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Lunel : la première filière djihadiste post-« Charlie » devant la justice

Ce sont des propos tenus au téléphone par Jawad, un jeune homme de Lunel, qui avaient précipité l’intervention du Raid et du GIPN. Ce 7 janvier 2015, alors que la France apprend le nom des victimes des frères Kouachi, il en est un, à quelques centaines de kilomètres de là, qui semble se réjouir : « Des civils, ça craint un peu. Mais les mecs de Charlie, normal. Tu les égorges. Insulte au prophète : le mec, il mérite la mort. » Trois semaines plus tard, Jawad et ses amis sont interpellés dans ce que Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, qualifie de « démantèlement d’une filière particulièrement dangereuse ». Le premier depuis l’attentat contre Charlie Hebdo.

En réalité, la « filière » est déjà bien tarie : de nombreux jeunes originaires de cette ville de l’Hérault sont morts en Syrie dans l’indifférence générale. Mais, dans l’esprit de tous, Lunel est devenue le « djihadland » français. Les médias, français et internationaux, débarquent par dizaines pour tenter de comprendre comment une vingtaine de jeunes du pays lunellois – femmes, hommes et enfants – sont partis faire le djihad entre 2013 et 2015. Un niveau jamais atteint ailleurs en France pour une commune de cette taille (25 000 habitants), située entre Nîmes et Montpellier. Après trois ans d’instruction, cinq jeunes comparaissent à partir de ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Paris pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme.

Le « grand remplacement » théorisé à Lunel

Deux sont soupçonnés d’être partis en Syrie, trois d’avoir agi depuis Lunel, soit en appui logistique des djihadistes sur place, soit en propageant l’idéologie du groupe État islamique (EI) sur le sol français. Mais ce procès sera surtout celui d’un désengagement total de l’État sur son propre territoire, comme raconté dans le livre Le Chaudron français (éditions Grasset), coécrit par Jean-Michel Décugis et l’auteur de ces lignes. Lunel, une des communes les plus pauvres de France aux portes de la Camargue, a cumulé tous les maux : une immigration incontrôlée, un taux de chômage parmi les plus élevés de France, un taux de formation très bas.

Le centre-ville, délaissé par les habitants d’origine lunelloise, a été abandonné aux populations immigrées, qui s’y sont entassées dans des logements souvent insalubres. Le centre s’est peu à peu ghettoïsé, les populations se sont divisées, et s’est ainsi créé un véritable apartheid social, ethnique et religieux. Pendant que l’islamisme prospérait, l’État n’a jamais agi, laissant des imams prêcher, depuis les années 90, des discours violents et sectaires. Et ouvrant la voie à des extrémismes et populismes de droite. C’est en effet à Lunel que Renaud Camus, dont les écrits circulent abondamment au Front national, a théorisé son fameux « grand remplacement ».

Toutes ces années, la prévention de la radicalisation aura été inexistante, à Lunel et ailleurs. Au point que la mosquée, agrégeant tous les esprits les plus extrémistes, était devenue totalement incontrôlable… Et voilà comment une ville paisible de province, tournée vers la course camarguaise, le muscat et les vignes, est devenue malgré elle un symbole de la faillite de l’État. Aujourd’hui, de nombreuses associations, acteurs de terrain, et des politiques ont semblé se révolter, appelant au sursaut républicain de tous pour que le « vivre ensemble » ne soit pas juste une expression vaine. Et pour faire mentir ce constat, dressé par un élu local, au moment de l’écriture du Chaudron français : « Et si Lunel, c’était tout simplement la France de demain ? »


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