A la Une

« Séréna, je ne l’ai jamais tenue dans mes bras » : aux assises, l’accusée casse son image de « bonne mère »

Rosa-Maria Da Cruz est jugée à Tulle pour avoir fait vivre sa fille, pendant deux ans, dans une pièce en sous-sol et le coffre d’une voiture. Lors de son interrogatoire, l’accusée a donné une nouvelle version des faits, tendant à accréditer la thèse du déni d’enfant. 

« C’est pour toi ce petit bisou, j’ai demandé à une étoile spéciale de veiller sur ton lit, fais de très beaux rêves, je t’aime jusqu’à la lune et encore plus loin. » Ces mots, Rosa-Maria Da Cruz les a écrits à sa fille Séréna en 2014, quelques mois après sa découverte dans le coffre de sa voiture. Mais ce ne sont pas les siens. Devant la cour d’assises de la Corrèze, à Tulle, mercredi 14 novembre, elle reconnaît les avoir empruntés à un site de poèmes sur internet. Alors qui parle lorsqu’elle révèle qu’elle ne s’est jamais « occupée » de « cette enfant » parce qu’elle ne la « voyait pas » durant deux ans ? « Pendant au moins huit auditions, vous évoquez la naissance de votre petite fille, que vous avez habillée, prénommée, nourrie, et vous dites autre chose ensuite. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » attaque le président lors de cet interrogatoire. « J’ai vu un expert, qui m’a fait prendre conscience que Séréna était une chose », souffle l’accusée dans le micro.

Quand on a ouvert le coffre, j’ai vu Séréna pour la première fois.Rosa-Maria Da Cruzdevant la cour d’assises

Le président, offensif, suggère un autre scénario. Le changement de version de Rosa-Maria Da Cruz, amorcé lors de sa dernière comparution devant le juge en novembre 2017, n’est-il pas lié à l’expertise complémentaire remise en mai 2016 ? Celle-ci démontre que sa « fille est victime d’une incapacité permanente » et lui fait encourir vingt ans de prison. L’accusée secoue la tête. Le magistrat tente autre chose : « Est-ce que vous vous êtes dit : ‘Ça fait la troisième fois que je fais un déni de grossesse, on va me prendre pour une folle ?' » « Sûrement, je me le suis dit », reconnaît à demi-mot la quinquagénaire, vêtue de la même tenue noire depuis le début du procès. Gilles Fonrouge embraye : « Vous vous êtes évertuée 24 heures sur 24 à la cacher. » De quoi donner du poids, selon lui, à la notion de « dissimulation » contre celle du « déni ».

En face du magistrat, pourtant, l’accusée va déconstruire un à un les « mensonges » qu’elle dit avoir inventés dès la garde à vue pour ne pas renvoyer l’image d’une « mauvaise mère », dans l’espoir, assure-t-elle, de rentrer chez elle et de retrouver ses trois autres enfants. Le prénom Séréna ? « Je l’ai dit quand un pompier est venu me voir pour que je lui dise au revoir » au garage, lâche-t-elle, faisant bondir la partie civile en évoquant « la sérénité » de l’enfant. L’heure de la naissance mémorisée par Rosa-Maria Da Cruz ? « Il y avait une pendule dans le couloir » quand elle a accouché ce 24 novembre 2011. Les biberons donnés au bébé ? « Je lui mettais dans la bouche, je le calais et je partais. Parfois j’oubliais de la nourrir une journée entière. » Les couches ? « Je ne lui en ai jamais mis. » Les jouets dans le coffre ? « C’était ceux de ma fille », E., 4 ans à l’époque. La toilette ? « Je ne lui ai jamais donné de bain, je lavais avec un gant et de l’eau. » L’odeur dans la voiture ? « Je ne la sentais pas. »

Séréna, je ne m’en suis jamais occupée, je ne l’ai jamais tenue dans mes bras, je ne lui ai jamais fait de câlins.Rosa-Maria Da Cruzdevant la cour d’assises

La cour est incrédule. Comment Séréna a-t-elle pu survivre sans un minimum de soins ? Et l’image renvoyée par Rosa-Maria Da Cruz est désastreuse. « Vous êtes en train de mettre à mal tout ce que vous avez pu dire de positif sur ce qui faisait de vous une bonne mère », lui fait comprendre avec finesse une des deux magistrates assesseures. La défense l’a bien compris. L’avocate Chrystèle Chassagne-Delpech s’approche tout près de sa cliente à la barre et l’invite à nuancer :

« Toutes ces contradictions, Rosa, est-ce que vous acceptez que ça puisse s’appeler de la confusion ?

– Oui.

– Est-ce que vous êtes une menteuse ? 

– Non. »

Oui, non. Rosa-Maria Da Cruz sème la cour au gré de ses interlocuteurs. Son avocate tente de lui faire parler de « l’accouchement, car c’est la genèse ». Avec grande difficulté, elle balbutie que ce n’est pas un « accouchement » ni une « naissance » mais « quelque chose qu’elle ne souhaite à personne de vivre ». « Est-ce qu’on peut parler d’expulsion ? » lui demande l’avocat général en faisant référence à un terme employé par l’accusée pour la naissance surprise d’A., son deuxième enfant. Encouragée par son conseil, Rosa-Maria Da Cruz confirme avoir fait un lien entre ces deux événements traumatiques. Pour Chrystèle Chassagne-Delpech, cela fait partie des rares choses qui n’ont « jamais varié » dans le discours de sa cliente. Le « rideau » qui l’empêchait de voir Séréna est une autre constante. Tout comme le « sourire » de l’enfant vers ses « 18 mois », qui lui aurait fait prendre conscience qu’il fallait qu’« elle soit découverte ».

« Vous avez réalisé qu’il s’agissait d’un être vivant ? » demande, sceptique, le ministère public, avant de renoncer à poser davantage de questions. La magistrate assesseure prend le relais : « Vous nous dites : ‘Je ne m’en suis pas occupée comme d’un enfant, comme de mes autres enfants, mais à ses 18 mois, le rideau s’est fissuré quand elle a souri’. Elle a commencé à devenir humaine à vos yeux ? » « Petit à petit, oui », acquiesce l’accusée, qui confesse, sept ans après, avoir toujours du mal à matérialiser l’existence de Séréna.

Le psychiatre qui me suit m’a fait accepter Séréna et aujourd’hui il faudrait que je la voie. Je n’ai pas revu ma fille depuis cinq ans et je n’arrive pas à avancer.Rosa-Maria Da Cruzdevant la cour d’assises

La justice lui a interdit de rentrer en contact avec l’enfant, placée dans une famille d’accueil. « Aujourd’hui, vous avez conscience d’avoir causé un tort énorme à un être humain ? » demande la magistrate, obtenant un timide « oui ». Plus la cour tente de comprendre, moins Rosa-Maria Da Cruz parvient à expliquer : « J’avais cette chose, dans mon cerveau, il fallait qu’elle soit en vie, je n’arrive pas à me l’expliquer. » Elle n’est pas la seule, puisque « même les médecins n’y arrivent pas », fait-elle valoir, renvoyant à l’absence de consensus sur le déni de grossesse. Là encore, Rosa-Maria Da Cruz s’est-elle appropriée le vocabulaire d’un autre ? 

Tout comme elle a « manqué de mots », selon son avocate, pour l’entourer le jour où est née Sérénal’accusée peine à trouver les siens aujourd’hui pour faire avancer les débats et éclairer la cour. Les jurés vont devoir faire avec ce texte à trous. Le verdict sera rendu vendredi.


Continuer à lire sur le site France Info