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ENQUETE FRANCEINFO. « Ça ne parle à personne »: le Conseil national de la refondation, projet phare d’Emmanuel Macron et ovni même pour la majorité

Ce devait être la grande journée de lancement. En ce 8 septembre, l’objectif de l’Elysée est clair. Il faut saturer l’espace médiatique d’un sigle : CNR, pour Conseil national de la refondation. Il symbolise la « nouvelle méthode » prônée par le chef de l’Etat pour son second mandat. L’organisme doit faire travailler ensemble les forces vives de la nation autour de plusieurs thématiques, dont l’école et la santé. Malgré les refus de plusieurs syndicats et des oppositions politiques de participer à l’événement, Emmanuel Macron apparaît tout sourire à Marcoussis (Essonne). « L’objectif pour moi, c’est d’abord de bâtir du consensus sur la situation de la France et son avenir », déclare-t-il à l’ouverture de la rencontre.

Mais à la mi-journée, des nouvelles d’outre-Manche changent la donne. La reine est au plus mal. L’attention médiatique bascule vers le Royaume-Uni. La mort d’Elisabeth II est annoncée en début de soirée. « Ça a tout écrasé, soupire un acteur du CNR. Les chantiers ont démarré à bas bruit. » Pour autant, au-delà du décès de la souveraine britannique, le CNR peine toujours à décoller, dans le débat national comme auprès de la population. « Pour avoir testé l’évocation du CNR avec mes proches, ça ne parle à personne », constate un conseiller ministériel. « C’est une démarche au long cours, difficilement compréhensible dans notre monde médiatico-politique », défend un fin connaisseur du dossier.

« Le CNR, c’est le laboratoire de la nouvelle méthode d’élaboration des politiques publiques, c’est de l’infusion lente. On demande déjà un bilan deux mois après… »

Un connaisseur du dossier du Conseil national de la refondation

à franceinfo

« Les gens ne savent pas que ça existe, mais la communication se fera en décembre quand il y aura des choses à dire », poursuit cette même source. Un « CNR plénier », sur le même format que celui de Marcoussis, est en effet prévu autour d’Emmanuel Macron à la mi-décembre pour faire un premier bilan des rencontres dans l’Hexagone. On y discutera aussi de biodiversité, d’inégalités et de dépenses publiques.

En attendant, les initiatives se multiplient, voire partent dans tous les sens. Il y a les CNR territoriaux autour de la santé, de l’école et du travail, où se rencontrent les acteurs de ces sujets à l’échelle locale mais aussi nationale. Il y a les CNR thématiques lancés par les ministres, sur le « bien vieillir »,  sur le climat et la biodiversité, ou encore concernant les « assises du travail »… Les CNR « jeunesse » et « logement » seront pour leur part lancés prochainement. « Il va falloir que cela nourrisse les politiques publiques car les ministres subissent un peu le nombre d’ateliers », relève un conseiller ministériel. 

A l’inverse d’un Emmanuel Macron qui « y tient énormément », selon un proche, les membres du gouvernement ont eu du mal à embarquer dans l’aventure. Mais les choses seraient en train de changer. « Les CNR territoriaux fonctionnent bien, ça a d’ailleurs une résonnance dans la PQR [presse quotidienne nationale]« , complète un ministre… qui est néanmoins bien content de ne pas mettre les mains dans le cambouis. « Bayrou a tenu à s’en occuper, on lui a laissé volontiers l’organisation du truc. »

Le patron du MoDem a en effet été nommé secrétaire général du CNR. Devant les parlementaires de la majorité, le 8 novembre, il a lui-même reconnu des difficultés. « Ce n’est pas dit que cela réussisse mais il faut s’en donner les moyens », a-t-il plaidé, selon une participante.  

« Le CNR est un objet politique assez peu identifié, qu’on n’arrive pas à distinguer du grand débat mais qui procède d’une intuition fondamentale du président : c’est la relation entre pouvoir et citoyen. »

François Bayrou, secrétaire général du Conseil national de la refondation

devant les députés de la majorité

François Bayrou a enjoint les parlementaires à se saisir du sujet. Il en a fait de même auprès des préfets, le même jour. « Il leur a demandé d’organiser des débats dans les territoires », rapporte une ministre. 

Sa demande pourrait ne pas rencontrer le succès escompté, du moins côté politique. Le flou et le doute subsistent. « Je ne sais pas du tout comment c’est organisé ni comment ça se met en place », reconnaît un conseiller ministériel. Même le site du CNR est boudé par les élus. Parmi ceux interrogés, aucun ne l’a consulté et, a fortiori, n’a pris le temps de remplir le formulaire qui propose de livrer les informations des réunions locales et nationales. « Je ne suis même pas inscrit. On a toujours la crainte de refaire des réunions avec des acteurs locaux sur des diagnostics que l’on connaît déjà », avoue un député Renaissance. « On n’a rien à apprendre d’un CNR sur la santé, par exemple. Tout a déjà été dit », lâche un autre parlementaire de la majorité.

« Le président a voulu s’accrocher à cette nouvelle méthode mais c’est pour faire passer le temps. Le CNR, c’est un truc qui ne sert à rien. »

Un parlementaire de la majorité

à franceinfo

« Entre collègues, le sujet est inexistant », reconnaît un troisième élu de la majorité. « On a ajouté de la complexité lorsqu’on a mêlé des grands objectifs nationaux avec le local », regrette-t-il. Le CNR se décline, en effet, sur les deux plans : certains projets doivent remonter au niveau national pour donner lieu à des textes de loi, voire à des référendums, pendant que d’autres intiatives resteront au niveau local. 

Bruno Bobkiewicz, le secrétaire général du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale), témoigne lui aussi de cette complexité. « On n’a pas tous compris le sens, puisqu’au départ, il s’agissait d’un grand débat sur l’école et les projets locaux se sont rajoutés, ce qui n’est pas la même discussion », explique-t-il.

Selon le compte-rendu du Conseil des ministres du 2 novembre, 840 établissements scolaires ont « déjà démarré une concertation », tandis que 7 500 prévoient d’en lancer une, soit « 13% du total des établissements ». « Ce n’est pas terrible mais pas illogique à partir du moment où c’est facultatif. Les chefs d’établissement sont plutôt sceptiques à l’idée de ces débats très généraux, et un certain nombre ne va pas intégrer la démarche », assure Bruno Bobkiewicz. Même défiance du côté des parents d’élèves, à en croire Magalie Icher, présidente nationale de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves). Le CNR ? « Ce n’est pas une priorité. Cela fait flop, les équipes ont du mal à suivre », livre-t-elle. 

« C’est encore un ‘machin’ dont on n’est pas sûr de l’utilité », commente de son côté Stéphane, proviseur d’un collège à Orléans. Ce dernier n’a pas l’intention d’organiser un CNR dans son établissement. Mais d’autres se sont, au contraire, embarqués dans l’aventure car à la clé, il y a des moyens. Le fonds d’innovation pédagogique, annoncé par Emmanuel Macron fin août et doté de 500 millions d’euros, sert à financer des projets issus de différents CNR.

Benoît Marsat, proviseur d’un collège à Mulhouse, a participé à deux rencontres en octobre, à l’initiative du recteur, sur une thématique propre à la ville : la gestion des « élèves hautement perturbateurs ». Une centaine de personnes, parmi lesquelles des jeunes, des parents d’élèves, des éducateurs, et des membres d’associations, ont débattu ensemble. « Ça a permis en peu de temps de faire émerger la parole et des idées, c’était très constructif », s’enthousiasme Benoît Marsat. Il va bientôt renouveler l’expérience, cette fois à l’échelle de son établissement, autour de la rénovation du centre de documentation et d’information (CDI), pour en faire « un lieu dédié à l’entrée dans la lecture ». 

« Le fonds d’innovation change tout, cela coûtera environ 10 000 euros, chose que la collectivité n’aurait pas pu financer vu le contexte actuel. »

Benoît Marsat, proviseur d’un collège à Mulhouse

à franceinfo

Sylvain Dedieu, proviseur à Clichy (Hauts-de-Seine), s’apprête également à lancer un CNR dans son lycée pour « monter un projet pédagogique innovant et prétendre au fonds ». Mais celui qui est aussi secrétaire départemental du SNPDEN constate que « cela ne déclenche pas un enthousiasme délirant chez les collègues ». « Il faut comprendre que l’on est sur le front, la rentrée a été difficile avec la pénurie d’enseignants, on sort de deux années particulières », analyse-t-il.

Les Français semblent eux aussi avoir l’esprit ailleurs. « Les gens ne sont pas contre la démocratie participative mais il faut que ça serve à quelque chose, sinon cela donnera l’impression que ce sont des objets de communication », conclut Dorian Dreuil, expert à la fondation Jean-Jaurès. 


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