

Le ZAN en Ile-de-France : soyons zen

Le cas de la région francilienne illustre très bien l’importance d’une approche territorialisée sur le sujet. Une approche qui permettrait de traiter ces objectifs au prisme des efforts déjà réalisés, des besoins spécifiques à chaque territoire en matière de construction, et de la forme qu’y prennent le foncier et l’urbanisation.

L’Ile-de-France se distingue nettement du reste du territoire sur ces trois points. Au cours des dix dernières années, elle a déjà divisé par deux le rythme de son artificialisation alors même qu’elle est la région où l’on construit le plus. Ses besoins en construction sont en effet amplifiés par son rôle de capitale économique et culturelle, qui draine entreprises, touristes, et 38 000 nouveaux ménages tous les ans.

La problématique du ZAN se pose tout particulièrement en grande couronne. Ici l’écoquartier Le grand parc à Bondoufle (Essonne), aménagé par Grand Paris aménagement. © Porte sud du Grand Paris

Ces résultats témoignent bien des efforts réalisés par les promoteurs franciliens pour être sobres en foncier. Le logement collectif n’est d’ailleurs responsable que de 3 % de l’artificialisation brute de ces dix dernières années et l’essentiel de l’activité se fait en zone dense, sous forme de remembrement. Quand extension urbaine il y a, elle prend la forme de projets d’aménagement d’envergure, orchestrés par l’action publique et s’accompagne alors d’un véritable projet urbain avec services, espaces verts et mobilité et apporte avec elle la promesse d’un développement des territoires. Elle est donc raisonnée et efficace.

Peut-être devrions-nous concentrer nos efforts sur ce point : plus que d’interdire l’artificialisation, en risquant de paralyser la construction et par là même le confort de vie des Franciliens, travaillons à rendre celle-ci plus vertueuse en la spatialisant et en la conditionnant à des critères d’efficacité.

En tout état de cause, le législateur de la loi climat et résilience ne s’y est pas trompé et accorde à la région capitale un statut particulier qui laisse au rédacteur du Sdrif le soin de fixer ses objectifs en matière de réduction du rythme d’artificialisation de son territoire.

Les élus franciliens pourraient être tentés, pour maintenir une certaine exemplarité environnementale, de céder à la surenchère. Nous les appelons à la raison. Une politique de développement durable exemplaire est avant tout une politique contextualisée, qui échappe aux effets de mode et adapte son modèle aux besoins spécifiques de son territoire.

En l’espèce, et compte tenu des éléments évoqués plus haut, on est en droit de s’interroger sur la pertinence de la priorité accordée au ZAN alors même que d’autres sujets, comme le Grand Paris express ou la réponse à la crise du logement, mériteraient toute son attention, notamment pour offrir un cadre de vie décent aux 50 000 nouveaux habitants par an.

Mesurer, spatialiser, projeter : un triptyque indispensable à la relance d’une construction ZAN

Bien loin de nous opposer à cet objectif que nous mettons déjà en œuvre au quotidien dans nos projets, nous souhaitons porter à l’attention des élus quelques préconisations qui permettraient d’avancer ensemble d’un pas supplémentaire vers une construction ZAN.

Avant toute chose, il faut que chacun puisse identifier et mesurer le phénomène sur son territoire. Pour ce faire, il est urgent de clarifier la définition de l’artificialisation, et notamment la question du traitement des espaces verts en toiture ou en cœur d’îlot, et de mettre en place une méthode de mesure fiable et uniforme.

Ensuite, échappons aux écueils d’une politique bureaucratique hors sol en territorialisant davantage les objectifs et permettons à chaque commune de décliner librement sur son territoire les objectifs fixés par les schémas régionaux selon son estimation des besoins réels de ses habitants et ses priorités.

Arrêtons également d’opposer construction et sobriété foncière. Travaillons plutôt à intégrer le ZAN à un projet de territoire global et cohérent en accompagnant davantage les services d’urbanisme pour aiguiser leur aptitude à encadrer une densification raisonnée (bien localisée) et efficace (porteuse de projets vecteurs de développement urbain au sens large).

L’accompagnement des collectivités et des porteurs de projet par les pouvoirs publics sera, à ce titre, un critère déterminant de réussite et devra passer par :

  1. la construction d’une cartographie régionale prospective, fruit d’un travail commun entre acteurs publics, écologues et acteurs de la construction, permettant à la fois de poser un diagnostic du foncier francilien et d’aiguiller les élus et les porteurs de projets sur les opportunités d’aménagement : zones où la ville doit se reconstruire sur elle-même, zones à urbaniser, zones à préserver et à renaturer. Simple d’utilisation, cette cartographie offrirait une lecture croisée de données clés comme la mobilité, l’activité économique, l’habitat et les espaces naturels, afin de permettre aux collectivités de structurer un projet urbain cohérent et de mettre en œuvre une politique foncière efficace.
  2. l’accompagnement de l’acceptabilité sociale de la densification et de l’acte de construire : la densification, corolaire indispensable à la réduction de l’artificialisation, nécessite une position politique assumée, ainsi qu’un accompagnement pédagogique plus important auprès des habitants.

Ce sont là les deux composantes essentielles qui permettront de lever les craintes des élus et décomplexer la délivrance des permis de construire. Ce sont là aussi, les deux composantes essentielles qui permettront de relancer une construction respectueuse de la qualité de vie des Franciliens et toujours plus sobre en foncier.

Enfin, ne laissons pas de côté le volet « renaturation » du ZAN et considérons à ce titre l’immense gisement de terres désartificialisables que constitue l’espace public francilien : à l’image de la place de la Concorde, à Paris, qui concentre à elle seule 1,8 ha de surfaces artificialisées, hors surfaces carrossables ; ou la place de la République, et ses 1,4 ha artificialisés. Soyons logiques, privilégions une densification pourvoyeuse de logements, emplois et services, et restaurons les espaces publics, dont l’artificialisation de ces dernières années peine à se justifier.

En résumé, plutôt qu’un étendard, brandi pour s’opposer à tout nouveau projet, le ZAN pourrait être le moteur d’un renouveau de la construction. Plutôt qu’un contre-poids à une politique du logement volontariste, il pourrait inviter à briser les logiques de silos pour bâtir transversalement un projet de territoire global maintenant un juste équilibre entre les enjeux environnementaux, économiques et sociaux. Il pourrait, enfin, engager les acteurs publics aux cotés des acteurs privés dans une démarche commune au service d’une ville plus verte, plus dense mais aussi plus vivable. Faisons du ZAN un concept qui encourage au mouvement plutôt qu’à la paralysie : un projet constructif, dans tous les sens du terme.

L’excès de ZAN et le péril urbain, Les entretiens du Journal du Grand Paris, en partenariat avec la Fédération des promoteurs immobiliers d’Ile-de-France, jeudi 10 mars 2022 : https://www.lejournaldugrandparis.fr/evenement/lexces-de-zan-et-le-peril-urbain/

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Author: La Rédaction