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Coupe du monde 2022 : comment le numéro « 24 » du Brésil, longtemps boudé par homophobie, est sorti du placard au Qatar

Associé à des clichés homophobes anciens, ce numéro est en train d’être réhabilité au sein de la sélection brésilienne. C’est la première fois qu’il apparait lors d’un Mondial.

« Pour moi, c’est un maillot comme un autre, l’important est d’être à la Coupe du monde, le numéro n’a pas d’importance. » Gleison Bremer, défenseur central du Brésil, a porté le numéro 24 lors de la rencontre de Coupe du monde Brésil-Cameroun (0-1), vendredi, au Qatar. Si cet habituel remplaçant de la Seleçao ne devrait pas être titulaire lors du huitième de finale entre le Brésil et la Corée du Sud, lundi 5 décembre, son geste constitue une grande première dans un Mondial pour un Auriverde, d’habitude bien caché au fond de la pile. 

Cette habitude brésilienne trouve racine dans des préjugés homophobes. Au départ, il y a un jeu, le « jogo do bicho » (jeu de la bête), loto clandestin apparu à la fin du XIXe siècle dans les rues de Rio, et toujours pratiqué. Chaque parieur doit choisir une case représentée par un animal. Le 24 est associé au cerf qui se dit « veado » en portugais. Ce mot a une consonance similaire à « viado », insulte désignant un homosexuel. 

Pour cette raison, ce numéro 24 a été boudé pendant des décennies par le football brésilien. « Il y a un vrai tabou, même si ça peut sembler fou. C’est un numéro comme un autre, mais les footballeurs préfèrent en utiliser un autre pour que leur masculinité ne soit pas remise en cause », assurait à l’AFP en février dernier Bernardo Gonzales, militant et joueur d’une équipe transgenre de futsal, le Sport Clube T Mosqueteiros de Sao Paulo.

Jusqu’à vendredi, on recensait au moins deux utilisations d’un tel maillot lors d’un match du Brésil. Les deux fois en amical, où il n’y a généralement pas de règles strictes concernant les numéros des maillots. Il a été porté par les attaquants Taison, lors de la victoire 3-1 contre le Japon en novembre 2017, et Roberto Firmino lors du succès 3-0 contre le Ghana en septembre, bien que le joueur de Liverpool ne soit pas entré sur le terrain.

Au moment du lancement de la nouvelle saison du championnat brésilien en janvier, seules quatre des équipes de première division avaient des joueurs portant le numéro 24 dans leur effectif. Trois d’entre eux étaient des jeunes qui venaient de signer leur premier contrat professionnel. En Copa Libertadores, l’équivalent latino-américain de la Ligue des champions, les équipes brésiliennes n’ont pas le droit de supprimer le numéro 24. Pour contourner cette interdiction, elles l’attribuent systématiquement au troisième gardien, pour être quasiment sûres qu’il n’apparaisse jamais sur le terrain.

Plus généralement, cette réflexion homophobe s’avère très ancrée dans la société brésilienne. Certains refusent par exemple de s’asseoir sur le fauteuil 24 au théâtre ou au cinéma. D’autres ne veulent pas vivre dans l’appartement 24 d’un immeuble ou encore utilisent deux bougies différentes sur leur gâteau d’anniversaire, 23 et 1, plutôt qu’une seule de 24. En 2015, au Sénat, où chaque sénateur a sa pièce attitrée, quelqu’un s’est rendu compte que la porte numéro 25 succédait à la 23. Ce n’est qu’après un tollé médiatique que les choses sont rentrées dans l’ordre.

Au Qatar, pour la première fois en Coupe du monde, le nombre de joueurs inscrits par une sélection a grimpé de 23 à 26 en raison de la pandémie de Covid-19. Pourtant, cela n’a pas toujours suffi. Ainsi, lors de la dernière Copa America, disputée au Brésil en 2021, les sélections avaient même droit jusqu’à 28 joueurs. Toutes les équipes s’étaient présentées avec un numéro 24, sauf le pays-hôte. Une ONG avait même poursuivi en justice la fédération brésilienne de football, sans succès.

Depuis quelques années, pour certains membres de la communauté LGBT+ brésilienne, le numéro 24 est devenu un symbole de résistance et de revendication. Il est courant de le voir inscrit sur les tee-shirts d’associations inclusives. Dans les tournois de quartier opposant des équipes gays, il peut être aussi convoité que le « 10 » de Pelé.

Dès lors, aux yeux de certains, l’utilisation a une portée symbolique durant cette Coupe du monde au Qatar, marquée par la controverse liée aux droits LGBT+ et l’interdiction faite aux capitaines européens de porter le brassard arc-en-ciel. « Nous aurions aimé qu’il s’agisse d’une action militante, comme celles menées par d’autres équipes, mais c’est génial de voir que cela se passe sur cette scène internationale », a déclaré Railson Oliveira, fondateur de FieL LGBT, un collectif de supporters des Corinthians de Sao Paulo.

Lors de la Gay Pride de Rio du 27 octobre, un tee-shirt géant « Seleçao » avec le numéro 24 et un brassard arc-en-ciel a été déployé avec le soutien de la Confédération brésilienne de football. « Nous sentons souffler un vent de maturité », s’est félicité le fondateur de FieL LGBT.


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