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La rocambolesque découverte d’une Vénus roumaine de 17 000 ans

Taillée dans un galet en grès, haute de 10 centimètres, la statuette, aujourd’hui trésor national, gisait dans une ravine d’une vallée des Carpates.

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La statuette de Piatra Neamt sous tous les angles.
La statuette de Piatra Neamț sous tous les angles. © DR

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C‘est l’histoire d’une très vieille dame aux formes généreuses devenue un trésor du patrimoine culturel de la Roumanie. Taillée dans un galet en grès, haute de 10 centimètres, elle a débuté son existence voilà plus de 17 000 ans entre les mains d’un(e) artiste du paléolithique. Et puis, elle est tombée dans l’oubli, avant de réapparaître, voilà deux ans et demi, dans une ravine roumaine des Carpates.

« Il s’agit là de la première découverte de ce type sur le territoire de la Roumanie », expliquent les deux découvreurs roumains dans leur papier publié par la revue française L’Anthropologie. Patrick Paillet, préhistorien au Muséum national d’histoire naturelle et commissaire scientifique de l’exposition Arts et Préhistoire (jusqu’au 22 mai 2023 au Musée de l’homme), salue la découverte « C’est une représentation féminine extraordinaire et originale. » Hypersexualisée, avec de gros seins, des fesses joufflues et la vulve bien dessinée, cette statuette appartient à la famille artistique des Vénus du Gravettien (- 31 000 à – 23 000).

Sa découverte a été « rocambolesque », explique Jules Masson Mourey, préhistorien à l’université d’Aix-Marseille. Le 20 juin 2019, cela fait trois semaines qu’une équipe de paléoanthropologues roumains fouille une ravine située dans une vallée des Carpates. Soudain, des trombes d’eau s’abattent sur le terrain. Impossible de poursuivre les travaux. Il faut quitter le chantier à la hâte.

Les deux directeurs de fouilles, Elena-Cristina Nitu et Marin Carciumaru, rentrent chez eux. Mais, avant de partir, ils chargent deux volontaires locaux de se rendre sur le site sitôt l’arrêt de la pluie. Ce qu’ils font le 21 juin. L’un d’eux aperçoit, sur le sol, une pierre « ressemblant à la coquille d’un gros escargot ».

Ayant la consigne de ne rien toucher, il prend plusieurs photos aussitôt envoyées à Elena-Cristina Nitu. Surexcitée, la préhistorienne saute dans sa voiture. Arrivée sur place, elle constate avec émerveillement que la coquille d’escargot se révèle être la tête d’une figurine anthropomorphe de 10 centimètres de long. L’archéologue gratte la terre et apparaît alors une magnifique statuette. Que faire ? La laisser en place pour revenir la chercher le lendemain matin en effectuant tous les relevés voulus ? Ou bien l’emporter immédiatement pour ne pas risquer de la voir noyer dans un nouveau déluge ?

Finalement, les archéologues prennent une décision maladroite. Jules Masson Mourey explique qu’ils décident de « réenterrer la statuette à son emplacement d’origine et de dépêcher un caméraman sur les lieux afin de filmer la trouvaille en direct, sous les patients coups de pinceau des fouilleurs ». Cette mise en scène malencontreuse aurait pu remettre en cause l’authenticité de la figurine. Heureusement, son examen attentif par l’expert américain Randall White – aujourd’hui décédé – confirme absolument son origine paléolithique.

« Grande liberté d’expression »

Le préhistorien note l’absence de toute marque qui aurait pu être laissée par un outil moderne, la présence d’une patine identique en surface et au fond des incisions ainsi que des traces d’ocre recouvertes d’une couche de calcite très longue à se former. Si l’authenticité ne fait plus de doute, en revanche, l’âge de la statuette étonne.

À LIRE AUSSIMarie Millet, l’exploratrice de MéroéAlors que le contexte archéologique donne une datation de 17 000 ans, le style fait penser à celui des artistes du Gravettien, qui ont exercé leur talent plusieurs millénaires plus tôt. Cependant, ce décalage ne choque pas Patrick Paillet : « Après tout, les artistes ont une grande liberté d’expression. Celui qui a sculpté cette Vénus a peut-être été inspiré par la forme du galet. »

Une autre hypothèse indique qu’elle a pu être enterrée plusieurs millénaires après sa conception. Des marques d’usure font d’ailleurs penser que la figure a pu être portée autour du cou comme un collier. « La Vénus n’apporte rien de radicalement nouveau, mais elle est très bien travaillée. On a l’impression d’une interprétation intelligente de la roche naturelle », conclut Patrick Paillet. Aujourd’hui, la Vénus de Piatra Neamt trône dans une vitrine du Musée de l’évolution humaine et de la technologie paléolithique à Targoviste, en Roumanie.


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