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Pourquoi la prise en charge des pédophiles est (très) loin d’être suffisante en France

L’affaire du meurtre et du viol d’Angélique, 13 ans, a relancé le débat sur la prise en charge et le suivi des personnes souffrant de pédophilie. 

« Je ne peux rien pour vous, je ne suis pas compétent. » Avant son passage à l’acte, Stéphane* a cherché de l’aide auprès d’un psychiatre. Attiré par les jeunes garçons depuis son adolescence, ce quinquagénaire s’est vu opposé une fin de non-recevoir par son praticien. Seule réponse médicale à ses pulsions : des antidépresseurs. En 2013, soit quelques années plus tard, il est condamné à cinq ans de prison ferme pour agressions sexuelles sur mineurs.

>> Lire notre enquête : « C’est pire qu’une drogue » : comment Stéphane, pédophile, tente de lutter contre ses pulsions

Cette situation est loin d’être un cas isolé. Prévention, formation du personnel soignant, persistance de fausses croyances… La France reste à la traîne, contrairement à l’Allemagne ou au Canada, en matière de prise en charge des personnes souffrant de pédophilie, malgré des affaires très médiatisées comme le viol et le meurtre d’Angélique, 13 ans. Franceinfo vous explique pourquoi. 

Parce que rien n’est fait pour éviter le premier passage à l’acte

« En France, on commence la prise en charge dès lors qu’il y a un passage à l’acte. En amont, il ne se passe rien », constate Cécile Mièle, psychologue au Centre de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs) au CHU de Clermont-Ferrand. « On a presque tout à faire en matière de prévention », appuie, de son côté, Mathieu Lacambre, président de la Fédération des Criavs. Tous les spécialistes contactés par franceinfo font le même constat : la France se focalise sur la récidive et oublie la prévention, qui pourrait permettre d’éviter le premier passage à l’acte.

Ces experts citent un modèle dont l’Hexagone pourrait s’inspirer : l’Allemagne. Le pays a mis en place en 2005 un programme dont le principe est simple : considérer les pédophiles comme des malades et, à défaut de les guérir, les aider à ne pas suivre leur penchant, détaille Le Monde. Ce programme, soutenu par le ministère de la Justice, des universités et des entreprises privées, propose diverses thérapies aux personnes qui les contactent.

Pour inciter les personnes souffrant de pédophilie à décrocher leur téléphone, l’Allemagne diffuse des spots télévisés à des heures de grande écoute. « Vous aimez un peu trop les enfants ? On peut vous aider », ose la voix off d’une de ces vidéos. « Ils diffusent ces pubs entre deux matchs de foot. En France, on en est encore un petit peu loin », ironise le psychiatre Walter Albardier, responsable du Criavs d’Ile-de-France. En mars 2018, plus de 9 500 Allemands ont fait appel à ce programme, via un numéro vert. 

Les Criavs, en partenariat avec le projet PedoHelp, rêvent de mettre en place un numéro vert à destination des pédophiles l’année prochaine. Problème : ni le ministère de la Santé ni celui de la Justice ne semblent s’intéresser au projet, notamment en ce qui concerne son financement, explique le psychiatre Jean-Philippe Cano. En 2012, le député LR Jean-Claude Bouchet avait proposé, lors d’une question écrite à la garde des Sceaux de l’époque, Christiane Taubira, de calquer le programme allemand en France. « J’ai relancé trois fois pour avoir une réponse qui a été très laconique », pointe-t-il. 

Traiter le problème de manière officielle reviendrait à dire qu’il y a des pédophiles dans notre pays et ça, c’est gênant pour tout le monde.Jean-Claude Bouchet, député LR du Vaucluseà franceinfo

Après l’affaire Angélique, le parlementaire prévoit de déposer bientôt une question sur le sujet. Contacté par franceinfo, le ministère de la Santé nie l’absence de programme de prévention sur le sujet sans pour autant évoquer d’actions concrètes. « La stratégie nationale de santé sexuelle et la feuille de route santé mentale incluent des actions qui vont dans le sens de la prévention : investir dans la promotion en santé sexuelle, en particulier en direction des jeunes, dans une approche globale et positive, répondre aux besoins spécifiques des populations les plus vulnérables et développer les compétences psychosociales des personnes dès l’enfance », se contente-t-on de répondre.

En France, seule une association a fait de la prévention du premier passage à l’acte son credo : L’Ange bleu. Une structure fondée par Latifa Bennari, une ancienne victime d’abus sexuels, qui a mis en place des groupes de parole réunissant victimes et pédophiles. « C’est la seule qui m’a écouté, observé. Elle m’apprend à me regarder en face et à gérer ça », témoigne Stéphane. « La prise en charge des délinquants sexuels en France est inexistante, au mieux inadaptée », dénonce Latifa Bennari qui plaide pour que sa méthode d’écoute soit généralisée.

Parce que psychologues et médecins ne sont pas formés

C’est sans doute le point le plus problématique : « En psychologie, on ne parle pas du tout aux étudiants de pédophilie mais seulement de développement psychosexuel, de sexualité en général », assure Cécile Mièle. « Il n’y a pas de formation sur la pédophilie, seulement quelques notions en psychologie et psychiatrie sur les perversions et les paraphilies [ensemble des troubles de la préférence sexuelle] », renchérit Mathieu Lacambre.

Ce dernier souhaiterait que l’on mette en place une spécialisation en psychiatrie légale « à l’issue du tronc commun des études médicales », comme cela se fait pour la médecine légale. Mais tout le monde n’est pas du même avis. « Il n’est pas raisonnable de former tout le monde, c’est un sujet de niche », estime David Soffer, secrétaire général du syndicat des psychiatres français. Celui-ci admet tout de même que « les psychiatres ne sont pas très outillés pour prendre en charge ces patients »

Conséquence : puisque rien n’est prévu en formation initiale, c’est aux professionnels eux-mêmes de se prendre en main. « Cela suppose effectivement que les professionnels aient envie de s’y intéresser. Or, on ne peut pas dire que ce soit une priorité », remarque Cécile Mièle. Pour ce faire, ils peuvent notamment se tourner vers la trentaine de Criavs, ces structures publiques nées en 2006, qui visent à former les professionnels intervenant auprès des auteurs de violences sexuelles. 

On a un rôle à jouer dans la formation, on essaye d’inverser la vapeur mais on part de loin.Mathieu Lacambre, président de la Fédération des Criavsà franceinfo

Problème : ces centres ressources ne bénéficient pas d’une très grande publicité. « On est très mal référencé », constate Walter Albardier. « Je ne connaissais même pas ces Criavs avant que vous m’en parliez », avoue même David Soffer. 

Parce que les préjugés sont encore très forts

« La pédophilie est un trouble psychiatrique de la sexualité, ce n’est pas une infraction », explique Mathieu Lacambre. Autrement dit, la pédophilie n’est pas inscrite dans le Code pénal, une nuance difficile à saisir pour l’opinion publique et même parfois pour les autorités. « Il y a cette phrase incompréhensible pour nous qui est de dire la pédophilie est un crime. Non. Par contre, la pédocriminalité l’est », rappelle Cécile Mièle qui précise que « tous les auteurs des violences sexuelles à l’égard des enfants ne sont pas des pédophiles ».

« Tant que l’on se satisfera d’envoyer des cailloux aux pédophiles en leur disant qu’il faut qu’ils crèvent, on fera l’inverse de ce qu’il faut faire. Or, les psychiatres sont perméables à l’état de la société », relève Walter Albardier qui confesse connaître « des collègues qui ne veulent pas entendre parler de ce problème-là »

Des associations de victimes ont refusé de me serrer la main parce que j’avais moi-même serré la main à des pédophiles.Walter Albardier, responsable du Criavs d’Ile-de-Franceà franceinfo

« Chez les professionnels de santé, il y a des contre-attitudes, des représentations négatives sur ces gens-là », constate aussi Jean-Philippe Cano. « La chose qui revient le plus souvent c’est ‘je ne suis pas compétent, je ne suis pas formé’. Puis, on entend ‘c’est pas à la psychiatrie de faire le travail de la justice’ mais aussi ‘c’est un agresseur sexuel, notre responsabilité est donc engagée s’il récidive’. »

Ce dernier argument résonne particulièrement chez David Soffer, le secrétaire général du syndicat des psychiatres français, en activité à Marseille. « Ça fout la trouille car il y a des enjeux de responsabilité. Depuis trois ans, je prends en charge un auteur d’agressions sexuelles sur mineurs condamné par la justice. Il a évolué de manière favorable mais une question ne me quitte jamais : et s’il récidive, qu’est-ce qui va m’arriver ? Est-ce que je vais devoir rendre des comptes à la justice ? », se demande-t-il. Et le praticien de citer cette histoire d’un psychiatre condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis par la cour d’appel de Grenoble pour avoir autorisé des sorties non surveillées à un patient atteint de psychose délirante chronique. Ce dernier s’est échappé du centre de soins et a mortellement poignardé un étudiant. 

Parce que le « tout soin » n’est pas l’unique réponse

La prise en charge des personnes condamnées pour des faits de violences sexuelles sur des enfants est bien plus aboutie que la prévention. Notamment avec l’injonction de soins, médicamenteuse ou psychiatrique. Créée par la loi du 17 juin 1998, elle vise à prévenir la récidive chez les délinquants sexuels, explique le site de La Gazette Santé Social. « C’est un cadre qui permet d’obliger la justice et la santé à s’articuler. C’est original et ambitieux mais, encore une fois, c’est parfois un cadre vide si les professionnels de santé ne sont pas formés », note Mathieu Lacambre. 

Et puis, « le ‘tout soin’ n’est pas suffisant », pointe Jean-Philippe Cano. « On compte sur les soignants pour tout régler alors que ces personnes n’ont parfois pas de travail ou de logement », poursuit-il. Son collègue, le docteur Walter Albardier, dénonce aussi l’obsession française pour la castration chimique.

La castration chimique, ça fait trente ans qu’on entend ça. Or, certains en ont vraiment besoin et avec la mauvaise pub qui est faite, ça ne nous aide pas à travailler.Walter Albardier, responsable du Criavs d’Ile-de-Franceà franceinfo

Ce spécialiste souhaiterait que la France s’inspire un peu plus de l’exemple canadien. « Là-bas, une des choses qui fonctionnent, c’est la bienveillance de l’entourage. La société civile est impliquée. Or, c’est aussi le soutien social qui aide à ne pas récidivier », dit-il. Cela passe par les Cercles de soutien et de responsabilité. Née en 1994, l’association réunit bénévoles et délinquants sexuels afin de leur permettre de mieux s’insérer dans la société à travers l’aide à la recherche d’un travail ou d’un logement, ainsi que la constitution d’un réseau social. « Nous ne sommes pas des psy ou des thérapeutes mais des personnes de la société civile. On les aide à devenir de meilleurs hommes en leur recréant un réseau social », décrit André Maillard, coordinateur de l’association. « 65 à 70% des gens que l’on reçoit sont des pédophiles et on a eu très peu de récidives : 83% ne récidivent pas », ajoute-t-il. « Ils ont confiance en nous, ce qui leur permet de se reprendre en main et de mener une vie saine« , conclut-il. 


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