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Guerre en Ukraine : l’explosion du pont de Crimée est « un camouflet pour le président Poutine, toujours plus acculé », selon le général Vincent Desportes

Au moins trois personnes sont mortes dans une explosion sur le pont qui relie la Crimée à la Russie. L’explosion a eu lieu vers 6 heures, samedi 8 octobre, et elle en a détruit une partie. Ce pont est une voie de communication très importante mais aussi un symbole de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.

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Si l’Ukraine est effectivement à l’origine de l’explosion sur cette infrastructure essentielle, ce serait bien évidemment « un camouflet » terrible pour Moscou, relève le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre et professeur de stratégie à Sciences Po et HEC.

Franceinfo : Ce pont est une voie de communication importante qui relie la Crimée, annexée en 2014, à la Fédération de Russie et la province de Krasnodar. Son importance est tout à la fois stratégique et symbolique ?

Vincent Desportes : Je crois qu’il est d’abord un symbole. Il est clair que la grande majorité de la logistique russe qui est nécessaire pour les combats aujourd’hui ne passe pas par la Crimée. Il est évident que c’est néanmoins une artère importante et que donc cela va avoir des répercussions. Mais c’est d’abord un symbole qui est attaqué. D’autant que le président Poutine avait toujours dit que la guerre en Ukraine n’aurait pas d’influence sur ce pont et qu’il serait protégé. C’est donc une attaque très directe et un échec encore patent pour Vladimir Poutine. Le président russe a toujours dit qu’il réagirait extrêmement violemment si la Crimée était attaquée. Il ne l’a pas fait jusqu’à présent puisque les Ukrainiens ont porté un certain nombre d’attaques sans qu’il y ait eu de riposte violente de la part de la Russie. On voit que cette attaque accule toujours plus le régime russe et en particulier le président Poutine. Et donc sa réaction va être extrêmement intéressant à suivre.

Une réplique est inévitable ?

Je n’en sais rien. D’abord, on ne sait pas si c’est les Ukrainiens. Il est très probable d’ailleurs qu’ils ne revendiqueront pas. On ne sait toujours pas qui a détruit les gazoducs en mer Baltique, et on ne le saura peut-être pas. Il n’est pas impossible aussi que ce soit un acte de résistance de la part de Tatars de Crimée ou de Russes. Mais quoi qu’il arrive, c’est un camouflet pour le président Poutine qui ne peut pas ne pas comprendre qu’il va vers une défaite inéluctable.

L’armée russe perd des territoires, l’Ukraine en regagne. Est-ce qu’après cette explosion, la Crimée peut être un objectif militaire pour Volodymyr Zelensky ?

Elle peut être un objectif puisque jusqu’à présent, Poutine avait bien séparé la Crimée des territoires ukrainiens. Mais les récents référendums d’annexion placent sur un pied d’égalité les quatre oblasts de l’Est et la Crimée. Donc, en fonction de l’avancée des combats, il n’est pas impossible que l’armée ukrainienne cherche effectivement à reprendre la Crimée, mais probablement n’arrivera-t-elle pas jusque-là parce qu’il va se passer quelque chose avant. On ne peut pas imaginer une seconde que M. Poutine va se laisser acculer jusqu’à perdre la Crimée et l’intégralité de ce qu’il avait prédaté en 2014 en Ukraine parce qu’il serait sûr de perdre le pouvoir.

A quoi pensez-vous quand vous dites qu’il va se passer quelque chose avant ?

Tout est possible. Vous avez, comme moi, entendu ce qu’a dit le président des Etats-Unis, Joe Biden [sur un risque d' »apocalypse » nucléaire, le premier depuis la crise des missiles de Cuba en 1962]. Toutes les options, même les plus terribles, sont aujourd’hui sur la table. Le monde est à un moment de bascule, un moment extrêmement fragile, et je crois qu’il faut que nos dirigeants gardent toute leur sérénité. Nous ne sommes pas à Cuba en 1962, lors de la crise de missiles [entre les Etats-Unis et l’URSS]. En 1962, on avait des acteurs rationnels qui s’appelaient Kennedy et Khrouchtchev, qui finissent par éviter une crise majeure. Aujourd’hui, la situation est très différente. On ne peut pas dire évidemment que M. Poutine est parfaitement serein parce qu’il est acculé, ce qui n’était pas le cas de Nikita Khrouchtchev en 1962. Quant à John F. Kennedy, chacun sait qu’il était un quarantenaire et il n’avait pas dépassé ses 80 ans [Joe Biden aura 80 ans en novembre]. On n’est pas dans la même situation. Nous sommes dans une situation qui est beaucoup plus dangereuse, beaucoup plus inflammable.


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