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« Approchez-vous ! » : pour appuyer leur plaintes pour agression sexuelle contre André Santini, deux anciens collaborateurs dévoilent des enregistrements

Le maire d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) André Santini est désormais visé par une nouvelle plainte envoyée lundi 21 novembre au parquet de Nanterre pour « prise illégale d’intérêt » par deux ex-collaborateurs, a appris franceinfo de source proche du dossier. André Santini, 82 ans, élu depuis plus de 40 ans à la mairie de cette ville aisée de la proche banlieue parisienne, est déjà accusé depuis cet été par ces mêmes deux agents municipaux d’ »agression sexuelle », de « harcèlement sexuel » et de « harcèlement moral », comme l’a récemment révélé le journal Le Monde (article réservé aux abonnés) et dont franceinfo a eu confirmation.

Les deux hommes, Pierre [les prénoms ont été modifiés], un ancien huissier qui a exercé entre 2019 et 2022, et Marc, un ancien chef de cabinet qui a exercé pendant deux ans entre 2020 et 2022 après d’autres fonctions au sein de la mairie à partir de 2011, reprochent à l’ancien ministre et secrétaire d’Etat, actuel vice-président du Grand-Paris, des attouchements et un système d’emprise et de soumission. L’enquête est menée par la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), et, selon les informations de franceinfo, André Santini n’a pas encore été auditionné.

Pour appuyer leur plainte et pour se protéger, les deux hommes ont décidé, chacun de leur côté, d’enregistrer leurs tête-à-tête avec André Santini, enregistrements auxquels franceinfo a eu accès. Dans le premier, la voix de l’élu est parfaitement reconnaissable. Alors qu’il échange avec Marc, le maire ordonne à son collaborateur de se rapprocher pour procéder à des attouchements. « Approchez-vous », lance le maire sur un ton très directif. « Je voudrais que vous restiez près de moi, il faut que vous restiez près de moi, venez-ici, plus près, encore, plus près ». Lorsque Marc répond : « Je suis bien, là », André Santini invective « Non, vous n’êtes pas assez près, je tiens à vous ».

Dans un autre enregistrement, réalisé toujours par Marc au cours d’une négociation salariale, l’élu le menace pour obtenir des faveurs physiques. Des bruits de frottement se font entendre, des caresses sur la cuisse en remontant du chef de cabinet, selon ce dernier.

« Je veux que tu sois proche de moi, approche-toi, encore, viens encore. Tu es vraiment naïf, hein ! Et toi, quelle protection tu as ? Ils peuvent te matraquer, ils disent : bon ben c’est un petit (…) il n’est pas viril, il n’a pas de diplômes, faut que tu sois… Approche-toi ! »

André Santini à un de ses collaborateurs

dans un enregistrement consulté par franceinfo

Alors que Marc tente de poursuivre une conversation normale un « Viens-ici ! » se fait entendre. « Non, approche-toi encore, viens, viens plus près, c’est pas mal. Moi, je t’aime beaucoup, c’est moi qui t’ai inventé, il faut que les autres soient convaincus que tu te rapproches de moi (…), faut que tu passes pour être près de moi. Eh ! c’est comme ça, c’est con, hein ! Tu es méfiant, hein… Viens-ici ! »

Alors qu’ils sont écartés, officiellement pour « rupture des liens de confiance », l’huissier et le chef de cabinet décident, le 19 mai 2022, d’aller dans le bureau du maire. Ils enregistrent chacun de leur côté. Le maire les voit surgir dans son bureau : « Mais qu’est-ce que vous faites là ? », leur demande André Santini. Marc répond : « Nous sommes en train de faire nos affaires ». Réponse du maire : « Ah, c’est bien ».

Lorsque Marc dit au maire qu’il leur a demandé de partir sous le prétexte qu’ils avaient le Covid, André Santini répond avec ironie : « Non, non, non, j’ai été saisi de la grippe, j’ai beaucoup apprécié que des collaborateurs ici ne soient pas vaccinés, trois d’un coup, une partouze quoi ! Alors vous êtes indignes, vous avez déconsidéré le cabinet ! Vous veniez du ruisseau, vous retournez au ruisseau, ça vous va ? »

Aujourd’hui, les deux agents municipaux d’Issy-les-Moulineaux sont en arrêt de travail. Ils ont été rétrogradés et ont perdu une bonne partie de leur salaire. Nous avons pu joindre Pierre qui a accepté de revenir pour franceinfo sur ces deux ans passés auprès du maire, élu depuis plus de 40 ans.

L’ancien huissier assure que les demandes d’attouchements du maire ont commencé presque immédiatement. « Je correspondais aux critères du maire », se souvient-il : « Jeune, sans barbe, et pas de cheveux longs ». Au début, Pierre n’osait rien dire lorsque le maire lui caressait la cuisse. « Je ne voyais pas le problème. C’est délicat, on parle d’un ancien ministre ».

Et puis grâce à la pandémie de Covid-19, les contacts physiques ont cessé. Mais l’élu a recommencé, l’employé a été obligé de dire à André Santini : « Arrêtez, on dirait un petit vieux en manque d’affection ». Puis est survenu cet épisode, courant 2021. Le maire revenait ivre d’une réunion, il s’est jeté sur Pierre et a tenté de l’embrasser. « Ça a été un électrochoc », se remémore Pierre. Depuis le début de l’été, Pierre reste chez lui. « C’est compliqué, j’habite la commune et certains ne me croient pas », déplore-t-il.

« Je ne sais pas si je vais revenir travailler à la mairie, beaucoup de gens ont retourné leur veste. »

Pierre, ancien collaborateur d’André Santini

à franceinfo

Après avoir envoyé leur plainte, les deux hommes peuvent prétendre, en tant que fonctionnaires, à la « protection fonctionnelle » : une assistance juridique dont peut bénéficier un agent public. Sauf qu’André Santini a fait voter au dernier conseil municipal, en sa présence mais sans prendre la parole, cette protection fonctionnelle pour sa propre défense dans cette affaire de soupçons d’agressions sexuelles. Une décision que les deux agents municipaux veulent contester en justice au pénal, car eux ne peuvent pas en profiter, une telle protection n’ayant pas été proposée au vote par la collectivité. Ils ont donc déposé plainte lundi 21 novembre pour « prise illégale d’intérêt » contre André Santini.

Par ailleurs, une autre procédure est en cours devant la justice administrative. L’avocate des deux ex-collaborateurs, Christelle Mazza, a déposé le 16 novembre un référé devant le tribunal administratif de Cergy pour contester le rejet de la protection fonctionnelle demandée par ses clients.

Joint par franceinfo, l’avocat d’André Santini, maître Marc Bellanger, estime qu’il s’agit de dénonciation calomnieuse. Le conseil du maire d’Issy-les-Moulineaux compte porter plainte.


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