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Environnement: la surpêche précipite les océans vers un désastre écologique

Telle est l’équation posée par le rapport 2018 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur «la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture». Après avoir rappelé les objectifs du développement durable (ODD) des Nations unies, et notamment de l’ODD 14 (Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable), la FAO insiste à propos de la surpêche « (qu’elle) n’a pas que des conséquences écologiques négatives, elle réduit aussi la production sur le long terme, ce qui a des conséquences économiques et sociales négatives ».

Les océans en partage

« La planète bleue », comme le disait l’océanographe Jacques Cousteau pour rappeler que ce que nous appelons la Terre est majoritairement recouverte par des espaces marins, et mis à part les eaux côtières, sont en grande partie constitués d’espaces ouverts qui n’appartiennent à aucune nation et à aucun peuple en particulier. C’est un bien commun de l’humanité et une ressource pour la planète entière qui contribue à son fonctionnement. Pourtant, depuis des siècles, les hommes sollicitent ces espaces océaniques en partage pour y prélever des aliments qu’ils n’ont pas produits, s’arrogeant le droit de prendre les espèces de leur choix quitte dans certains cas à entrainer leur extinction.

Un prélèvement longtemps totalement libre qui tente aujourd’hui de se réglementer en fixant des règles internationales, des quotas, des moratoires… pour limiter et contrôler sur certaines zones et certaines espèces, cette activité. Mais cela n’a pas réussi, par exemple, à empêcher la disparition des morues dans les eaux de Terre Neuve, trop sollicitées par une pêche intensive. Ces pratiques ont mis en danger la survie du thon obèse d’Atlantique après avoir sauvé in extremis le thon rouge de Méditerranée et ont menacé certaines espèces de cétacés. Une situation aggravée par la sortie envisagée du Japon de la Commission Baleinière Internationale (CBI) après des années de négociations durant lesquelles les Japonais ont tout tenté pour casser le moratoire existant afin de pouvoir relancer une pêche commerciale à la baleine.

La surexploitation du vivant océanique

D’après le rapport 2018 de la FAO, « en 2016, la production totale du secteur (pêche et aquaculture) a atteint un niveau record de 171 millions de tonnes – 88% de la production était destinée à la consommation humaine – ce niveau de production exceptionnel s’est traduit par un niveau de consommation de 20,3 kg par habitant », rajoutant à propos de la production que 33,1% des stocks de poissons exploités le sont au-delà de la limite de durabilité biologique, soit trois fois plus qu’en 1974. Chaque jour, d’innombrables tonnes de poissons sont prélevées dans la mer à un rythme malheureusement très supérieur à celui de la reconstitution naturelle des stocks.

L’effondrement croissant des stocks de poissons au niveau mondial concerne en particulier les pays dont la population dépend de la pêche pour se nourrir et créer des revenus. Pour le Wold Wild Fund (WWF) (Fond mondial pour la nature) sur les 49 pays considérés comme « dépendants de la pêche », 46 sont des pays en voie de développement. De plus 60% du poisson commercialisé dans le monde et en grande partie dans les pays du Nord (l’Union européenne est le premier importateur de poisson au monde), provient des pays en développement. Selon une enquête de l’UFC-Que choisir, publiée cette semaine et reprise par Libération, « en France, 86% des cabillauds, soles et bars présents sur les étals des grandes surfaces de l’hexagone proviennent d’une pêche non durable qui pioche dans les stocks déjà surexploités », et la France n’est pas la seule à avoir ses mauvaises pratiques.

Les acteurs de la surpêche

Au-delà de certaines pratiques, comme la pêche au chalut, jugées non durable car non sélectives, c’est une pression considérable qu’exercent l’ensemble des pêcheries industrielles mondiales sur les ressources marines.

Aujourd’hui, la pêche industrielle exploite plus de la moitié de la superficie des océans. D’après des observations satellitaires, on sait que ces flottes opèrent sur 200 millions de km2, une zone quatre fois plus vaste que celle utilisée par l’agriculture. Ces chiffres ont été obtenus dans le cadre d’une étude commandée par plusieurs organisations (Global Fishing Watch, National Geographic Society, Sky Truth). Ils indiquent qu’ils ont observé 40 millions d’heures de pêche pour 19 milliards de kWk d’énergie et que ces bateaux ont parcouru plus de 460 millions de kms, soit 600 fois la distance aller-retour entre la Terre et la Lune et que les zones les plus concernées sont l’Atlantique nord-est (Europe), le Pacifique nord-ouest (Chine, Japon, Russie) et quelques régions au large de l’Amérique du Sud et de l’Afrique de l’Ouest.

Autre regard, porté par l’initiative « Sea around us » qui vient de publier dans Science Advances une étude reprise par Sciences et Avenir, où ils ont compilé des données satellitaires et des déclarations de capture des Etats possédant une flotte industrielle de 1950 à aujourd’hui, les zones de pêche sont passés de 60% de la surface totale des océans à 90% aujourd’hui ne laissant pratiquement que les zones polaires extrêmes non exploitées. Observant que seuls la Chine, Taïwan, la Corée du Sud et l’Espagne, possèdent une flotte capable d’exploiter les zones les plus éloignées. Pour l’auteur principal de cette étude, David Tickler, chercheur à l’école de biologie de l’Université de l’Australie de l’Ouest, « alors que la plupart des pays concentrent leurs efforts sur leurs zones de pêche locales, ces quatre Etats ont une politique agressive de subvention à la construction de bateau et de défiscalisation du carburant pour encourager leur flotte à aller à des milliers de kilomètres de leur port d’attache ». Une politique de moins en moins payante d’après le rapport qui montre que cette pratique qui ne perdure que grâce aux aides d’Etats est non rentable, car malgré le fait que les distances parcourues augmentent, les tonnages de captures baissent.

Les techniques destructives

Plus les stocks de poissons diminuent, plus les techniques de pêche deviennent extrêmes. L’une de ses pratiques dévastatrices pour les écosystèmes marins qui contribue fortement à la surpêche, c’est le chalutage de fond. Une méthode industrielle basée sur l’utilisation d’énormes filets lestés de lourds poids et équipés de roues métalliques, qui raclent les fonds marins, ramassant (et cassant) tout sur leur passage, des poissons jusqu’aux coraux centenaires. Comme l’explique l’organisation Slow fish, « beaucoup d’espèces sont remontées pour rien et rejetées à la mer, souvent déjà mortes, y compris des espèces en voie de disparition. Ces pertes « collatérales » (bycatch) peuvent représenter, pour certaines pêcheries, jusqu’à 80 ou même 90% de la prise des chaluts de fond. De plus, de larges surfaces au fond des océans, qui constituent des habitats marins (les espèces y trouvent nourriture et protection) sont écrasées et détruites. Les plus grands chaluts ont une “gueule” aussi grande qu’un terrain de rugby et laissent des cicatrices marines sur plus de 4 km de long. Les destructions infligées à l’écosystème peuvent être permanentes ».

Dans la série des techniques à fort impact, il y a l’usage d’explosifs très pratiqués dans les récifs coralliens et les lagons côtiers. L’usage du cyanure très répandu par exemple aux Philippines (65 tonnes par an pour la pêche) ou en Indonésie.

Autre pratique extrêmement destructrice et très répandue dans les pêcheries, ce sont les rejets (bycatch) qui représenterait d’après le WWF 40% du total des prises marines. Ces prises qui ne correspondent pas à l’espèce recherchée sont considérées comme des déchets et sont rejetés à la mer, mort ou blessés. On estime que plusieurs millions de tonnes de poissons, oiseaux, tortues et autre, seraient ainsi victimes des actions de pêche sélectives.

Enfin il a ce qu’on appelle la pêche fantôme, qui a pris de l’importance avec l’arrivée notamment de nouvelles matières par exemple synthétique plus résistantes. La pêche fantôme, c’est la capture de poissons par des objets abandonnés (morceau de filets, cordages…) ou jetés accidentellement en mer et qui deviennent des pièges mortels pour de nombreuses espèces.

Les effets dominos

A l’ensemble des menaces pesant sur la mer déjà évoquées, on pourrait rajouter de multiples autres facteurs qui se surajoutent, avec en priorité la question du réchauffement climatique, dont les impacts considérables sur les masses océaniques provoque de multiples destructions d’espèces (coraux) et de modifications des écosystèmes marins. Autre facteur non négligeable, et on le voit par exemple avec le plastique ou les produits chimiques, ce sont les pollutions des océans. On pourrait rajouter les activités minières offshore et bien d’autres choses.

Autant d’actions qui ont non seulement un impact immédiat sur les ressources marines, mais qui peuvent aussi se combiner et avoir une sorte d’effet domino. La prolifération des méduses est à ce titre un exemple parlant. On observe dans de nombreux endroits du monde une multiplication des méduses du fait de la combinaison de plusieurs facteurs liés à nos mauvaises pratiques et à leurs conséquences.

D’abord les prédateurs naturels de la méduse disparaissent. Les tortues de mer (tortue luth et caouane) sont en diminution du fait de capture mais surtout car elle meurent étouffées par l’absorption des multitudes de sacs en plastique qui flottent dans les océans et qu’elles prennent pour des méduses (Dans le Pacifique il existe en un lieu une concentration de déchets plastiques égale à la superficie du Texas). En Méditerranée, la diminution des thons rouges fortement surpêchés ne régule plus les volumes de méduses. De plus, la nourriture qui permet la multiplication des méduses devient plus abondante comme l’explique Slow Fish : « les engrais de l’agriculture se déversent sur les côtes et dans la mer et favorisent le développement du plancton, dont les méduses se nourrissent. Par ailleurs, la surpêche affecte les stocks des petits poissons (telles les sardines) qui se nourrissent également de plancton. En l’absence de concurrence pour les nutriments qui lui sont vitaux et de prédateurs, l’expansion de la méduse n’est plus adéquatement freinée. Le changement climatique et le réchauffement des eaux encouragent également cette tendance. Dans certains endroits, comme sur les côtes de la Namibie, les dernières recherches scientifiques indiquent que la biomasse des méduses a déjà dépassé celle des poissons ».


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