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INFOGRAPHIES. Vaisselle, tableaux, mobilier ancien… Visualisez la disparition de milliers d’œuvres d’art prêtées aux institutions françaises

Plus de 100 000 œuvres d’art décoratives, 130 000 meubles et des centaines de milliers de pièces de vaisselle de Sèvres. Ce trésor, c’est celui de l’Etat français. Mais loin de reposer dans un coffre-fort, nombre de ces précieux objets décorent et meublent des bâtiments publics. Assemblées, ministères, préfectures… Tous bénéficient de cette riche collection grâce à des prêts.

Seul hic, beaucoup de ces objets se volatilisent lors de leur passage dans ces institutions, comme le révèle « Complément d’Enquête », sur France 2, diffusé jeudi 6 octobre. Mobilier empire, peintures du XVIIe, porcelaine… La liste des objets disparus est longue et éclectique. Selon le dernier rapport de la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (CRDOA), plus de 40% de ces objets manquent à l’appel. Mais derrière ces chiffres se cachent d’importantes différences selon les institutions et le type d’œuvre. Franceinfo fait le point, en infographies, sur ces mystérieuses disparitions.

Pour comprendre ce chiffre, il faut d’abord savoir comment fonctionne le recensement de ces œuvres, appelé récolement. Les objets d’art présents dans les bâtiments publics sont principalement prêtés par quatre organismes, qui fournissent des objets de natures différentes.

Il y a d’abord le Centre national des arts plastiques (Cnap) et le service des musées nationaux qui gèrent les œuvres comme les peintures ou les sculptures. Il y a ensuite le Mobilier national, qui fournit l’ameublement. Enfin, la Manufacture de Sèvres prête des pièces issues de sa production, pièces de vaisselle ou objets décoratifs.

Ces organismes sont chargés de récoler les œuvres qu’ils prêtent aux institutions françaises et de transmettre ces informations à la CRDOA, qui les centralise. Cette commission a été créée en 1996, après un rapport de la Cour des comptes s’alarmant du mauvais recensement des œuvres d’art déposées dans les institutions depuis parfois deux siècles.

« Il ne s’agit pas toujours de toiles de grands maîtres, mais beaucoup d’œuvres ont une certaine valeur, pouvant parfois se compter en dizaines de milliers d’euros. »

la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (CRDOA)

à franceinfo

Depuis, le recensement des œuvres d’art prêtées aux institutions semble donner raison à la Cour des comptes. Dans les grandes institutions (qui regroupent l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil économique, social et environnemental, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat, la Cour des comptes et la Cour de cassation), la part des objets introuvables atteint 73%. Les ministères et les institutions à l’étranger (ambassades et consulats notamment) ne font guère mieux avec des taux de disparitions dépassant 50%. En revanche, ce taux descend à 17% dans les départements.

Il est également intéressant d’observer les taux de disparition hors manufacture de Sèvres. En effet, si certains vases peuvent être de grande valeur, la grande majorité des objets prêtés sont des pièces de vaisselle ancienne qui se cassent ou se perdent facilement. Ces objets très nombreux participent à faire gonfler le taux de disparition dans les institutions disposant de beaucoup de vaisselle, comme l’Elysée ou certains ministères. Si on s’intéresse donc aux autres objets, les taux de disparitions sont moins importants, de 10% pour les grandes institutions à 26% dans les ministères.

La palme du ministère ayant perdu la plus grande part des œuvres d’art lui ayant été prêtées, hors Sèvres, revient au ministère de l’Agriculture, avec 43% d’objets non localisés. Quelque 89 disparitions sont ainsi à déplorer dans cette institution située dans une bâtisse cossue de la rue de Varenne, à Paris, l’hôtel de Villeroy.

A l’inverse, certaines institutions semblent plus attentives. Ainsi, le Conseil constitutionnel, installé dans l’aile ouest du Palais-Royal, n’a égaré que deux des 185 biens qui lui ont été confiés. Ce n’est pas le cas de l’Elysée. Même si la présidence de la République peut se targuer d’un taux de disparition de seulement 12% des œuvres déposées, cela représente tout de même quelque 700 objets d’arts introuvables.

Il faut dire que l’Elysée est de loin l’institution qui compte le plus d’objets prêtés : plus de 70 000 porcelaines de la manufacture de Sèvres, 5 600 pièces issues du Mobilier national et près de 400 œuvres issues des musées nationaux ou le Cnap. Mais l’incroyable collection du palais s’est considérablement réduite au fil des années : plus de 56 000 pièces de porcelaine ont disparu, dont une majorité de vaisselle, soit près de 80% de celles qui s’y trouvaient. Si le mobilier National n’affiche qu’un taux de disparition de 9,5%, cela représente tout de même plus de 500 œuvres. Parmi elles, de nombreux chandeliers, chaises ou commodes du XIXe siècle.

Du côté des œuvres décoratives, « Complément d’enquête » révèle notamment la disparition d’une coupe en ivoire et clous d’or de l’artiste franco-japonaise Eugénie O’Kin, dont la valeur est estimée à 30 000 euros.

Un autre lieu accueille également les dignitaires du monde entier : le ministère des Affaires étrangères. L’administration est divisée en plusieurs bâtiments, mais le lieu central est l’hôtel situé quai d’Orsay, sur les bords de la Seine. Même si les œuvres y sont bien moins nombreuses qu’à l’Elysée, le ministère a reçu en prêt quelque 15 000 biens au fil des ans.

En majorité il s’agit de vaisselle de Sèvres, avec un taux de disparition qui frôle les 75%, soit légèrement moins que pour la présidence. En revanche, avec plus de 50% des œuvres d’art prêtées par le Cnap ou les musées disparues et 25% des pièces fournies par le Mobilier national volatilisées, le quai d’Orsay fait moins bien que l’Elysée.

Ainsi, trois canapés en bois doré du second empire manquent à l’appel, selon le Mobilier national. Tout comme une pendule en marbre blanc et gris de l’époque Louis XVI volée en 2002. Du côté des peintures disparues, on peut citer une marine de Reinier Nooms, peintre hollandais du milieu du XVIIe siècle.

Une plainte a été déposée pour cette toile, mais ce n’est pas le cas de la très grande majorité des objets disparus. Même en excluant la vaisselle de Sèvres et en ne gardant que des œuvres d’art de la Cnap, des musées nationaux et du Mobilier national, seulement 15% des objets disparus font l’objet d’une plainte, selon les derniers chiffres du CRDOA.

Pour l’Elysée, ce chiffre est même bien plus faible, puisque seules 14 plaintes ont déjà été déposées sur 700 objets disparus. A l’inverse, ce taux de plainte grimpe à presque 20% pour les services du Premier ministre et dépasse 35% au ministère de la Culture.

Pourquoi toutes les disparitions ne font-elles pas l’objet d’une plainte ? La CRDOA évoque deux critères principaux : « Soit la valeur est considérée comme trop faible pour motiver une plainte, soit les chances de retrouver les objets sont considérées insuffisantes car on ne dispose pas de visuel permettant d’identifier l’œuvre ». La grande majorité de ces trésors ont donc peu de chances de revenir un jour dans la collection de l’Etat.


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