Sciences

S0-102 : l’étoile au bord du gouffre

Parmi toutes les étoiles, S0-102 fait figure de sportive de l’extrême. Elle file autour du centre de notre Voie lactée plus vite que toute autre. Et elle nous a aidés à comprendre l’objet étonnant qui s’y trouve. Car en plein cœur de la Voie lactée gît un trou noir supermassif, 4 millions de fois plus lourd que le Soleil.

On soupçonnait l’existence de ces gigantesques entités depuis longtemps, mais seule l’observation attentive des étoiles proches du centre galactique a confirmé cette hypothèse sans l’ombre d’un doute. Il faut se figurer notre Voie lactée comme un disque muni d’une grande sphère en son centre. Dans le disque, les étoiles, dont notre Soleil, sont disposées en bras en spirale. Le centre, cependant, est situé dans ce que l’on appelle le « bulbe », une région sphérique qui s’étend sur environ 10 000 années-lumière. Il y a là beaucoup plus d’étoiles, beaucoup plus proches les unes des autres, que dans les bras. C’est au milieu de toutes ces étoiles que demeure le trou noir.

Découvrez notre série Secrets d’étoiles, à partir d’extraits du livre Étoiles de l’astronome allemand Florian Freistetter (Flammarion). Une galerie de portraits d’astres qui raconte à la fois l’Univers et l’histoire de l’astronomie.
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Et c’est également là que se trouve l’étoile S0-102, qui, avec un groupe d’autres étoiles, fait le tour du centre en un temps étonnamment court. Pour parcourir toute la Voie lactée, notre Soleil a besoin d’environ 220 millions d’années. Comme l’ont découvert l’astronome américaine Andrea Ghez et ses collègues en 2012, S0-102 parvient à faire le tour du trou noir central en seulement 11,5 ans ! La plus rapide de toutes les étoiles connues, elle constitue aussi une source d’informations extrêmement précieuses.

Un trou noir démasqué

Contrairement au trou noir lui-même – appelé « noir » précisément parce que rien, pas même la lumière, ne s’en échappe –, une telle étoile reste observable. Le mouvement de S0-102 nous renseigne alors sur certaines des propriétés du trou noir. Ce sont des étoiles comme celle-ci qui nous ont permis d’être sûrs qu’un trou noir existe là-bas.

Plus une étoile est proche de l’objet autour duquel elle orbite, plus elle en fait le tour rapidement. Les mêmes lois qui régissent le mouvement des planètes autour d’une étoile s’appliquent ici. Et, tout comme on parvient à calculer, à partir du mouvement des planètes, la masse de l’étoile autour de laquelle elles orbitent, on exploite les orbites d’étoiles comme S0-102 pour déterminer la masse de l’objet autour duquel elles gravitent. À la fin des années 1990 déjà, on avait calculé, à partir d’observations d’autres étoiles passant tout aussi près du centre, qu’il devait y avoir là un objet extrêmement massif. De la taille de l’orbite, on avait également déduit une limite supérieure pour son éventuelle expansion.

4,1 millions de masses solaires

Le résultat ? Au centre de la Voie lactée, il y a une telle masse dans un espace si restreint qu’il ne peut s’agir que d’un trou noir. Lorsque S0-102 a terminé son orbite autour du centre galactique, l’examen des données n’a laissé aucun doute. Avec maintenant deux orbites observées dans leur intégralité, Ghez et ses collaborateurs ont pu estimer la masse du trou noir à 4,1 millions de masses solaires.

Il n’y a plus à hésiter : au centre de la Voie lactée se trouve un trou noir incroyablement massif. De même, nous savons désormais avec certitude que de tels objets peuvent également se trouver au centre de toutes les autres grandes galaxies. Cependant, nous n’avons pas encore compris la façon dont des trous noirs avec des masses aussi gigantesques peuvent se former. Une chose est sûre, cela n’a rien à voir avec les trous noirs « normaux » causés par l’effondrement d’une étoile, car des étoiles aussi massives ne peuvent pas exister.

Les étoiles comme S0-102 peuvent se rassurer : elles continueront à faire l’objet de toutes les attentions des astronomes. Elles nous aideront certainement à l’avenir à résoudre l’un ou l’autre mystère. À moins qu’elles ne s’approchent trop du trou noir et que ce dernier ne les engloutisse…

Cet article est issu d’« Étoiles. Une histoire de l’Univers en cent astres » de Florian Freistetter, éditions Flammarion, novembre 2020, 463 pages, 25 euros


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