Étienne Klein : « Je suis vacciné contre le désespoir »
50 ANS DU POINT. Le physicien et philosophe ne s’est jamais satisfait du « mauvais état de la culture scientifique » en France. Son mode d’emploi pour agir.
Par Étienne Klein
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Je suis, je crois, vacciné contre le désespoir depuis que j’ai découvert – il y a fort longtemps – les ouvrages du philosophe Clément Rosset. Bien que je la sache parfaitement discutable, sa thèse centrale m’a définitivement dopé. Il la résumait lui-même ainsi : « L’homme ne vit que d’un espoir d’évasion alors qu’il n’y a pas d’évasion possible. » Toute son œuvre dénonce nos vaines tentatives pour travestir la réalité par l’invention de mondes parallèles fantomatiques censés lui servir d’alibi ou de compensation. En somme, martelait-il, nous ne devrions pas nous raconter d’histoires : notre monde, avec toutes les misères qu’il contient, ne peut être dédoublé.
À partir de cette prise de conscience, ce penseur atypique a développé une philosophie originale de la joie, la « force majeure », à ses yeux : par la joie, je prends plaisir au réel tout entier, sans en masquer aucun aspect, aussi effroyable soit-il. La joie, ainsi refondée philosophiquement, n’est ni un remède ni une échappatoire. Elle est même l’inverse puisqu’elle intègre explicitement la connaissance lucide du pire à l’exercice jubilatoire de l’existence.
Je demeure très sensible à ce « paradoxe de la joie » que Rosset a fait surgir : alors que rien ne me porte à approuver la réalité, je puis l’aimer inconditionnellement, sans motifs, avec allégresse même, et de façon irrationnelle. Car être joyeux, c’est toujours être joyeux malgré tout. Mais c’est justement cette joie qui me donne à la fois l’envie et la force de lutter contre ce qui, dans ce monde où nous sommes jetés, ne me plaît guère.
Donner le goût des sciences
Par exemple, je ne me suis jamais satisfait du mauvais état de la culture scientifique dans notre pays. C’est pourquoi je me suis engagé avec enthousiasme dans la vulgarisation de la physique, avec la conviction qu’il existe un véritable « érotisme des problèmes » qui, bien expliqué, crée une véritable fête de l’esprit par l’association jouissive de réflexions, de connaissances, d’anecdotes, d’émotions, de récits, de paradoxes, d’idées de génie… Si l’on veut donner le goût des sciences, ne convient-il pas de commencer par donner du goût aux sciences ? Par exemple en prenant le temps d’expliquer – et pourquoi pas avec malice ? – les véritables histoires des découvertes plutôt que les vulgates plates qui les résument et souvent les trahissent. Comment, au cours de l’histoire des idées, une connaissance scientifique est-elle devenue une connaissance digne de ce nom ? La Terre est ronde, soit. L’atome existe, c’est entendu. Les espèces vivantes évoluent, c’est bien certain. Mais grâce à quels arguments, quelles observations, quels raisonnements, quelles expériences, quelles errances, les humains ont-ils fini par le savoir ? Sur quoi portaient les controverses qui, un temps, ont divisé leurs avis ? Et qu’est-ce qui a mis fin aux débats ?
Je ne laisserai personne dire qu’une telle démarche est désespérée.
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