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Tirs de missiles par la Corée du Nord : pourquoi l’escalade entre Pyongyang et Séoul ne semble pas près de s’arrêter

Un brutal regain de tension. La Corée du Nord a lancé mercredi 2 novembre au moins 23 missiles balistiques. L’un de ces engins est tombé près des eaux territoriales de la Corée du Sud, qui a dénoncé « une invasion territoriale » et riposté par trois tirs de missiles en mer. Une nouvelle étape dans l’escalade guerrière entre les deux pays. De telles actions menaçantes n’avaient plus été observées depuis 2010. La période de détente semble bien révolue.

Parce que les tirs ont rarement été aussi nombreux et proches de la Corée du Sud

« Kim Jong-un a tiré plus de missiles en un jour que son père, Kim Jong-il, en 15 ans », observe Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Les tirs balistiques nord-coréens se sont multipliés ces derniers mois. Mercredi, pour la première fois depuis près de soixante-dix ans et la fin de la guerre de Corée, Pyongyang a tiré un missile qui a franchi la « ligne de limite du Nord » (NLL), qui prolonge en mer la ligne de démarcation intercoréenne des deux côtés de la péninsule. Il a plongé dans des eaux situées à seulement 57 km à l’est des côtes sud-coréennes.

La Corée du Nord a également procédé à une centaine de tirs d’artillerie, selon Séoul, vers la « zone tampon » maritime au nord de la ligne de démarcation, qui constitue la frontière maritime entre les deux pays. Ces « zones tampons », établies en 2018 pour prévenir toute confrontation accidentelle, s’étendent sur une largeur de 5 km de part et d’autre de la ligne de démarcation. Séoul et Pyongyang s’étaient engagés à ne pas y mener de manœuvres militaires de grande ampleur et à n’y pratiquer aucun tir d’artillerie à munitions réelles.

Parce que l’alliance entre Séoul et Washington contrarie Pyongyang

Avec la présence de Donald Trump à la Maison Blanche, il existait une « fenêtre d’opportunité pour les négociations et l’idée que les Etats-Unis et la Corée du Sud seraient prêts à faire des concessions », estime Antoine Bondaz. Mais le départ du milliardaire, qui avait rencontré Kim Jong-un à trois reprises, ajouté au changement de président en Corée du Sud, ont changé la donne. « Yoon Suk-yeol est sur une ligne plus dure que son prédécesseur Moon Jae-in, note Antoine Bondaz. Lui et Joe Biden veulent renforcer l’alliance entre Washington et Séoul. »

Les deux pays mènent actuellement le plus grand exercice aérien conjoint de leur histoire, baptisé « Tempête vigilante » (Vigilant Storm), auquel participent des centaines d’avions des deux armées. Ces manœuvres suscitent la colère de Pyongyang qui les considère comme des répétitions générales à une invasion de son territoire. « Si les Etats-Unis et la Corée du Sud tentent d’utiliser leurs forces armées [contre la République populaire démocratique de Corée] sans crainte, les moyens spéciaux des forces armées de la RPDC accompliront leur mission stratégique sans délai », a déclaré Pak Jong Chon, maréchal et secrétaire du Parti des travailleurs au pouvoir en Corée du Nord, selon l’agence d’Etat KCNA.

Parce qu’un nouvel essai nucléaire nord-coréen est possible

Les tirs de mercredi surviennent après une autre longue série, en septembre et octobre, qualifiée d’exercices nucléaires tactiques par Pyongyang. Selon les analystes, le tir balistique qui a échoué à quelques dizaines de kilomètres à l’est de la Corée du Sud continentale est l’un des plus « agressifs et menaçants » depuis plusieurs années. Ces nouveaux tirs pourraient bien déboucher sur un nouvel essai nucléaire nord-coréen, le septième, cinq ans après le dernier qui avait eu lieu le 3 septembre 2017.

« Ce sont des événements de pré-célébration en amont de leur essai nucléaire à venir », affirme à l’AFP Ahn Chan-il, spécialiste de la Corée du Nord. « De nouveaux tests, bien sûr, signifient qu’ils peaufinent la préparation et la construction de leur arsenal. Alors nous suivons ça de très près », confirme Rafael Grossi, le patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). « Nous espérons que cela n’arrive pas, mais malheureusement, les indications vont dans l’autre sens. »

Parce que les négociations avec la Corée du Nord sont dans l’impasse

Les négociations autour de l’arme nucléaire et les relations diplomatiques entre Pyongyang et Washington se sont enlisées depuis 2019, au sujet de l’allègement des sanctions et de ce que le Nord serait prêt à abandonner en retour. Les arrivées au pouvoir de Joe Biden et Yoon Suk-yeol n’ont rien arrangé.

« Actuellement il n’y a plus de commerce, plus de coopération, plus de dialogue avec la Corée du Nord. »

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

à franceinfo

« Kim Jong-un continue ses essais balistiques pour apparaître en position de force au moment de la réouverture des négociations », ajoute le spécialiste. On entre donc dans un « cercle vicieux », avance-t-il, puisque chaque nouveau tir nord-coréen entraîne une réponse sud-coréenne.

La désescalade n’est pas pour tout de suite puisque Yoon Suk-yeol a qualifié le tir tombé à quelques dizaines de kilomètres des cotes sud-coréennes d’« invasion territoriale ». « Cela donne l’impression d’un abus de langage qui l’oblige à répondre militairement, analyse Antoine Bondaz. Il se met lui-même dans une impasse. »

Parce que la guerre en Ukraine fait diversion

Ces tirs nord-coréens auraient eu lieu sans la situation en Ukraine. Néanmoins, le conflit entre Moscou et Kiev joue en faveur de Kim Jong-un. « Cela crée des opportunités, analyse Antoine Bondaz, c’est d’autant plus facile de le faire avec ce conflit qui détourne l’attention et empêche une coordination internationale ». Exemple de cette désunion entre les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, en mai 2022, la Russie et la Chine ont mis, pour la première fois depuis 2006, leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamnait les essais balistiques nord-coréens.


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