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Meurtre à Nantes : l’enquête parallèle qui pose problème

Dimanche matin, il n’y avait plus qu’un seul équipage de police en patrouille à Nantes pour assurer la sécurité de toute la ville, et pour cause : tous les autres fonctionnaires ont dû, en urgence, converger vers le quartier populaire de Bellevue, à l’ouest de la cité des Ducs, pour protéger une scène de crime. Ici, quelques heures plus tôt, le jour n’était pas encore levé quand une femme de 47 ans a été poignardée à mort, en pleine rue, alors qu’elle attendait le bus pour se rendre à son travail. En milieu de matinée, l’agitation était telle qu’il a donc fallu renforcer les effectifs pour permettre aux enquêteurs de procéder aux premières constatations.

Nadia Hassade, décédée malgré l’intervention rapide des pompiers, était une riveraine connue de tous, d’où l’émoi suscité par la violence inouïe des faits, que l’autopsie pratiquée lundi a mis en évidence. Le médecin légiste a ainsi dénombré pas moins de « 23 plaies sur tout le haut du corps et certaines, mortelles, au cou », comme l’a exposé ce mercredi Renaud Gaudeul, le procureur de la République de Nantes. Un acharnement qui a d’ailleurs conduit les autorités à n’écarter aucune hypothèse, notamment celle d’un acte raciste en raison du lieu (proche d’une mosquée), du profil de cette mère de quatre enfants (elle était voilée) et du calendrier, le 16 octobre étant la date anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty.

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Images de vidéosurveillance obtenues « sous la menace »

Une piste, finalement refermée à ce stade du dossier, qui n’a toutefois jamais traversé l’esprit des proches de la victime, trop occupés à mener eux-mêmes leur propre enquête. Car dès que la nouvelle du drame s’est répandue dans le quartier, plusieurs dizaines de personnes ont accouru pour tenter de mettre la main sur l’auteur de l’agression en fuite, et c’est là que les choses ont dégénéré. « Je comprends l’émotion et la volonté de ne pas rester inactif, mais je ne peux pas cautionner les méthodes employées en dehors de tout cadre légal en entravant les investigations », a grondé le procureur.

Les méthodes ? C’est d’abord la pollution des lieux du crime par des attroupements parfois véhéments, pendant que les officiers de police judiciaire tentaient de recueillir le moindre indice. Et puis lundi matin, très tôt, plusieurs individus se sont introduits en force au domicile d’un jeune homme de 21 ans vivant à quelques dizaines de mètres de là. Comment sont-ils remontés jusqu’à lui ? En s’emparant, « sous la menace », d’images de vidéosurveillance d’une entreprise et d’un groupe scolaire situés à proximité. Sur les bandes, ils ont alors pu apercevoir une Peugeot 308 blanche s’arrêtant à hauteur de Nadia Hassade, avec qui le conducteur a, semble-t-il, échangé quelques mots, avant de repartir. Au véhicule, il manquait l’enjoliveur de la roue avant gauche.

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Interrogatoire musclé et diffusé sur les réseaux sociaux

Forts de cette caractéristique, les amis de la famille ont fait le tour de la zone pour retrouver la voiture en question et identifier son propriétaire chez qui ils ont donc fondu. L’histoire aurait pu (dû) s’arrêter là, sauf qu’avant d’appeler la police pour procéder à une interpellation en règle, le conducteur a été soumis à un interrogatoire plutôt musclé, filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, comme Presse-Océan l’a révélé. « Parle, vas-y parle ! C’est quoi que tu as fait ? – J’ai vu le mec avec lequel elle s’embrouillait, je me suis arrêté j’ai dit : tout va bien ? Elle m’a dit oui, c’est bon tu peux partir… Après je suis rentré chez moi, j’ai vu les infos et je suis allé voir la police et j’ai dit que j’étais témoin oculaire. »

Et effectivement, l’intéressé s’était bien, la veille, rendu au commissariat pour raconter cette version-là, ajoutant même avoir touché le bras de la victime comme pour se couvrir par avance concernant la présence potentielle de son ADN. Version qui n’a pas résisté aux images, finalement vues par les enquêteurs. À l’issue des 48 heures de garde à vue durant lesquelles il a reconnu les faits en les expliquant par une bouffée de violence qu’il n’a pas su maîtriser, l’auteur présumé, inconnu de la justice, a été mis en examen pour meurtre aggravé par son état alcoolique. Une circonstance qui, depuis janvier dernier, fait passer la peine encourue de 30 années de réclusion à la perpétuité.

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Un dossier de 500 pages

Reste maintenant à savoir comment toute cette affaire sera appréciée par une cour d’assises devant laquelle la future défense s’efforcera de pointer les conditions d’obtention de certains éléments ayant conduit à l’interpellation du mis en cause. « C’est en cela que les investigations sont entravées puisque, en effet, dans ces circonstances-là, il y a des preuves que nous aurions pu sans doute recueillir si cette enquête avait pu se dérouler dans de bonnes conditions, mais cela n’a pas été possible, reconnaît le procureur, Renaud Gaudeul, qui n’exclut pas de poursuivre certains protagonistes de cette enquête sauvage. Sans eux, nous aurions quand même retrouvé l’auteur présumé, et heureusement, grâce à l’investissement de la PJ, nous avons d’ores et déjà pu réunir des éléments suffisants pour justifier cette mise en examen. »

Signe que la procédure a tout de même été bétonnée, les limiers ont confectionné un dossier de 500 pages remis au juge, un volume exceptionnel en seulement trois jours. De quoi faire face à d’éventuelles demandes de nullité d’actes.


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