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TEMOIGNAGES. Crise énergétique : quand l’allumage du chauffage collectif jette un froid dans les copropriétés

Les Français sont-ils prêts à revêtir leur col roulé, y compris dans leur foyer ? Dans les copropriétés – environ 28% des logements, selon l’Insee – la réponse à cette question ne fait pas toujours l’unanimité. Et lorsque le chauffage est collectif, elle va même jusqu’à engendrer des frictions. Alors que l’automne fait son arrivée et que le mercure chute, les copropriétaires peinent parfois à s’entendre sur la température optimale à conserver dans leurs logements. D’autant plus lorsque, en pleine crise énergétique, le gouvernement appelle chacun à la « responsabilité » pour faire des économies d’énergie et à ne pas chauffer son logement au-delà de 19 °C, conformément au plan de sobriété énergétique.

Les copropriétés qui disposent d’un chauffage collectif l’activent en général du 15 octobre au 15 avril, mais la date d’allumage n’est pas réglementée. Il revient donc au conseil syndical, les membres élus de la copropriété, de se mettre d’accord. Une tâche qui refroidit parfois les relations entre voisins. Si certains enfilent volontiers une deuxième paire de chaussettes, voire dorment en jogging pour avoir chaud, d’autres ne supportent pas de télétravailler dans le froid ou d’être contraints de ressortir du placard leur vieux plaid en laine.

Ces « tensions », Caroline* les vit depuis le début de l’automne dans son immeuble de banlieue parisienne. La jeune femme redoute d’ailleurs d’être identifiée, de peur de voir sa relation avec ses voisins se détériorer davantage. L’allumage du chauffage dans sa copropriété d’environ 200 lots a mis l’immeuble à cran, raconte-t-elle. Trop précoce, selon elle, mais justifié pour une partie du voisinage. « Il fait 23 °C chez moi aujourd’hui, alors qu’il faisait 19 °C la semaine dernière, c’était largement suffisant. » Elle craint que son appartement soit surchauffé pour les semaines à venir. « En plein hiver, les enfants ne peuvent pas dormir avec la couette, on est obligés d’ouvrir les fenêtres, déplore-t-elle. Ça fait des courants d’air. »

Si la température est aussi élevée chez elle, c’est d’abord parce que son appartement récupère la chaleur provenant des niveaux inférieurs, explique-t-elle. Mais c’est aussi lié aux travaux d’isolation qu’elle a faits : « C’est absurde, on est pénalisés parce que notre appartement est mieux isolé. J’ai remplacé mes fenêtres d’origine par des fenêtres double vitrage, j’ai même eu des aides de l’Etat pour ça ! » La copropriétaire a tenté de s’impliquer dans le conseil syndical pour peser sur les décisions. En vain.

« Ça rend complètement fou de ne rien pouvoir faire. »

Caroline*, copropriétaire en banlieue parisienne

à franceinfo

A près de 600 kilomètres de là, une enseignante vivant à Grenoble (Isère) s’agace pour les mêmes raisons. « Je suis révoltée qu’on rallume aussi tôt le chauffage ». « Dehors, il fait 25 °C, notre immeuble jouit d’un très bel ensoleillement », explique cette habitante d’une copropriété d’une vingtaine de logements. Elle aussi craint de devoir ouvrir les fenêtres cet hiver : « Le soleil tape sur les baies vitrées, et nos voisins du dessous et du dessus chauffent sans arrêt leur logement. » La Grenobloise ne compte pas en rester là. « C’est un débat houleux qui s’annonce, prévient-elle. On veut surtout sensibiliser et discuter de ce qu’on pourrait mettre en place pour les économies d’énergie, parce qu’on a une facture qui explose et qu’on a peur de ne pas pouvoir payer ». 

L’explosion des prix de l’énergie et des factures de chauffage est au cœur des discussions entre copropriétaires. Certaines copropriétés vont jusqu’à envisager de couper le chauffage pendant toute la période hivernale. A Nice (Alpes-Maritimes), dans un immeuble où la facture pourrait être multipliée par cinq, cette option a fait l’objet d’une assemblée générale extraordinaire le 11 octobre et a finalement été choisie. Chacun utilisera un chauffage d’appoint si nécessaire. Même sidération à Gap (Hautes-Alpes). Le devis de gaz proposé aux habitants d’un immeuble de 80 habitants, fin septembre, a augmenté de 600%. « On a fait des bonds, raconte un copropriétaire à franceinfoJ’ai refusé de signer le renouvellement du contrat ». La facture de gaz pour un deux-pièces serait passée de 600 à 3 000 euros, explique-t-il. 

Tandis que les prix flambent, le thermomètre dégringole. Chez Roxane, le thermomètre affichait 14,8 °C le 29 septembre dans la soirée. « Les 19 °C recommandés par Jupiter, j’en rêve, parce qu’il ne fait pas chaud quand même, commentait la Rouennaise sur Twitter. Il va être temps que la copro rallume le chauffage ». L’éducatrice spécialisée de 39 ans précise qu’elle habite un appartement au rez-de-chaussée avec du simple vitrage. « Je sais que d’autres personnes ont râlé dans mon immeuble, surtout des personnes âgées », témoigne-t-elle. 

Beaucoup de copropriétaires évoquent un conflit générationnel. Les personnes âgées seraient les plus enclines à appeler le conseil syndical pour se plaindre du froid. Depuis les Yvelines, Jean-Pierre reconnaît qu’il appartient au camp des frileux. « J’ai quand même dormi avec mes chaussettes, confie-t-il d’un ton amusé. Ce n’est pas un problème, mais ça en dit long sur le froid qu’il faisait. » La température était de 18 °C dans son appartement fin septembre. Trop peu, « ne serait-ce que pour prendre la douche », préciset-il. A « 79 ans trois quarts », il était forcé d’utiliser un chauffage d’appoint : « Je passe beaucoup de temps derrière l’ordinateur, ce n’est pas une situation favorable. »

Mais s’il demandait une mise en route du chauffage, ce n’est pas seulement pour son cas personnel, assure Jean-Pierre. En tant que vice-président du conseil syndical, il avait reçu « un certain nombre de doléances de gens qui se plaignaient qu’ils avaient froid pour différentes raisons : le télétravail, l’âge, les gardes d’enfants et les nourrissons… » Après avoir convoqué une réunion exceptionnelle, les élus de la copropriété ont tranché : le chauffage a finalement été allumé début octobre, pour assurer une température de 19 °C. 

Ces 19 °C maximum, recommandés par le gouvernement, ne sont pas toujours bien acceptés. « Ils sont bien gentils, mais j’aimerais bien savoir à combien est chauffé l’Elysée, rétorque Olivier, 57 ans. A mon avis, ce n’est pas à 19 °C. » Propriétaires d’un appartement au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), lui et sa femme télétravaillent et ne supportent plus de devoir se couvrir. « On se pèle ! Je mets une polaire, mais c’est pénible de travailler comme ça, se plaint-il, quand j’en ai marre, je sors faire un tour pour me réchauffer ». Le quinquagénaire a donc envoyé un e-mail au syndic pour connaître la date de mise en route du chauffage. « Ils m’ont répondu que pour des raisons économiques et écologiques, ça ne serait pas tout de suite », raconte Olivier, déçu.  

« Ceux qui n’ont pas de double vitrage doivent avoir encore plus froid que nous. »

Olivier, copropriétaire dans le Val-de-Marne

à franceinfo

Le copropriétaire est d’autant plus agacé qu’il a plusieurs fois demandé des devis pour refaire l’isolation extérieure du bâtiment, mais sa requête n’a jamais été mise à l’ordre du jour en assemblée générale de copropriété. « Ça reporte encore les travaux à 2024 au moins ! » Les travaux sur le bâtiment doivent en effet être votés en assemblée générale de copropriété. Or « quatre des cinq membres du conseil syndical sont endettés à l’égard de la copro. Donc, ils ne veulent pas voter de travaux », pointe Olivier

Certains voisins sont même en froid à cause du chauffage. Dans l’immeuble de Jonathan*, alors que plusieurs membres du conseil syndical ont demandé à mettre en route la chaudière, lui a suggéré d’attendre encore. « Ils essaient de passer en force, dénonce-t-il. J’ai demandé à ce qu’on dialogue. J’ai essayé de les appeler au téléphone, ils n’ont pas répondu. Je suis allé frapper à leur porte, ils n’ont pas ouvert ». Ecologiste convaincu, il se dit soucieux de baisser la consommation d’énergie. Il déplore que ses arguments ne convainquent pas ses voisins. « On me dit : ‘Tu commences à faire suer avec tes arguments écolos, chacun fait bien ce qu’il veut. » 

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.


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