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Bousculade en Corée du Sud : « Quand on a une telle foule, il est presque trop tard » pour agir, explique un chercheur

Le mouvement de foule aurait-il pu être évité, ou faire moins de victimes ? En Corée du Sud, les questions s’accumulent au lendemain de la bousculade qui a coûté la vie à 153 personnes et fait une centaine de blessés à Séoul, selon un bilan provisoire, dans la soirée du samedi 29 octobre. Tout en décrétant une semaine de deuil national, le président du pays, Yoon Suk-yeol, a promis dimanche une enquête complète sur la tragédie.

Pour mieux comprendre comment un tel drame peut survenir, franceinfo a interrogé Mehdi Moussaïd, chercheur spécialisé dans le comportement des foules à l’Institut Max-Planck de développement humain à Berlin (Allemagne).

Franceinfo : Ces dernières années, plusieurs centaines de personnes sont décédées dans des bousculades à travers le monde. Comment un mouvement de foule peut-il causer autant de morts ? 

Mehdi Moussaïd : Par définition, un mouvement de foule aura un lourd bilan parce qu’il y a beaucoup de monde au mètre carré. Il peut y avoir parfois plusieurs dizaines de victimes, mais il est tout à fait possible qu’on arrive à des centaines, voire plusieurs milliers de morts. Au pèlerinage musulman à La Mecque (Arabie saoudite) par exemple, quand il y a un accident, il fait des centaines de victimes. Lors du pèlerinage de 2015, le bilan était même d’environ 2 000 morts.

La catastrophe de samedi en Corée du Sud comporte-t-elle des similitudes avec d’autres mouvements de foule que vous avez pu étudier ?

Oui, c’est exactement pareil. Les mouvements de foule meurtriers ont d’ailleurs souvent les mêmes caractéristiques. L’une d’elles est la présence de trop de monde par rapport à l’espace disponible, donc le nombre de victimes dans la bousculade de Séoul m’étonne assez peu. 

Sur certains extraits vidéo, j’ai pu observer des vagues de bousculade qui sont vraiment typiques de ce genre de situation. Je pense que le niveau d’intensité était à peu près le même que pour d’autres mouvements de foule, autour de neuf ou dix personnes par mètre carré. Donc c’est malheureusement un accident assez classique.

D’après les services de secours sud-coréens, de nombreuses personnes sont mortes d’asphyxie. Est-ce un phénomène courant ?

Oui car les gens sont très serrés, à tel point qu’ils n’arrivent plus à respirer correctement, puisque la cage thoracique est comprimée. Quand on ne peut plus bien respirer, les gens vont s’évanouir et si ça continue, ils vont décéder pendant l’évanouissement. L’asphyxie est la cause principale de décès dans ce genre de situation.

Certains témoins estiment que le dispositif policier était insuffisant à Séoul ce soir-là. Quand bien même des policiers auraient été présents en plus grand nombre, qu’auraient-ils pu faire ?

Quand on a déjà une telle foule, il est presque trop tard. La clé est dans l’anticipation et la planification. Il faut surveiller en amont le nombre de personnes qui vont arriver, l’espace disponible, et essayer de réguler les gens qui arrivent. Si vous êtes à la tête des forces de l’ordre, c’est vraiment difficile de réagir.

« Si vous bloquez le flux d’entrants à l’entrée de la rue par exemple, les gens vont s’accumuler derrière le cordon de blocage. Et vous n’aurez fait que déplacer le problème à cet endroit-là. »

Mehdi Moussaïd, spécialiste du comportement des foules

à franceinfo

Dans les vidéos qui circulent en ligne, j’ai aussi vu ce qu’on appelle des flux bidirectionnels, c’est-à-dire des gens qui se déplacent dans les deux sens. C’est un élément amplificateur très important quand on a un mouvement de foule, parce que ça va encore plus réduire la capacité de déplacement et donc encombrer les rues. A la Mecque, les flux bidirectionnels sont interdits, il n’y a que des routes à sens unique pour les piétons. Dans le cas de Séoul, ce n’était pas un festival ou un rassemblement religieux, donc c’était évidemment beaucoup plus difficile à anticiper et à canaliser.

Quelle est l’attitude à adopter si l’on se retrouve dans une foule de ce type ?

Le grand public n’a pas conscience du danger. Quand les gens sont très serrés, on se dit que ce n’est pas agréable, pas sympa… Mais à aucun moment, on ne se rend compte du risque encouru. Première mesure possible : si jamais vous vous sentez trop serré, éloignez-vous. En faisant cela, vous allez réduire le niveau d’intensité, donc réduire le risque pour vous ainsi que pour les autres.

Cependant, quand on est enfermé dans la foule, on est un petit peu piégé. Dans ce cas, il faut surtout éviter de tomber parce qu’une personne qui tombe va faire tomber ses voisins, qui vont faire tomber leurs propres voisins sous eux et être compressés de manière trop importante. D’autre part, si vous êtes debout, essayez de protéger dans la mesure du possible votre cage thoracique pour pouvoir continuer à respirer en attendant les secours.


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