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ENQUETE FRANCEINFO. « Ici, c’est devenu ‘The Walking Dead' » : l’insoluble crise du crack dans le nord-est de Paris

Vingt heures, retour sur la place Stalingrad. Nous recroisons Nadia, ainsi que d’autres toxicomanes rencontrés plus tôt à porte de la Chapelle. Beaucoup de « crackers » passent leurs journées à naviguer entre les 10e, 18e et 19e arrondissements. Un triangle du crack où l’affluence varie au rythme des opérations de police.

« LA RATP et la police ont fait un très gros travail dans le métro, donc on retrouve tous les toxicomanes en surface, analyse Séverine Guy, adjointe au maire du 19e arrondissement chargée de la santé. Nous avons aussi constaté une dégradation rapide de la situation après le démantèlement du squat de la ‘Colline’. En somme, on ne fait que déplacer le problème. »

« La physionomie actuelle du secteur de la place Stalingrad est en partie liée au report de l’évacuation de la ‘Colline' », reconnaît de son côté la préfecture de police, tout en affirmant que « la mobilisation des services est totale » et que des « renforts conséquents » ont été déployés sur la place Stalingrad. Depuis le début du mois de juillet, 59 opérations y ont été menées. Au total, 172 interpellations y ont été effectuées, dont 59 pour trafic.

Ce déplacement continu des « crackers », Fred Bladou l’observe depuis des années. « C’est toujours le même jeu du chat et de la souris. Quand la situation est trop tendue dans le 18e, on envoie la police, du coup les dealers et les usagers vont dans le 19e. Puis les flics débarquent à nouveau et tout le monde descend dans le 10e, peste l’administrateur de Gaïa, l’une des principales associations parisiennes de prise en charge des toxicomanes. Ces politiques sécuritaires ont pour unique effet de regrouper tous les usagers sur les mêmes lieux. »

Pour y parvenir, associations et élus réclament l’ouverture de quatre nouvelles salles de consommation et d’un bus adapté aux usagers de crack. A l’heure actuelle, une seule « salle de shoot » existe à Paris, dans le 10e arrondissement. Elle est accessible uniquement aux usagers de drogue par intraveineuse, mais est équipée d’un fumoir avec de puissants extracteurs de fumée pour ceux qui consomment aussi du crack.

« Le vrai problème, c’est le manque de places disponibles, explique Fred Bladou. Permettre aux usagers de consommer dans des endroits propres, c’est fondamental. Il faut recréer du lien social, leur donner les moyens de s’occuper d’eux à nouveau. Avec le crack, la seule solution, c’est l’accompagnement social sur le long terme. »

Le 25 mai, les maires des 10e, 18e et 19e arrondissements ont écrit à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pour réclamer un plan de prise en charge globale des « crackers ». « A ce stade, nous n’avons pas eu de réponse », déplore Dominique Demangel, l’adjointe au maire du 18e arrondissement chargée de la lutte contre la toxicomanie. « De son côté, la maire de Paris a aussi écrit au Premier ministre. Il a pris note de l’ampleur du problème, mais n’a toujours pas proposé de dispositif pour y répondre. »

Du côté de l’exécutif, on explique que l’« annonce d’un ‘plan crack’ n’est pas prévue » mais que des « mesures concrètes » seront « mises en œuvre à court terme, en lien avec les services de la ville de Paris », selon une source gouvernementale, qui ne donne pas plus de détails.

En attendant, élus et forces de l’ordre craignent que la situation ne dégénère. D’autant que la problématique vient en alimenter une autre, celle des migrants regroupés dans les mêmes quartiers de Paris. La mairie du 18e arrondissement estime que le phénomène est « marginal », mais associatifs et migrants décrivent bien une progression du crack au sein de cette population.

« Nous croisons de plus en plus de sans-papiers pendant nos maraudes, ce n’était pas notre public habituel », assure Fred Bladou. Après la fermeture de la Boutique 18, une structure d’aide aux toxicomanes, puis le démantèlement du Centre humanitaire de la Chapelle, toxicomanes et migrants se sont retrouvés à errer sur les mêmes boulevards longeant le périphérique. « Les migrants sont terrifiés à l’idée d’être expulsés et se cachent comme les toxicos. Au bout d’un moment, il y a du compagnonnage qui se crée et, parfois, ça finit par de la consommation de produits », analyse Jean-Jacques, l’un des fondateurs du collectif local Solidarité migrants Wilson.

L’afflux de toxicomanes aux distributions de nourriture destinées aux migrants a également provoqué des débordements. « Nous, on ne fait pas de différence quand on sert les gens, mais ils sont difficilement gérables. Certains refusaient de faire la queue et ça occasionnait des tensions avec les migrants », raconte Jean-Jacques.

En septembre, son association a fini par mettre fin aux distributions de petits déjeuners qu’elle organisait depuis près de deux ans dans le quartier. « On fait face à des gens qui disjonctent, à des femmes qui hurlent, témoigne le bénévole. Il y a deux semaines, un toxico est resté pendant cinq minutes la tête dans un de nos sacs de courses. Quand on voit ça, on a du mal à croire qu’on est à Paris. Et dire qu’on est censé être la cinquième puissance du monde… »


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